Il est l’une des têtes d’affiche du festival Montagnes en scène dans le film Edge of Reason et sera présent notamment à la séance prévue à Lyon, ce mercredi soir. Benjamin Védrines est surtout l’un des alpinistes français les plus en vue ces derniers mois avec un enchaînement de performances marquantes en duo ou en solo. Ce Drômois de naissance nous raconte son approche de son métier et de la montagne.
Gravir les sommets en alpinisme et les redescendre en parapente, c’est votre crédo ? Vous l’avez réalisé au Broad Peak au Pakistan, comme on peut le voir dans ce film, ou au Mont-Blanc dans la cascade Notre-Dame.
Ce qui me plaît énormément, c’est de cumuler deux activités en une journée : arriver au sommet, se poser un moment, puis ressentir le plaisir de descendre en volant et aussi, durant toute l’ascension, de monter avec ce petit suspense de se demander si ça va être possible ou pas de voler en parapente. Car il faut bénéficier de conditions aérologiques favorables pour décoller. Donc c’est rare, peu d’alpinistes le pratiquent. Et en même temps, cela offre un énorme potentiel et permet d’imaginer des enchaînements d’une montagne à une autre. Les parapentes sont maintenant fabriqués en mono-surface, il y a une seule épaisseur de tissu, cela réduit énormément leur poids : 1 kg-1,1 kg maximum, sellette comprise. Je l’utilise de plus en plus à l’entraînement au-dessus de la maison, cela permet d’éviter des passages compliqués dans la descente et d’économiser les genoux. Les descentes, c’est un peu la hantise des alpinistes. Donc là il n’y a pas ce côté pénible que la plupart d’entre nous détestons. »
Qu’est-ce que vous kiffez le plus, la montée en alpinisme ou la descente en parapente ?
Sur des ascensions techniques, c’est l’ensemble des 2 : un mélange opposé entre gravir un itinéraire technique hyper raide et descendre de manière différente, entre le côté laborieux et actif de la montée et le côté plaisant et passif de la descente. Car c’est le décollage qui est le plus compliqué. Une fois en l’air, on peut mettre les mains dans les poches et juste profiter. C’est un plaisir différent et complètement complémentaire. Je le décide au dernier moment en fonction du vent au sommet. Aérologie est très compliquée, demande un peu de temps voir si c’est stable. On checke les prévisions météo la veille, puis le matin et ça reste aléatoire car chaque montagne a des vents locaux. Les prévisions annonçaient 15 km/h, et au sommet on se retrouve avec un vent à 50 km/h.
La plupart du temps, j’ai réussi à décoller en parapente. Une fois, après une très belle ascension dans la face Sud de la Meije, juste au-dessus du refuge de l’aigle, ce qu’on appelle la tête des corridors, il y avait trop de nuages. Les cumulus nous bloquaient la visibilité, c’était trop dangereux, on a décidé de descendre à pied. Cela s’est produit une autre fois au Mont-Blanc. Mais c’est un faible pourcentage. Ça représente 5 % du temps en moyenne montagne et entre 10 et 20 % en haute montagne.
De qui vous êtes-vous inspiré ?
Cette pratique existe déjà depuis longtemps : Jean-Marc Boivin en a été l’un des précurseurs dans les années 80. C’est surtout le delta plane qu’il utilisait pour redescendre avec toutes les contraintes de poids que cela engendrait : il se faisait déposer le matériel sur les sommets (NDLR : il est mort en 1990 au Venezuela après une chute en parapente dans le cadre de l’émission Ushuaïa). Puis le Suisse Ueli Steck (décédé, lui, en 2017 dans une ascension au Népal) s’y est mis à son tour. Depuis 10 ans, la pratique s’est un peu répandue. Avec la création de la mono-surface, ça change tout. Mais ça reste une niche, très peu de personnes l’utilisent : il faut allier des compétences de pilotage pour la descente, de rapidité à la montée pour réussir à décoller tôt ou de jour, et de motivation pour porter la voile. La charge mentale que cela entraîne est très lourde : c’est quand même stressant de se demander pendant la journée de savoir si on va pourvoir voler ou pas. Certains ne sont pas capables d’accepter ce stress et finalement très peu utilisent cette compétence pour faire ce combo. De mon côté, c’est une facette en plus de ma pratique de la montagne.
Oui, car vous êtes avant tout un sportif hyper polyvalent.
Oui, une polyvalence qui m’amène à pratiquer l’alpinisme, le ski alpinisme ou encore l’escalade en plus du parapente. En fait, la montagne est hyper-variée et hyper riche en fonction des saisons, les massifs et les reliefs sont variés, ils évoluent au fil de l’année. Un alpinisme aussi varié que ce qu’offre la montagne, c’est mon idéal. Pouvoir évoluer dans les toutes les montagnes possibles, traverser des massifs entiers, décoller d’un sommet que je connais bien, dormir dans la montagne, avoir froid, m’immerger dans ces montagnes, j’aime tout ça et je fais autant de sports que j’éprouve d’émotions différentes dans la montagne à travers cette polyvalence. Avec ça, j’arrive à recevoir tout ce que la montagne peut m’apporter : des émotions donc, mais aussi un questionnement et une richesse. Il faut être fort dans toutes les disciplines de montagne, le ski, l’escalade, le « mixte » (ascensions avec de la neige, glace et rocher), le parapente. En plus de maîtriser toutes ces disciplines, mon idéal tend à être rapide, efficace et technique. Cela passe par la maîtrise de tous les éléments : la neige, l’air, le rocher, la glace, ainsi qu’à une bon entraînement physique et mental, conjugué avec de l’expérience, de la connaissance et de l’engagement, sans oublier la prudence !
Si tu maîtrises tout ça, ça t’ouvre un potentiel de projets qui est énorme. Ainsi, ce même univers m’amène à l’ascension de la face sud-est de la barre des Écrins (en février avec Nicolas Jean et Julien Cruvellier de Luze) à la traversée « Cham-Zermatte » en ski (en moins de 15 heures il y a quelques jours avec Samuel Equy), je ne m’ennuie pas.
Quelle est votre prochaine échéance ?
On aimerait bien avec Nicolas Jean traverser le massif du Mont-Blanc en ski alpinisme par les pentes raides, soit 12 000 m de dénivelé entre Courmayeur et Trient, dans une totale découverte de chacune. Ce sont toutes des descentes énormes, très techniques – on aura des cordes, des broches, des baudriers – et on aimerait bien le faire ce printemps. On attend une fenêtre de tir, il faut 5-6 jours de beau temps pour avoir des conditions de sécurité optimales. Pour le moment, c’est assez instable. Le jour où ça se produit, il faut être là. C’est la montagne qui veut ça.
Qui dit montagne, dit risque. Vit-on avec en permanence quand on est alpiniste ?
C’est inhérent avec notre pratique de la montagne. C’est inconsciemment parce qu’elle est risquée que cette pratique nous attire. Après, il y a aussi l’importance de la mise en danger consciente : les risques que je peux gérer dans du solo en escalade ou dans des descentes de virages en pente raide, tous ces sports où le risque est induit par ma maîtrise et mon niveau, j’essaie de les limiter par une certaine prudence et une certaine préparation. Dans le projet des pentes raides, tout est très analysé, très conscientisé et étudié à l’avance. Parfois, tu ne le sens pas ce jour-là et tu laisses filer, parfois tu te sens d’attaque et tu assumes les risques et ça se passe bien généralement. Ce genre d’activité, soit ça ne te plaît pas, soit c’est fait pour toi. Pour le moment, ça me fait sentir un peu plus vivant et me crée des émotions fortes. C’est enivrant et gratifiant quand ça se passe bien.
Vous habitez dans les Hautes-Alpes depuis que vous avez 18 ans (à Briançon puis au Monêtier-les-Bains) mais vous avez grandi dans la Drôme. C’est là-bas que vos envies de montagne sont nées ?
Oui je pense que c’est un cumul des deux. J’ai passé mon temps à faire de la rando dans le Briançonnais notamment avec mon oncle Georges Fanton au PGHN de Briançon, qui m’a appris et m’a fait découvrir tout ça, au travers d’une pratique performante de la course à pied et du vélo de route dans les cols mythiques (Galibier, Granon, Izoard). L’escalade, je l’ai plus appris dans le Diois. Habiter au pied du Vercors m’a sensibilisé aux dénivelés, au calme et à la beauté des montagnes. Du haut du dôme du Glandasse, par exemple, d’où on voit les Écrins, on ne peut être qu’ébloui par le panorama. J’ai été sensibilisé assez vite à ces sensations d’émerveillement et d’isolement que procure la moyenne montagne. C’est venu tout seul, naturellement, je n’ai pas eu de mentor. Mes trois frères et mon demi-frère plus âgés ont ainsi suivi une autre voie.
Même si depuis un an vous vous consacrez avant tout à votre métier d’alpiniste pro, vous êtes aussi guide de haute montagne, comment vivez-vous l’afflux touristique pour le Mont Blanc ? Tous les créneaux d’ascension de cet été sont complets depuis janvier.
Pour moi, les gens qui veulent monter là-haut, je les comprends et je ne peux pas les en empêcher. Et je ne veux surtout pas jouer au vieux ronchon. Tout cela est plutôt bien, c’est une dynamique positive. En fait, c’est complet du fait que depuis quelques années, il faut passer par une réservation et cette démarche nous amène à croire qu’il y a plein de monde, mais c’est une affluence contrôlée. Cela ramène en revanche un questionnement d’ordre juridique auquel il est important de prêter de l’attention. Interdire le camping, pourquoi pas mais être obligé de payer un guide, c’est déjà une dérive trop importante. Il ne faut pas aller trop loin pour l’aménagement et l’encadrement de la montagne, comme c’est le cas dans le Valais ou en vallée d’Aoste, où il y a un assistanat qui enlève des valeurs à la pratique de la montagne ainsi que des compétences et une certaine forme de culture. Pour moi, c’est quelque chose à préserver. Tout comme il faudrait protéger plus de territoires. Je suis beaucoup plus décontenancé par le survol touristique en hélicoptère et en avion pour une poignée d’individus qui dérangent des centaines de personnes alors que des bouchons sur le massif du Mont-Blanc, ça ne dérange pas grand-monde. Il suffit de choisir de bons itinéraires adaptés au moment et tu trouves ta solitude. Et puis, j’en ai discuté récemment avec le guide Claude Albrand, qui pratique toujours la montagne à 79 ans : il est nostalgique de la fin des années 80 quand le refuge des Écrins était archi-comble et accueillait 300 personnes pour une capacité de 120 places.
Propos recueillis par Sylvain Lartaud