Ce n’est pas seulement du football que l’on partage au Blanc-Mesnil SF, c’est d’abord un projet où le ballon tient un rôle social et éducatif. Un club qui a su mettre ses objectifs pédagogiques au premier plan, plutôt que de chercher les trois points de la victoire à tout prix…
La rentrée a déjà sonné, mais le parfum estival flotte encore dans le stade Jean-Bouin du Blanc-Mesnil. Cristiano Ronaldo, Neymar, Mbappé…, les petits arborent fièrement les maillots de leurs idoles, avec deux étoiles de champions du monde dans les yeux. En coulisses, en revanche, pas le temps de revenir sur l’exploit des Bleus, l’heure est au travail. Les éducateurs et le staff sont sur le pont, un pied sur le terrain, l’autre dans l’administratif, pour répondre aux parents qui patientent avec leur dossier d’inscription. Le Blanc-Mesnil SF, l’un des mastodontes de la Seine-Saint-Denis, croule sous les demandes de licences. « On a plus de 1 100 licenciés, explique Siné Danioko, le directeur technique. Chaque année, on est obligé de refuser du monde faute de moyens. Nous, ce qui nous intéresse, c’est de pouvoir les encadrer correctement ». Situé à quelques kilomètres du stade de France, le Blanc-Mesnil (et ses 56 000 habitants) a toujours fédéré sa jeunesse autour du ballon rond. Son équipe première Seniors, qui évolue en Nationale 3 (ex CFA2, équivalente à la 5e division) compte dans ses rangs pas moins de sept joueurs qui ont été formés au club dès le plus jeune âge. Le signe d’une chaîne sportive et pédagogique efficace. Car, si les seniors pratiquent un football aux portes du niveau professionnel et que toutes ses catégories de jeunes évoluent en ligue, le club se distingue surtout par son travail de fond, dont l’accent est porté sur l’éducation et la formation de tous : joueurs comme entraîneurs. « Ici, les coaches sont des éducateurs. Le mot éducateur doit prendre tout son sens chez nous », poursuit Siné Danioko. « Former des citoyens avant de former des footballeurs, c’est le cœur de notre projet ».
Des éducateurs avant d’être des coachs
Sur le petit terrain synthétique, les U9 et U10 se partagent le terrain en quatre. Les coachs déposent minutieusement plots, coupelles et cerceaux, tandis que les petits travaillent inlassablement leurs jongles. Relais, slaloms, conduites de balles. Au cours d’un exercice de conservation de balle, Serge, l’un des coaches, interrompt le jeu pour questionner son groupe : « Stop ! Est-ce que cette passe est utile ? » Les mains des joueurs se lèvent. Réponse collégiale : « naaaannn ! », « Pourquoi ? », « Parce qu’il est trop près le joueur ! », « Alors, que faut-il faire ? », « Il faut s’écarter… ». Ici, stimuler l’attention des petits, les amener à réfléchir par eux-mêmes, fait partie de l’apprentissage maison. Pour se donner les moyens de ses ambitions pédagogiques, le club finance chaque saison la formation de ses éducateurs. « Ҫa fait partie d’un engagement commun », poursuit le technicien. « Quand les jeunes veulent prendre en main une équipe, ils s’engagent à passer des formations auprès du District, puis de la Ligue. En parallèle, nous les suivons avec un référent et les accompagnons tout au long de l’année. Cet apprentissage passe aussi par beaucoup de dialogue au quotidien, et par des réunions techniques régulières pour ne pas les laisser livrés à eux-mêmes ». Une dynamique qui va dans le sens de la politique sportive du District de Seine-Saint-Denis où l’on dénombre plus de 37 000 licenciés. « Le 93 a longtemps été réputé comme un département particulièrement dense et difficile, explique Christophe Moro, le coordinateur technique départemental au sein de la fédération. C’est ce qui a conduit les clubs à se structurer et encadrer de manière rigoureuse leurs éducateurs, qui sont de mieux en mieux formés. C’est l’une des clés des clubs qui réussissent ».
Des parents omniprésents
Pause fraîcheur. Les petits filent vers leurs gourdes et les robinets à la sortie du terrain, sous les regards des nombreux parents qui n’hésitent pas à intervenir auprès de leurs progénitures et parfois même… des coachs. « Il y a un gros travail à mener avec les parents… regrette le technicien. Certains d’entre eux perdent la tête avec le foot. Je leur dis souvent : « Vous avez plus de chances que votre fils soit médecin ou avocat que footballeur professionnel ! Alors, misez d’abord sur l’école ! » ». Difficile en effet de ne pas rêver quand des recruteurs de clubs pros viennent chaque week-end scruter les équipes de jeunes à l’affût de la future pépite. « C’est devenu de la folie, déplore Siné. Les clubs pros qui viennent de plus en plus tôt recruter des gamins d’à peine 11 ans. Ça nous met en difficulté : tout le monde se met à rêver, ce qui modifie les comportements de tous, éducateurs, enfants, et parents ». Loin des débats des adultes, certains enfants comme Nolan, 9 ans, gardent les pieds sur terre : « Je suis au club depuis que j’ai 4 ans. Je viens pour m’amuser, pour le plaisir de jouer avec mes copains ». Son papa va plus loin : « Nous n’avons pas mis nos enfants ici pour en faire des champions du monde. Ce qu’on veut c’est qu’ils s’amusent, l’esprit libre ! » D’autres, en revanche, rêvent à voix haute, comme ce joueur de 9 ans : « Le foot c’est ma passion, c’est là où je suis le meilleur. Peut-être qu’un jour, moi aussi je serai pro… »
Des activités extra-football
Au BMSF, la dynamique d’encadrement va bien au-delà du terrain. « On mène beaucoup d’actions de solidarité, d’éveil, de citoyenneté, explique Julien Menu, référent au club sur les activités extra-football. Il nous arrive, par exemple, d’emmener trois à quatre fois dans l’année des adolescents faire des maraudes à Paris, pour qu’ils mesurent certaines réalités, certaines valeurs. Les stages qu’on organise sont aussi des moments privilégiés pour les éveiller. Quand on sort du cadre du football, la vie en collectivité prend encore plus de force ». Le lien avec l’école est également très fort, avec des classes foot aménagées dans un collège et un lycée (voir encadré). Un suivi des bulletins et de l’aide aux devoirs organisée permettent également d’avoir une prise directe sur les jeunes et leurs comportements en dehors des terrains. Un accompagnement qui transpire au quotidien sous différentes formes. « Parmi nos coaches, certains passent un temps considérable pour trouver des stages à leurs joueurs, on trouve aussi des financements pour passer le BAFA… Tout se passe de manière informelle ». Dans un contexte où le foot amateur est enclin à des dérives individuelles et carriéristes, les valeurs socio-éducatives replacées au premier plan permettent au BMSF de fidéliser ses licenciés et d’obtenir des résultats sur le long terme. « Tout ne fonctionne pas comme on le voudrait, évidemment, il y a des situations qu’on n’arrive pas à résoudre mais, dans la majorité des cas, on s’en sort bien !, sourit Siné Danioko. Notre force, c’est notre réseau. On a su s’ouvrir à tous : des directeurs de centres de loisirs, des chefs d’entreprises, et bien d’autres parmi les parents qui nous aident aussi au quotidien avec leur regard et leurs compétences. Prêter attention à tous, au-delà du football, c’est surtout ça notre rôle ! »
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Un lien étroit avec l’école
Depuis une dizaine d’années, le club a intégré un des collèges de la ville. « On a une section sportive avec un collège de la ville où une cinquantaine de jeunes de la 6e à la 3e ont intégré des classes sports, avec des horaires aménagés, encadrées par les éducateurs du club, explique le directeur technique du BMSF. Cela nous permet d’avoir des rapports privilégiés avec le collège et ses enseignants. Quand il y a un problème avec un jeune, on est les premiers informés, quasiment en temps réel. Nous sommes un vrai relais éducatif. On regarde les bulletins, on connaît les familles, on assiste aux conseils de classes des élèves… on discute avec les parents des difficultés rencontrées. On les accompagne au quotidien. Cette action s’étend d’ailleurs cette année avec un lycée sur le même mode ».