Laura Tarantola et Claire Bové, binôme de choc des poids légers, sont prêtes à se transcender à l’occasion des Jeux Olympiques de Paris.
Après votre échec au championnat du monde, qu’avez-vous mis en place pour corriger vos erreurs et revenir plus fortes ?
Claire Bové : Déjà, ça nous a permis de nous rappeler qu’on avait vraiment envie de le faire et que ça fait peur, car tout peut s’arrêter d’un instant à l’autre. On s’est reposées. On a appris qu’il fallait arriver en forme sur une compétition, pour pouvoir performer. Et si on n’arrive avec rien dans le sac, et bien on ne peut rien donner. On a une équipe derrière nous sur laquelle on peut compter. Ils sont là pour gérer notre état de forme, nos besoins. Techniquement, on a toujours quelque chose à gagner, on a besoin d’être plus précise, plus en rythme, plus ensemble, plus synchronisée l’une avec l’autre que ce soit dans la communication ou dans la façon de faire et dans la gestuelle technique. Donc on est repartie au charbon, comme on l’a toujours fait même avant l’olympiade.
Même quand on se connaît, y’a-t-il un travail d’adaptation à faire durant une course ?
Laura Tarantola : Oui, c’est le mot d’ordre, on s’adapte.
Claire Bové : On s’adapte tout le temps, à tout, à nous-même. Devant le bateau, je dois aussi m’adapter. Déjà à gérer mon effort par rapport aux filles qu’il y a côté. Si à un moment donné Laura me dit, là on est deux, on est quatre…il faut partir quoi ! Si je sens qu’il y a un petit coup de moins bien derrière moi, j’adapte mon rythme pour que ça tienne jusqu’au bout. S’adapter aussi aux conditions météorologiques. Il faut être à fond pour être devant les autres. Des fois on se transcende, et ça, ça passe par le plaisir de la glisse. Ça passe par le fait qu’on a confiance en nos corps. Et souvent pendant la course, il faut toujours se répéter que c’est possible de faire un pas de plus et se dire qu’on ne va pas mourir, parce que pour l’instant on n’est jamais morte.
Vous nous dites que « Des fois on se transcende » expliquez-nous ce qui se passe à ce moment-là ?
Claire Bové : Ce moment où on ne sent plus notre corps. On se dit que c’est dur, que ça brûle de partout. On a la lucidité d’envoyer un message pour rester techniquement irréprochable ou d’essayer d’avoir l’irréprochable techniquement. Mais notre corps n’obéit pas. On a l’impression de vouloir faire quelque chose et on ne sent pas ce qui se passe. Ça passe dans l’automatisme. On a l’impression d’être déconnecté du corps. J’ai souvent entendu maman me dire qu’elle appelait ça « le mur du son » avec sa coéquipière. On est tellement hypnotisée par notre geste qu’on ne sent plus ce qu’on fait. Mais on sait qu’on va vite et on le voit. On a l’impression qu’on peut en mettre encore plus, on sait qu’il ne faut pas s’arrêter, pas changer ou juste accélérer. On sait que si on le fait à ce moment-là, ça ira jusqu’au bout !
On a l’habitude de vous voir ramer ensemble, mais lors des championnats de France, en skiff vous ramez l’une contre l’autre, racontez-nous comment se passe la concurrence ?
Claire Bové : C’est hyper dur car il n’y a pas vraiment d’animosité, parce qu’on fait toujours les choses l’une avec l’autre, ça nous arrive même de faire les échauffements ensemble. Sur une course, on est des compétitrices, quand on s’aligne au départ on a envie de gagner. Il y’a toujours ce petit clin d’œil au départ, d’abord on veut le faire pour le double, donc c’est une des deux et peu importe ce qui se passera à la fin. Et puis à la fin on se dit, là le titre de championne de France j’ai envie de le garder ou d’aller le rechercher et c’est aussi ce qui anime notre vie de sportive et de challenger. On a envie de l’avoir !
Certains nous ont dit que l’arrivée de de Yürgen Gröbler, leur a été très bénéfique, c’est aussi votre cas ?
Laura Tarantola : Je pense qu’après on est tous sur des carrières différentes avec des expériences différentes. Nous on n’était pas du tout au bout du rouleau à Tokyo, donc en fait même si ça avait continué comme c’était avant, on n’avait pas ceEe envie à tout prix que tout change. En revanche, ça a fait du bien quand même.
Claire Bové : Je pense que ce n’est pas pareil de finir une olympiade sur une petite note argentée que sur autre chose. Donc forcément on a aimé notre olympiade de Tokyo et là on aime notre olympiade de Paris jusqu’à maintenant.
« Faire toujours mieux, en restant dans la lucidité de ne pas en faire trop »
C’est un avantage de connaître son bassin pour les JO ?
Claire Bové : C’est un grand lac de 2000m avec pleins de bouées. (rires)
Laura Tarantola : Ce n’est pas un avantage incroyable d’être là au quotidien, comparé à Tokyo, on n’y était pas allée et ça ne nous a pas empêché de réussir. Ça nous permet de voir un peu les tendances du vent, même si sur le jour J, on ne peut pas savoir ce qu’il y aura. D’autres nations sont déjà venues plein de fois aussi et connaissent le bassin. Mais c’est chouette de pouvoir être là, de voir l’évolution des choses qui se construisent. Et puis on verra bien le jour J c’est là qu’on se rendra compte que ce sont les Jeux à la maison !
Claire Bové : Ce sera surtout à ce moment-là qu’on va réaliser.
Il reste 50 jours avant les JO, comment s’organise votre planning ?
Claire Bové : On va aller à l’entrainement, on va se faire plaisir, on va progresser, à chaque coup qu’on va donner on va essayer d’être techniquement précise, toujours plus ensemble. On peut améliorer tellement de petit point de détail dont on n’avait même pas conscience jusque-là. Il faut faire toujours mieux, en restant dans la lucidité de ne pas en faire trop.
Laura Tarantola : Et puis on a la coupe du monde de Poznan, ce qui nous permettra d’avoir des repères à l’instant t, sur des bateaux qu’on n’a jamais vus cette année encore. Ensuite on part pendant un mois dans le sud-ouest, pour faire le dernier stage, qui sera un stage de volume. Et nous, ça nous fait du bien.
C’est la dernière olympiade pour votre catégorie en « double, poids légers », elle n’existera donc plus aux JO de Los-Angeles. Avez-vous pensé à ce que vous alliez faire après Paris ?
Claire Bové : Moi j’ai très très envie de continuer à ramer, parce que ça reste pour l’instant ma passion. Je ne suis pas arrivée au dégoût de la discipline. Peut-être un nouveau challenge, je vais voir si je peux allier toutes les catégories.
Vous seriez intéressées par la Beach Rowing, qui entrera aux JO de Los Angeles ?
Claire Bové : Oui, je ne me ferme pas de portes. Si j’arrive à remettre mon frère à la compétition, pourquoi pas un couple mixte familial, ça pourrait être cool ! Après l’aviron de mer, je n’ai pas encore testé, y’a moins cette sensation de glisse pour le peu que j’en ai fait. Après je ne crache pas sur la discipline. Si ça se trouve c’est juste moi qui rame mal en mer. Après, l’entrainement paiera si je me lance dans cette discipline-là. Si je n’arrive pas à entrer en équipe de France de rivière, j’irai chercher les cartes ailleurs.
Laura Tarantola : Pareil, je ne me ferme pas de portes. Avant Tokyo je ne savais pas ce qu’on ferait après, ça s’est super bien goupillé. Et là je ne sais pas ce que je ferais après, je suis concentrée sur Paris. Au jour le jour.
Propos recueillis par Aurore Quintin