Dans un entretien exclusif (partie 3/3), la ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques dévoile son plan pour faire de la France une nation plus sportive. Amélie Oudéa-Castéra évoque également ses ambitions pour faire briller la France lors des JOP 2024 à Paris.
Quel héritage ces Jeux olympiques et paralympiques doivent-ils laisser, selon vous ?
Il y a déjà un héritage matériel, lié à l’ensemble des investissements consentis pour la Seine-Saint-Denis. Ce département concentre 80% des investissements de la Solideo, avec la construction du village des athlètes, du village des médias, qui seront ensuite transformés. Un parc de 4000 logements va être développé, avec 40% de logements sociaux, et des commerces, des bureaux, des écoles, un collège, des crèches… C’est un investissement majeur en Seine-Saint-Denis.
L’héritage concerne aussi l’emploi. On a voulu que 10% des heures travaillées sur l’ensemble des chantiers de la Solideo bénéficient à des publics en situation d’insertion professionnelle, pour favoriser, en Seine-Saint-Denis, l’insertion dans le marché du travail de publics jeunes ou éloignés de l’emploi. Sur notre objectif global de 2,4 millions d’heures, nous en avons déjà réalisé 1,1 million, qui ont pu bénéficier à environ 1500 personnes du département. On accompagne vraiment la dynamique de l’emploi et de la formation. Dans la même logique, une clause nous engage à ce que 25% des marchés des Jeux olympiques et paralympiques puissent bénéficier à des PME et TPE, ce qui va là-aussi permettre de dynamiser le tissu économique local en Seine-Saint-Denis.
« Faire progresser le sport sur ordonnance »
Un autre élément très important touche le domaine sociétal et sportif : l’engagement pris dans le savoir nager. La Seine-Saint-Denis est l’un des départements historiquement les moins dotés en infrastructures sportives, notamment en piscines. Il y a un grand plan d’investissement à la fois dans la maquette des travaux de la Solideo, mais aussi à travers une somme de 15 millions d’euros pour les piscines du département. Aujourd’hui, trois-quarts des enfants de Seine-Saint-Denis ne savent pas nager. C’est une dimension de l’héritage très importante, sur laquelle on consent des investissements sans précédent avec le département.
Il y a ensuite une série de thématiques sur lesquelles on construit l’héritage d’une nation plus sportive. Ainsi, on est en train de faire progresser le sport sur ordonnance, pour que le sport puisse être considéré comme un élément à part entière dans les parcours de soins. Nous travaillons aussi sur un grand plan d’équipements de proximité, impulsé en octobre 2021 par le Président de la République, qui prend le visage des 5000 terrains de sport. Rénovation et construction du parc d’équipements, sur le territoire et en outre-mer, permettront de donner à la France un visage plus sportif.
Dans la même logique, avec l’Agence nationale pour la cohésion des territoires, nous travaillons sur le mobilier urbain, les aménagements en zones urbaines et rurales, autour d’un concept qui s’appelle le design actif. Comme à New York et Copenhague, pour donner une plus grande impulsion à la pratique sportive, l’idée est de créer des espaces propices, incitatifs aux mobilités douces et à l’activité physique (pistes cyclables, sentiers piétonniers, parcs plus verts en centre-ville…).
Nous souhaitons aussi accompagner la transition écologique par le sport, et favoriser la contribution du sport à cette transition, sous trois formes. La première, c’est le déploiement d’engagements écoresponsables lors des grands événements (lutte contre le gaspillage alimentaire, recyclage de la matière, développement des énergies renouvelables, etc.). C’est aussi un plan de sobriété énergétique que l’on va mener à la rentrée avec Agnès Pannier-Runacher. Le troisième volet, c’est le plan d’adaptation de la pratique au réchauffement climatique, qui a une dimension tournée vers la sécurité des pratiquants, et qui doit permettre de mieux tenir compte des épisodes de canicule, avec Christophe Béchu.
Ce que je souhaite également mentionner, c’est la pratique sportive des personnes en situation de handicap. Avec Geneviève Darrieussecq, nous souhaitons tripler le nombre de sections sportives qui puissent accueillir des personnes en situation de handicap, avec des bénévoles ou des éducateurs sportifs formés à leur accueil, afin de les prendre en charge et proposer des activités sportives adaptées. C’est un engagement majeur, qui fait l’objet de crédits de formation que nous avons renforcés à hauteur de 2,5 millions d’euros.
Enfin, après sport et éducation, sport et santé, sport et écologie, sport et handicap, un dernier point concerne sport et entreprise. Avec Olivier Dussopt, nous voulons encourager les entreprises à investir dans la promotion des activités physiques et sportives de leurs salariés. Aujourd’hui, seuls 13% des salariés en France font du sport sur leur lieu de travail, alors que dans les grandes entreprises, plus de 80 % des salariés ont envie de pouvoir pratiquer une activité physique et sportive sur leur lieu de travail.
La féminisation des instances et la médiatisation du sport féminin étaient des enjeux importants annoncés par l’équipe précédente. Etes-vous satisfaite de l’évolution positive en ce sens ? Faut-il encore accélérer le travail sur ce sujet ?
Notre stratégie est d’ancrer la dimension féminine dans toutes les politiques que l’on conduit et que je viens de lister. Si je prends l’exemple des terrains de proximité, nous voulons qu’ils soient bien pensés pour les femmes, avec des vestiaires pratiques pour qu’elles puissent se changer après la pratique d’une activité. De la même façon, concernant l’éducation, nous travaillons avec l’UNSS sur la lutte contre le décrochage des jeunes filles à l’âge de 13 ou 14 ans. Avec le ministre de la Santé, nous souhaitons proposer des solutions dans le cadre de la PMI (Protection maternelle et infantile), pour que les jeunes femmes qui viennent d’avoir un enfant, puissent être encouragées à reprendre une activité physique adaptée, avec des conseils et, si besoin, l’accès à des plateformes et des cours collectifs.
Il y a ensuite un volet plus spécifique qui évolue bien, celui du sport professionnel. C’est un sujet qui mérite un traitement particulier. Nous avons de bons résultats et je suis très heureuse du succès d’audience et du succès populaire du Tour de France féminin. Nous avons également de très bons résultats avec le basket 3×3, le volley, l’Euro de football… Il y a une dynamique très porteuse pour le sport féminin, mais j’ai la conviction qu’il faut accentuer l’effort. C’est pour cela qu’avant la fin de l’année, je réunirai les parties prenantes pour qu’on réfléchisse, avec les médias, les sponsors, des influenceurs capables de bien médiatiser et de bien aider au rayonnement du sport féminin, à une initiative forte pour continuer à porter ces thèmes-là. Et montrer tout ce que le sport féminin peut apporter en termes de spectacle et de mise à l’honneur des femmes, en défendant une plus forte égalité hommes-femmes, qui est à nouveau une grande cause du quinquennat.
L’équipe précédente avait la volonté de lutter contre les violences sexuelles dans le sport, avec des dispositifs mis en place pour libérer la parole qui ont eu des résultats. Allez-vous continuer ce combat ?
Cela va se poursuivre sans relâche. J’ai nommé à la tête de mon administration centrale, la direction des sports, la personne qui était la coordonnatrice de toute cette initiative sur les violences sexistes et sexuelles. C’est vraiment à la fois l’hommage que je souhaitais rendre à son action, mais aussi le signal que je veux envoyer, que cette dimension régalienne de l’action du ministère des Sports est plus que jamais au cœur de mes priorités.
Qu’attendez-vous des fédérations sportives, et de leur fonctionnement ?
Depuis ma prise de fonction, j’ai déjà rencontré une trentaine de présidents de fédérations, avec leur directeur technique national et, souvent, leur directeur général. Les dimensions de l’offre loisirs et du développement des clubs sont bien prises en compte, tout comme la nécessité de proposer une offre sport santé, pour permettre à des personnes qui n’ont pas fait de sport depuis longtemps de ne pas se laisser décrocher. C’est vraiment très important. Il faut aussi développer avec les fédérations un dialogue de gestion régulier. Aujourd’hui, il y a beaucoup de documents produits par les fédérations mais qui ne sont pas assez discutés, challengés. Je veux donner beaucoup plus de place au dialogue, à l’interaction humaine entre ces grands pôles que sont la direction des sports, les fédérations, mais aussi l’Agence nationale du Sport. J’ai mis cela au cœur de la proposition de réforme de la gouvernance, que j’ai présentée aux acteurs du sport français lors du séminaire organisé avec plus d’une centaine d’acteurs, le 18 juillet dernier.
Selon moi, il y avait un déficit de gouvernance d’abord parce qu’il y avait un déficit de vision partagée. Dans le « Qui fait quoi ? », en rendant plus clair le « quoi », avec tout ce qu’on a évoqué dans cet entretien, la question du « qui fait » devient elle-même mieux posée, mieux articulée. Il faut des relations beaucoup plus proches, beaucoup plus constructives et suivies, dans un dialogue de qualité, à partir d’objectifs partagés entre la direction des sports, l’Agence nationale du Sport et les fédérations. Et en donnant au CNOSF et au CPSF un rôle particulier pour travailler sur tous ces sujets, nous impulserons tous ensemble une dynamique qui nous positionne idéalement à la fois pour réussir les Jeux, mais aussi pour réussir notre objectif d’une nation plus sportive.