Boxe – Dominique Nato : « Mener cette Fédération comme on mène un combat »

Le 20 mars dernier, Dominique Nato a été élu président de la Fédération Française de Boxe, avec 96,2% des voix. L’ancien boxeur a une vision bien précise de l’élan qu’il souhaite donner au noble art. Entretien.

 
Vous avez tout connu (champion de France amateur et professionnel, entraîneur national, DTN, vice-président de la FFB, directeur du CREPS). Briguer la présidence était une suite logique pour vous ?
Il n’y a pas de suite logique. Je ne savais pas, lorsque j’étais boxeur amateur en 1977, que j’allais un jour avoir ce parcours. Les choses se sont enchaînées au cours de ma vie, j’ai toujours voulu aller plus loin, plus haut. J’ai toujours essayé de repousser mes limites, et en les repoussant, j’allais vers des champs d’action différents, mais avec une certaine continuité. Ce nouveau rôle s’inscrit dans cette continuité.
J’ai fait une grande partie de mon parcours dans le milieu de la boxe, mais j’ai également vu ce qui se passait à l’extérieur, parce que mon premier métier, qui m’a permis de faire du haut niveau, c’était agent de police judiciaire. J’étais au ministère de l’Intérieur. J’ai fait plein de choses dans ma vie, et je me suis toujours fait plaisir. C’est le plus important, c’est ce que je dis à mes enfants et aux gens avec lesquels j’échange. C’est ce qui m’est arrivé. J’ai été boxeur, c’était un plaisir et un engagement total. Le métier d’entraîneur a peut-être été le plus beau métier que j’ai eu à faire, être au service des jeunes, des sportifs, et partager leur travail, leurs performances, leurs joies et leurs peines. C’est quelque chose d’important. Je me suis fait plaisir en exerçant ce métier, tout comme c’était le cas aussi, ensuite, en tant que manager, même si je n’étais pas prédestiné à devenir DTN, chef de projet. Je me suis investi, et à chaque fois, j’ai travaillé pour acquérir des compétences complémentaires, qui étaient des exigences pour réussir dans un nouveau métier, une nouvelle fonction. Je suis même sorti du contexte boxe, c’était un engagement fort pour moi. Il n’y a pas que dans la boxe qu’on peut évoluer. En 2011, quand j’ai eu un désaccord avec les dirigeants de l’époque, je suis parti voir ailleurs, pour exercer un autre métier. C’était toujours au ministère, mais DTN d’une fédération et directeur de CREPS, même si c’est manager des hommes et aller vers des projets d’excellence, ce n’est pas du tout la même histoire. Là aussi, j’ai dû me remettre en cause, repousser mes limites. J’ai pris des cours de comptabilité… J’ai eu une vie professionnelle très dense, et chaque période m’a apporté des joies.
 
J’imagine que c’est un atout pour connaître les enjeux et les besoins sur le terrain…
Bien sûr. La boxe a évolué, ce n’est plus la boxe des années 1970, mais chaque mission réalisée à différentes périodes de ma vie m’a permis d’évoluer en même temps que la pratique, pour m’adapter aux attentes. On ne réussit pas en essayant de convaincre tout le monde que c’est nous qui avons raison. Le dialogue, la concertation, l’écoute, sont des choses qui ont toujours animé mon action. Cela me paraît essentiel d’écouter les autres pour progresser soi-même.
 

« Ecouter les autres pour progresser soi-même »


Sarah Ourahmoune, désormais vice-présidente, vous accompagne dans ce projet depuis deux ans maintenant. Pourquoi comptiez-vous sur elle ?
Je voulais qu’elle s’implique dans ce projet car Sarah, je la connais depuis qu’elle a 15 ans. Je l’ai vu évoluer, nous avons des parcours un peu similaires. Elle a débuté la boxe à un moment où ce n’était pas gagné pour la boxe féminine. Elle a fait partie des pionnières de l’équipe de France. C’est quelqu’un qui a une volonté et une résilience qui m’ont séduit. Elle repousse ses limites elle aussi. Elle a arrêté, avant de revenir pour participer aux Jeux. Quand on sait ce que cela représente pour un athlète de haut niveau… J’ai beaucoup de respect pour sa carrière, pour ce qu’elle représente, et force est de constater que lorsque Sarah Ourahmoune parle, les gens l’écoutent. Elle a un discours très clair, qui parle des réalités. Et je préfère que les gens parlent de ce qu’ils ont vécu et adaptent la théorie à leurs connaissances pratiques, que le contraire.
 
Le travail à la FF Boxe va donc être un travail d’équipe ?
Ce n’est pas une option personnelle, ce sera la réussite d’un projet avec une équipe. C’est une équipe pour un projet, et pas une équipe au service d’un homme. Pas du tout. Ce n’est pas comme ça que je conçois les choses. Comme dans la performance, où on réussit ensemble avec des préparateurs physiques, mentaux, techniques, tout un ensemble d’acteurs. C’est la même chose, je veux mener cette Fédération comme on mène un combat, en prenant en compte tous les aspects, la régularité, la transparence. Ce sont des thèmes très importants, pour véhiculer un projet commun. C’est dans la différence que l’on construit un projet parce que chacun a des atouts, chacun doit amener sa contribution au projet. Chacun dans son domaine est un virtuose, et moi j’aurai le rôle du chef d’orchestre. Avec la même partition, tout le monde aura son rôle à jouer. J’ai choisi un par un tous les gens qui font partie de l’équipe, et chacun devra montrer qu’il excelle dans son domaine. C’est comme ça que l’on réussira.
 

« On conteste rarement l’entraîneur et l’éducateur »

 
Quels seront vos premiers chantiers à la tête de la Fédération Française de Boxe ?
On n’a pas eu le choix, car on est arrivé à une période où, normalement, on est en place depuis six mois. L’élection a été reportée à cause de la crise sanitaire, et on se retrouve aux affaires à deux mois du tournoi de qualification olympique et à trois mois des Jeux Olympiques. Il y a une priorité absolue, c’est ce que j’ai dit à tout le monde. Je suis un compétiteur, pour une Fédération olympique, les Jeux restent essentiels. C’est donc le premier objectif. Ensuite, en tenant compte de la crise, il faudra commencer à réfléchir au retour dans les salles, trouver des solutions pour des gens qui ont perdu tous leurs repères, les boxeurs, les entraîneurs, les éducateurs. On doit trouver des solutions pour aider tous ces gens-là, relancer les compétitions dès qu’on le pourra, remettre en place des compétitions au niveau régional ou peut-être, si la pandémie s’estompe progressivement, mettre en place une compétition nationale. C’est ça qui redonnera de l’espoir à nos licenciés. Même s’il faut attendre la fin de l’année 2021, on fera les championnats de France au mois de décembre, ce n’est pas grave. Il faut que la relance se fasse.
 
Comment se porte la Fédération avec la crise sanitaire ?
Comme toutes les autres fédérations de sports d’intérieur, on subit une baisse de nos licenciés, ce qui est normal puisqu’on n’a plus de services à leur proposer. Nous sommes à la moitié de nos licenciés, on en a perdu 50% avec la crise sanitaire. Il faut les comprendre, ils ne viendront pas vers nous tant qu’on ne sera pas en mesure de leur offrir quelque chose. Au-delà de l’argent – on a toujours des issues aux problèmes économiques car on est aidé par l’Etat et les pouvoirs publics, je ressens le manque chez les gens. Tout le monde ronge son frein, les jeunes perdent leurs repères. On le voit avec le phénomène des bandes, ce n’est pas anodin. Les jeunes sont complètement largués, ils n’ont plus cette continuité dans leur éducation. Parfois, on conteste le prof, on conteste les parents, mais on conteste rarement l’entraîneur et l’éducateur. Ils ont un rôle clé dans la formation et le développement de nos jeunes sportifs. Il faut vraiment rouvrir les salles pour eux, qu’on puisse redonner ce complément d’éducation au sein des associations sportives. C’est très important. Le sport est fondé sur des règles, sur le respect, et on a un peu perdu tout ça avec ces quelques mois sous cloche.
 

« Si les gens pensent que je suis fatigué, ils se trompent »

 
Quel regard portez-vous sur Paris 2024 ?
C’est un événement prioritaire pour une Fédération olympique. Il faut garder une certaine crédibilité auprès de nos partenaires principaux comme le ministère des Sports, l’Agence Nationale du Sport, tous les partenaires institutionnels qui financent le projet olympique. Il est évident que Paris 2024 est très important. Les Jeux à Paris, c’est tous les 100 ans, on ne verra pas les prochains. On aura la chance de vivre cela, c’est inestimable. C’est important pour nos sportifs, pour nos athlètes de haut niveau, mais c’est important aussi pour nos clubs. Il faudra trouver le moyen de faire participer nos clubs à cette fête importante. La performance est obligatoire, mais d’autres choses sont très importantes également, même si elles sont moins mises en lumière. Il y a la boxe professionnelle, la boxe éducative qui génère la plus grande partie de nos licenciés. Ce vivier, il faut l’entretenir. L’idée, c’est d’innover, d’aller vers une Fédération plus moderne, avec des gens comme Sarah et d’autres. On compte sur eux pour rafraichir l’image de la Fédération, qu’elle soit plus jeune, plus féminine. Nous avons déjà des femmes au comité directeur, et elles ont des choses à dire.
Il faut continuer à avancer dans cette direction. On aura forcément des contradicteurs, mais ils ne sont pas des ennemis pour moi, ce sont des gens qui nous obligent à réfléchir et à nous remettre en cause. Il faut avoir une oreille attentive, tant que ce n’est pas de la contradiction de comptoir. Si cela est fondé, cela nourrira notre projet, qui n’est pas figé. Il évoluera en fonction des réalités, du temps, et des approches nouvelles. Qui savait il y a un an et demi qu’on allait avoir cette pandémie qui allait remettre en cause beaucoup de choses ? Personne. Il faut s’avoir s’adapter. J’ai toujours été animé par ces notions de compétitivité, de compétition. Si les gens pensent que je suis fatigué à 63 ans, ils se trompent, ce n’est pas aujourd’hui que je vais changer de stratégie. C’est ancré en moi. J’ai toujours cherché à comprendre pourquoi j’avais perdu certains combats, pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Analyser les raisons d’un échec permet de construire les prochaines victoires. Mener une équipe vers le succès, c’est quelque chose qui me plaît bien. Et même si la rigueur ne plaît pas à tout le monde, ça va dans le sens de l’intérêt commun. C’est le principal, et tout ce qu’on fera, on le fera dans ce sens-là.

Propos recueillis par Simon Bardet
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