Suite et fin du témoignage d’Axel Carion, aventurier renommé de l’ultracyclisme et détenteur de plusieurs records dans certains des environnements les plus hostiles de la planète. Première partie de l’interview à retrouver ici.
“Les conditions sont tellement extrêmes sur place qu’il y a un lien naturel entre les gens”
Vous avez passé plus de 100 nuits chez l’habitant lors de vos aventures. Y a-t-il une rencontre qui vous a particulièrement marqué ?
Il y en a tellement ! C’est un peu compliqué, comme pour Antoine de Maximy, d’établir une hiérarchie de toutes ces belles rencontres. Je pars à chaque fois en autonomie avec peu de matériel, parfois sans tentes, auquel cas je sollicite l’aide des locaux. Cela demande une vraie volonté d’aller vers les autres, afin de parvenir à briser la barrière du premier contact pour dormir chez eux, dans la mesure où ils m’ouvrent leur sanctuaire, leur vie privée.
En fait, c’est plutôt un ensemble de rencontres qui m’ont particulièrement marqué. Lors de ma dernière expédition en Bolivie, j’ai été accueilli, avec Grégory, plus de cinq fois en dormant dans des écoles, d’anciens théâtres ou chez l’habitant directement. Ce sont de beaux souvenirs, parce qu’en altitude – entre 3000 et 5000 mètres ici en l’occurrence – personne ne nous a laissé dormir dehors. On avait notre tente mais malgré ça, quand on cherchait à se mettre à l’abri le soir dans des villages, on était systématiquement logés. Les conditions sont tellement extrêmes sur place qu’il y a un lien naturel entre les gens, personne ne dort dehors, parce qu’on peut potentiellement mourir de froid. Lorsqu’on demandait de l’aide, on nous logeait dans des maisons communales, des salles des fêtes ou autres édifices.
Quelles alternatives aviez-vous en cas d’impossibilité de vous faire loger ?
En Bolivie, on s’est retrouvés une fois dans ce cas de figure quand on a traversé le désert de sel d’Uyuni. C’est une grande étendue qui fait plus de 160 km de long de sel, et qu’on n’a pas réussi à traverser en une seule journée. On a donc dormi sur une île privée, à proximité de l’île Incahuasi. Il y a dans cette zone des îlots rocailleux d’environ 60m de long, sur lesquels on retrouve du cactus et de la formation végétale. On a bivouaqué sur l’un d’entre eux avec nos tentes. C’est pour ces situations qu’on prévoit tout un matériel pour pouvoir tenir en autonomie par grand froid, s’il fait moins 15 ou moins 20 degrés, avec duvets, tentes et matelas adaptés.
“Le vélo est un outil qui permet d’être au contact de la nature, avec tous nos sens en éveil”
Selon vous, qu’est-ce qui fait du vélo le moyen ultime d’exploration, par rapport à la marche à pied ou à la voiture par exemple ?
Concernant la voiture, je pense que l’on est quasiment aveugle par rapport au vélo. Pas aveugle au niveau de la vue, mais de tous les autres sens, tels que le toucher, le goût, ou l’odorat. On est derrière une vitre, donc le pare-brise nous prive de toutes les sensations que l’on peut ressentir et auxquelles on peut être exposé en pleine nature. Le vélo est très sensoriel, c’est un outil qui permet d’être au contact de la nature avec tous nos sens en éveil. Le rythme est également beaucoup plus lent par rapport à la voiture, et permet de rentrer dans un cadre d’observation que n’offrira jamais la voiture.
Par rapport à la marche, c’est encore différent. J’ai un copain d’aventure qui vient souvent gérer la logistique, pour ramener des équipes médias, parfois des journalistes ou un photographe, voire un réalisateur pour filmer. Lui, il marche beaucoup, et on discute souvent de la dualité entre la marche et le vélo. La marche, c’est un rythme encore plus lent, mais plus aliénant. Physiquement, cela demande un effort tellement extrême que, lorsqu’on marche, notre faculté d’observation est moins bonne que sur un vélo. On est parfois obligé de se mettre complètement en sommeil, aliéné par l’effort nécessaire, surtout dans un cadre montagneux avec beaucoup de dénivelé. On va finalement principalement regarder ses pieds, et ne plus se souvenir de grand-chose.
Le vélo est aussi une prothèse, dans le sens où on évolue sur des axes construits et étudiés pour les roues, avec une déclivité plus faible. Il y a donc la possibilité de rentrer dans un rythme, qui offre la capacité d’observer autour de soi puisqu’on n’a pas le nez sur sa roue.
“Ça aurait été un crime de ne pas écrire ce livre”
Vous avez écrit un livre l’année dernière (“Le Monde à vélo”, éditions Casa). Vous y partagez vos expériences et y donnez des conseils pour voyager à vélo. Qu’est-ce qui vous a poussé à l’écrire, et quel message souhaitez-vous transmettre aux lecteurs ?
Je l’ai écrit tout simplement parce que ça aurait été un crime de ne pas le faire ! Un crime d’égoïsme, dans la mesure où j’ai eu la chance d’aller dans des endroits que beaucoup de gens ne verront jamais de leur vie, à cause des conditions extrêmes pour y parvenir. C’était de mon devoir et de ma responsabilité, ça aurait été un crime de ne pas partager tout ça et de le garder seulement pour moi.
La deuxième raison est que je suis souvent accompagné dans mes expéditions par un photographe, David Styv, qui est à l’initiative des illustrations de mon livre, illustrations auxquelles a aussi contribué Didier Martin. C’est donc un témoignage collectif de ce type d’exploration, je suis rarement parti seul précisément pour essayer de ramener dans mes sacoches autre chose qu’une expérience intérieure.
Ce livre, c’est une volonté de partager ma passion du voyage à vélo, les lieux extraordinaires que j’ai eu la chance d’explorer, et de mettre le tout en musique grâce aux photos, à l’aide de personnes qui ont des yeux particuliers. Et j’espère inciter les gens à se mettre en mouvement, pour reprendre Montaigne qui écrivait “la vie n’est que mouvement”. Le vélo, pour cet objectif, est un outil formidable et bien plus accessible qu’on ne le pense.
Avez-vous un itinéraire ou un défi que vous rêvez encore d’accomplir ?
Je ne suis pas de ceux qui cochent des cases. Je ne me dis pas qu’il faut que je fasse telle ou telle chose pour que ma vie soit réussie. En revanche, avec l’âge, comme j’approche des 40 ans (il les aura en juillet), je trouve sain d’imaginer et même de rêver refaire quelque chose que j’ai déjà fait. Pour explorer et retrouver une beauté que j’ai pu détecter et percevoir, en particulier, au Pérou.
Je rêve donc de pouvoir refaire l’expédition du Chemin royal des Incas, qui est l’une des plus belles que j’ai réalisées. Il y a probablement beaucoup de choses que je n’ai pas vues, et refaire ce tracé me permettra peut-être d’y saisir encore un peu plus d’ingrédients et de beauté.
Pour en savoir encore plus sur Axel Carion, vous pouvez retrouver photos et récits sur son site internet : https://axelcarion.com/
Ainsi que des vlogs de ses aventures sur sa chaîne YouTube : https://www.youtube.com/@AxelCarionexplorer