Entraîneur de la perchiste Margot Chevrier, Sébastien Reisdorffer revient sur cette année 2022 à l’ascension express, avec un deuxième titre de championne de France et une finale mondiale. Il nous présente les coulisses de sa relation avec l’athlète de la Team SPORTMAG.
En repensant à cette folle année 2022 vécue avec Margot Chevrier, quel est le sentiment qui prédomine ?
C’est difficile à dire, il y a beaucoup d’émotions qui se mélangent… Je dirais que cette année était celle de l’apprentissage et de la découverte. On s’est pris beaucoup de choses de plein fouet. C’est là qu’on voit que l’expression « prendre de l’expérience » a vraiment un sens. Il y a aussi de la frustration. Le jour J, le niveau ne s’est pas élevé au meilleur moment, ce qui aurait permis à Margot de s’exprimer beaucoup plus. On s’est vraiment rendu compte qu’il ne suffisait pas d’avoir réussi sa préparation, d’être en forme physiquement et d’être serein dans la tête pour hausser son niveau au moment décisif. C’est ce qu’on s’est pris en pleine face, et qu’on doit encore travailler. Attention, on a réussi une très belle année ! Aller jusqu’en finale des Mondiaux, j’en suis super heureux. Mais on a des axes de progression.
« C’est difficile de freiner Margot, elle a tellement d’envie »
Margot nous a déjà dit qu’elle faisait partie des perchistes qui « sautaient mal », d’un point de vue technique. L’idée est de jouer là-dessus pour l’année prochaine ?
Quand on part sur une grande compétition, je sais qu’elle sera prête en termes de motivation et d’envie. A ce niveau-là, elle est toujours à 140%, prête à tout donner. Mais sa progression a été si explosive qu’il lui manque certaines fondations de la perche. Et désormais, elle enchaîne tellement les compétitions et les stages, que c’est difficile de trouver le temps de faire ces réglages-là ! En termes d’entraînement et de planification, cette saison 2022 est à montrer dans toutes les écoles comme l’exemple à NE PAS suivre. Le temps joue contre nous, mais il faut qu’on dégage des moments pour prendre du recul pour travailler ces aspects de base. La répétition à l’entraînement et ces fondations, c’est ce qui fait la fiabilité de son saut. Margot a toujours été en avance, sur tout. Elle a tellement d’envie et va tellement vite, c’est ce qui fait sa force et ses résultats aujourd’hui. Alors c’est difficile de la freiner, même s’il va falloir qu’on trouve comment temporiser tout en gardant cet allant et sa dynamique.
Au cours de cette saison où elle est clairement entrée dans une autre dimension, qu’est-ce qui a le plus changé pour Margot ?
Son rythme de vie. Elle est beaucoup moins à la maison, avec l’enchaînement des compétitions, des stages… Elle a aussi bien plus de sollicitations avec les partenaires et les médias. Tout cela, du point de vue du coach, ce sont des contraintes avec lesquelles il faut s’adapter. Ses journées étaient déjà très chargées, avec les études en médecine et le sport, maintenant elles le sont encore plus !
« La compétition, c’est du mensonge ! »
Avec tous ces changements de contexte sportif et extra-sportifs, comment est-ce que votre relation a évolué ?
Les choses ont forcément changé. Il y a un an, je me suis mis en retrait du sport pendant quelques mois. Depuis, ce n’est plus pareil. On a presque recréé notre projet, et on est repartis sur un état d’esprit qui a un peu évolué. Avant, j’avais ce côté assez « paternaliste », très « grand-frère ». En quelque sorte, je cherchais à la protéger au maximum. Forcément, avec le haut niveau, 99% des sollicitations et de la pression reposent sur l’athlète, et c’est quelque chose que j’ai du mal à accepter en tant que coach. Avec cette année très riche, on a surtout appris à perdre ensemble. On avait eu quelques déceptions, mais très vite digérées. Avec cette finale des Mondiaux où elle termine non classée et d’autres contre-perfs, on a appris à gérer des échecs tous les deux. Ça nous sera vraiment utile pour la suite. Désormais, on sait comment compter l’un sur l’autre quand c’est vraiment dur. Et le plus difficile, le plus moche, ce n’est pas quand on se rate sur un grand tournoi. J’irai même jusqu’à dire que la compétition, c’est du mensonge ! Quand on galère sur la piste, ce n’est rien à côté des moments où on en bave à l’entraînement. Ces moments où c’est dur de digérer des échecs, que la motivation pour l’entraînement est plus dure à aller chercher, et qu’il faut être là pour trouver les mots et la motiver. A ce niveau-là, notre relation s’est renforcée.
« Selon moi, elle a l’état d’esprit de la perchiste idéale »
Ce qui n’a pas changé en revanche, c’est ce pourquoi on a commencé, et là où on va. Depuis le début, ça matche entre nous. A l’époque, elle était toute jeune, seulement 15 ans, mais on a tout de suite senti cette confiance et ces accroches. Plus que la technique, la force physique, et tout le reste lié au sport en tant que tel, elle a un état d’esprit exceptionnel. Selon moi, elle a l’état d’esprit de la perchiste idéale. L’envie, la persévérance… Et ça, on l’a ou on ne l’a pas, ça ne s’apprend pas. Elle sait que j’ai confiance, et on a trouvé notre équilibre, qui doit sans cesse être réajusté certes, mais qui est bien là. Il y a six ans, je lui avais donné un classeur avec nos objectifs. Et tout ce qui était écrit dedans s’est réalisé jusqu’ici !
Cette année, vous avez quitté votre activité d’infirmier pour vous consacrer pleinement à l’entraînement de Margot et de Valentin Lavillenie, qui vous a rejoint. Est-ce que vous auriez imaginé vous lancer autant dans ce projet autour de Margot ?
Pas du tout ! Il y a encore quelques mois, je n’y pensais pas. Depuis peu, Margot a droit à des aides, qui lui donnent de meilleures possibilités financières pour ses coachs. Alors, j’ai pu avoir un poste d’entraîneur détaché au club. Pour ça, j’ai quitté mon CDI, pour un CDD d’un an renouvelable et qui dépend entièrement de ses résultats ! C’est un choix très osé, mais c’est parce qu’on y croit à fond. Après mon retour avec elle, il y a un an, c’est devenu ma priorité. Ne plus faire les choses à moitié, se donner tous les moyens et ne pas avoir le moindre regret. J’ai toujours été comme ça, je me lance totalement dans ce que je fais. D’autant plus quand j’entrevois quelque chose de grand au bout.