Baptiste Chassagne : « La SaintéLyon, c’est une véritable aventure intérieure »

@ Hugo Servant

Pour sa 3e participation, et après avoir été sacré de champion de France de trail et fini 10e au dernier UTMB, Baptiste Chassagne, 30 ans, est clairement l’un des favoris de la 69e Asics SaintéLyon qui se court dans la nuit de samedi à dimanche. Dans le milieu de la course à pied où il est apparu récemment à haut niveau, ce Lyonnais fan absolu de l’ASSE, diplômé de SciencesPo Paris, dénote. « On peut se tutoyer ?, demande-t-il au bout du fil. Cela rajoute de la chaleur humaine, on va en avoir besoin samedi soir ! » Découverte.

Comment se présente cette SaintéLyon pour vous ?
Pour être transparent, je suis assez stressé, j’ai le trac. Parce que je me sens assez attendu et du fait de mon nouveau statut lié à la saison que je viens de réaliser. Je n’ai pas une préparation optimale : à l’issue de l’UTMB, j’ai fait une belle coupure pour respecter mon corps et mon esprit. Donc je n’arrive pas dans la plus belle des formes dans le sens où je n’ai pas préparé spécifiquement cet événement mais en même temps je me présente avec beaucoup d’enthousiasme parce que ma saison est réussie, c’est un peu la cerise sur le gâteau. Je suis un peu à mi-chemin entre ces deux sensations assez contradictoires.

Quelles sont vos attentes ?
C’est ma 3e participation : la 1ère fois, j’ai fini 4e, la 2e fois, j’ai fini 3e. J’ai envie de faire mieux un jour et je courrai cette course jusqu’à ce que je la gagne. C’est un peu mon étoile du Nord. En revanche, je suis en phase avec le fait que cette année je ne suis pas prêt pour jouer la gagne. L’an dernier, j’ai pris des risques pour gagner et je suis tombé sur plus fort que moi. Cette année, j’ai envie de participer à la fête, de faire la plus belle course possible mais je n’ai pas envie de me mettre dans la tête que je vais engager tôt dans la course et me mettre dans un mood de vainqueur. S’il y a un scénario favorable qui se dessine et qu’il y a une opportunité qui se présente, évidemment je ne vais pas la laisser passer mais ce n’est pas le mood dans lequel je me trouve actuellement.

Que représentent pour vous cette course et cet événement ?
C’est ma course de cœur. Je suis un enfant de la SaintéLyon. Pour la petite histoire, j’ai découvert l’existence du trail par mon prof d’auto-école, Manu Meyssat, qui est double vainqueur de l’épreuve. Pendant un cours, il a commencé à me parler de ce qu’il faisait à côté de son boulot et donc de la SainteLyon. J’ai trouvé ça fascinant. Quelques années plus tard, je me suis retrouvé sur la même ligne de départ que lui… De mon côté, j’ai grandi entre Lyon et Sainté ; on passe juste à côté de mes grands-parents, à Sorbiers ; les Monts du Lyonnais sont mon terrain d’entraînement quand je suis à Lyon, il y a une très forte symbolique. Et puis, je la trouve magnifique cette course. Ce que j’aime dans le trail, c’est l’aspect fédérateur. J’aime la compét’ mais ce qui est beau aussi, c’est l’esprit et la convivialité. Et ça quand tu es sur une course aussi populaire, tu le retrouves vraiment, c’est ça qui me plaît.

D’autant plus dans le froid et de nuit…
Ah oui, c’est une course qui est rude (il insiste). Si tu ne sais pas pourquoi tu y vas, et ben tu n’y arrives pas en fait. Ou tu ne la vis pas pleinement parce qu’il fait nuit, il fait froid. Il n’y a pas l’aspect hédoniste qu’on retrouve sur certains trails de montagne, en revanche c’est une véritable aventure intérieure avec cette flamme qui te fait te demander : pourquoi tu le fais, pourquoi tu as envie de rallier ces 2 villes et ça te galvanise ! Manu Mayssat me disait : « Ce n’est pas le meilleur qui gagne, c’est celui qui a le plus envie. » Parce qu’il y a vraiment une notion de mental qui est liée à la rudesse des conditions. Ce que j’aime aussi, c’est un paradoxe : c’est une course extrêmement populaire mais durant laquelle tu te retrouves vraiment très seul à certains moments. Dans la nuit, tu as moins de champs de vision, du coup tu te focalises sur d’autres sensations que sont le souffle, les odeurs, les bruits et ça te donne un truc un peu tamisé, une profonde solitude alors que quelques minutes avant tu étais avec 10 000 coureurs.

Vous faites partie clairement des favoris. Cela rajoute au stress et au trac ?
Non, je le prends vraiment comme une nouvelle étape de ma démarche. Moi, je n’étais pas programmé pour être sportif de haut niveau. Je me suis d’abord engagé dans les études, j’ai fait SciencesPo à Paris, pour travailler avec des sportifs de haut niveau, justement, par passion pour le sport. Je ne pensais pas avoir ça en moi mais à un moment donné j’ai pris mon chemin, j’ai découvert le trail et aujourd’hui je continue. Je prends tout comme une nouveauté et un privilège. Ce nouveau statut, je l’ai cherché aussi bien dans ma performance que dans ma communication. Et je me dis que c’est une étape indispensable à franchir pour devenir le champion que je souhaite devenir.

Vers quoi la course à pied peut vous mener ?
Je suis athlète de haut niveau mais je ne suis pas professionnel et je ne souhaite pas le devenir : j’ai un double projet à côté qui est très important pour mon équilibre, j’ai monté une petite agence de communication et je souhaite la conserver. Quand je me présente sur une ligne de départ, ça me permet de me dire que je n’ai pas que ça, que je ne suis pas bon qu’à ça et quoi qu’il se passe lundi ou mardi matin je pourrai me mettre au boulot. J’aurai quelque chose qui me passionne et qui m’anime autrement donc ça m’enlève une certaine forme de pression.
En fait, ne pas être programmé pour ça et découvrir un peu tout avec un regard nouveau avec énormément d’enthousiasme, ça me pousse à ne pas me fixer de limites en fait. En revanche, je me fixe un cap, qui est très simple : j’ai 3 rêves dans le sport, gagner la SaintéLyon, faire un podium à l’UTMB et honorer le maillot de l’équipe de France. Honorer le maillot de l’équipe de France, je l’ai fait cette année aux Championnats du monde de trail en Autriche. Je dis bien honorer le maillot et pas uniquement le porter. J’aurais pu le porter avant mais j’ai décliné la 1ère sélection en 2022 auprès du sélectionneur Adrien Séguret car je me sentais totalement cramé après l’UTMB. Donc j’ai attendu, je me suis requalifié pour les Mondiaux lors des championnats de France en mars que j’ai remportés en réalisant peut-être la plus belle performance de toute ma vie et là j’étais prêt pour honorer ce maillot. Les Championnats du monde ont eu lieu en juin dernier avec là aussi une course particulière : j’avais des jambes exceptionnelles, je me suis retrouvé en tête de la course, mais je n’étais pas programmé pour ça et je suis parti en cacahouète, j’ai fait n’importe quoi, je ne me suis plus alimenté, j’ai complètement perdu les pédales et j’ai explosé : j’étais 1er au bout d’une heure puis je suis passé 30e. Et en fait, grâce au maillot de l’équipe de France, j’ai réussi à me remobiliser : je reviens dans la course et le scénario fait que c’est moi qui, en finissant 17e, viens valider le titre de champion du monde par équipes, devant les Américains. Le résultat individuel est décevant mais peu importe : cette remobilisation me permet d’honorer le maillot.

Quel est le deuxième pilier de votre double projet ?
En fait, je travaille pour être l’un des meilleurs ultra-tailers du monde mais j’ai envie que ces performances ne soient pas uniquement une finalité : ça peut aussi être un moyen pour m’engager sur des projets associatifs. Je ne vais pas devenir un évangéliste ou un missionnaire mais j’ai une histoire un peu particulière avec la course à pied, laquelle a contribué à façonner l’homme que je suis aujourd’hui. Cela me donne envie de m’engager et c’est un peu ça le cap : être performant parce que c’est comme ça qu’on devient légitime et visible et c’est comme ça que je serai épanoui, mais j’ai aussi envie de rendre et de partager socialement. À ce titre, un engagement a déjà commencé avec l’association Sport dans la ville et il a vocation à progresser doucement mais sûrement.

Comment avez-vous commencé à courir ?
Je suis issu d’une famille très passionnée de sport : j’ai appris à lire avec L’Équipe, je suis né à Lyon au Moulin à Vent (8e) et j’adore cette ville mais je suis supporter inconditionnel de Sainté depuis que je suis tout petit, véritablement piqué à l’ASSE – dont je regarde tous les matches, même en Ligue 2 – par mon père qui m’emmenait au stade à 3 ans (je suis resté abonné pendant de nombreuses années). Sainté, c’est là où il y a toute ma famille et où j’ai passé toutes mes vacances. Je suis un peu bipolaire du coup (rires). J’ai fait beaucoup de foot dans différents clubs de Lyon (le PLHM, devenu le FC Lyon, et au LOSC), je jouais n°6 jusqu’à la fin de mes études à SciencesPo et à partir de là je me suis mis à courir et, de fil en aiguille, je me suis découvert un petit talent sur les courses locales puis régionales et nationales. À 18-19 ans, j’ai fait une anorexie en lien avec des combats intérieurs et la course à pied, ça m’a un peu sauvé. Aujourd’hui, c’est pour ça que je me sens un peu privilégié et j’ai un peu envie de rendre à la course à pied ce qu’elle me donne. J’ai une relation un peu viscérale et pleine de bienveillance et d’indulgence avec ce sport.

Propos recueillis par Sylvain Lartaud

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