Céline Goberville, les JO de Tokyo dans le viseur

Céline Goberville a obtenu une médaille d’argent aux Jeux Olympiques de Londres en 2012, au tir au pistolet à 10 mètres. Elle vise un nouveau podium neuf ans plus tard à Tokyo, malgré une saison qui s’annonce difficile. Rencontre.

Quel bilan faites-vous de votre année 2020 ?
L’année a été compliquée avec une grosse déception, le report des Jeux Olympiques de Tokyo. On garde espoir pour qu’ils aient bien lieu l’été prochain. Presque toutes les compétitions ont été annulées. Pour nous, tireurs, la saison commence vraiment début mars. Nous avons dû nous arrêter après seulement deux compétitions en janvier et le championnat d’Europe de tir au pistolet à 10 mètres fin février. Pendant le premier confinement, c’était spécial. Nous ne pouvions pas nous rendre sur les stands de tir, alors nous avons trouvé des moyens de nous entraîner à la maison pour garder notre niveau, et cela sans connaître la suite des événements. J’ai fait beaucoup de préparation physique et mentale, et j’avais la chance d’avoir une arme avec le système d’entraînement au tir SCATT. La caméra située sur le pistolet enregistre le tracé qu’on peut ensuite analyser sur ordinateur. Cela m’a permis de faire des semblants de tir chez moi, sans munitions, sur une cible réduite à quatre mètres de distance. J’ai travaillé la technique pour rester dans le bain.

À quel moment avez-vous pu reprendre les entraînements dans de meilleures conditions ?
En septembre, nous sommes finalement retournés aux entraînements hors de la maison, mais nous n’avons pas repris la compétition. Nous avions un stage organisé par la Fédération française de tir pendant l’automne à Châteauroux afin de matcher entre nous et de préparer les sélections pour les championnats d’Europe 2021. Lors du deuxième confinement, les sportifs de haut niveau pouvaient s’entraîner normalement. C’est super d’aller sur le stand de tir tous les jours. La visibilité sur la saison 2021 est faible.

Est-ce que ça vous inquiète alors que vous êtes qualifiée pour les Jeux Olympiques de Tokyo ?
Forcément, il y a une appréhension. La préparation pour ces Jeux sera compliquée. On se pose beaucoup de questions et on a peu de réponses. On continue de s’entraîner pour rester focus. Habituellement, les tireurs participent à quatre étapes de Coupe du monde et tous les mois, on part en compétition pendant dix jours. Ça peut changer, mais on pense qu’il y aura peu de tournois internationaux. On pourra peut-être s’organiser avec des clubs en France pour faire une compétition entre nous. Nous ferons avec les moyens du bord, comme on peut. Nous allons sûrement vivre une saison avec peu de compétitions et beaucoup de maison. Cela ne sera pas la préparation la plus optimale possible, mais ça sera la même chose pour tout le monde. À chacun de s’adapter.

« Pour nous, l’arme est un outil »

Vous avez remporté la médaille d’argent au pistolet à 10 mètres à Londres en 2012. Espérez-vous remonter sur le podium cet été ?
C’est mon objectif de gagner à nouveau une médaille lors des prochains Jeux à Tokyo. Je suis qualifiée pour le tir au pistolet à 25 mètres et, si rien ne bouge, pour le tir au pistolet à 10 mètres aussi. Mes deux participations, à Londres et à Rio où j’ai terminé 10e au pistolet à 10 mètres, m’ont laissé de très bons souvenirs. C’est l’événement auquel tous les sportifs rêvent de participer, encore plus d’y performer. Même si pour moi ce n’est pas le tournoi ultime car je veux être la meilleure dans toutes les compétitions, les Jeux ont une saveur particulière. Pour moi, il y a un côté un peu magique. C’était un grand plus de remporter la médaille d’argent dès ma première participation.

La présence du tir sportif dans le programme olympique est-elle le seul moyen de faire parler de votre sport ?
On parle de nous tous les quatre ans pendant les Jeux Olympiques. Un peu plus depuis que la chaîne l’Équipe diffuse quelques finales. Cela permet de faire connaître le tir sportif à un nouveau public en plus des personnes déjà initiées. Grâce à cet investissement et aux caméras bien placées, notre sport est devenu visuel. On a vu que le biathlon avait pris de l’ampleur, alors pourquoi pas le tir ?

Qu’est-ce qu’il faudrait pour que le tir sportif soit plus populaire ?
Faire tomber les a priori sur les dangers de ce sport, alors que cette discipline ne connaît pas d’accidents. Pour nous, l’arme est un outil, comme une raquette au tennis. Les personnes qui essayent découvrent finalement un sport très mental qui permet de se calmer. La précision et le contrôle des émotions sont les principales caractéristiques. L’arme n’a rien à voir avec l’attrait pour le tir sportif.

« Mes parents se sont rencontrés grâce au tir »

Est-ce que les femmes trouvent leur place dans ce sport ?
Les femmes représentent 10 % des licenciés de la Fédération française de tir. C’est un chiffre assez impressionnant ! Je pense que c’est encore dû aux a priori, aux clichés qui veulent que le tir, c’est forcément un sport d’hommes. Pourtant, il n’y a aucun problème concernant la différence de physique. La discipline devient même mixte, avec des équipes formées avec un homme et une femme. Au haut niveau français, il y a autant de femmes que d’hommes. Avant, les femmes tiraient 40 plombs lors d’un match, contre 60 pour les hommes. Depuis trois ou quatre ans, nous sommes sur le même format. C’est une victoire qui prouve que les femmes ont la même valeur.

Et vous, comment avez-vous découvert le tir sportif ?
Tout ma famille pratique. Mon père utilise la carabine et ma mère le pistolet. Ils se sont rencontrés grâce au tir. Avec ma grande sœur Sandrine, qui est également sportive de haut niveau, nous avons toujours côtoyé les pas de tir et nous nous sommes naturellement tournées vers cette discipline. Ce n’était pas une obligation, nos parents nous ont fait essayer d’autres sports, mais le tir a remporté la première place. J’ai commencé à 9 ans à l’Amicale sportive de tir de Creil, club dont mon père était le président à l’époque, d’abord à la carabine, avant de passer au pistolet. Être entourée de ma famille qui évoluait au haut niveau m’a permis de gagner du temps dans mon apprentissage. J’ai tout de suite été bien entraînée et j’ai pu arriver en équipe de France en 2001, à 25 ans.

Vous n’avez jamais quitté l’AST Creil, dans l’Oise, depuis le début de votre carrière ?
Non, c’est le club de la famille. Ma sœur Sandrine est la présidente maintenant, et mon père est mon entraîneur. Le stand de tir est bien équipé avec les mêmes cibles utilisées lors des Jeux Olympiques et des grandes compétitions. Je n’ai pas besoin de me déplacer. Les installations sont adaptées pour le haut niveau et trois jeunes des équipes de France, chez les cadets et juniors, s’entraînent chez nous. Nous avons pas mal de bénévoles impliqués pour montrer ce qu’est le tir sportif et donner envie aux plus jeunes. L’AST Creil participe à des événements. Au club, nous avons une belle section féminine et nous continuons de travailler là-dessus.

« Je n’envisage pas d’arrêter »

Vous avez 34 ans. Pensez-vous continuer votre carrière encore longtemps ?
Ce n’est pas un mystère, dans le tir il n’y a pas de prohibition avec l’âge. Je veux déjà aller jusqu’à Paris 2024. J’ai envie de les voir, d’y participer, ce serait un honneur. Pour l’heure, je n’envisage pas d’arrêter ma carrière sportive.

Cela fait près de 20 ans que vous êtes en équipe de France. Comment continuez-vous à progresser ?
Je n’ai pas tout gagné et la recherche de la performance est toujours là. J’ai bien acquis l’aspect technique, les armes n’ont pas tellement changé et le format des compétitions à peine. En revanche, je me rends compte que sur le plan mental, j’en apprends tous les jours. Avant, la préparation mentale n’était pas utilisée, alors que c’est la première qualité demandée chez les tireurs. Depuis quelques années, cela a changé.

De quelle manière vivez-vous alors que le tir est un sport non professionnel ?
Je suis sous contrat avec l’Armée de terre, qui me permet de m’entraîner et de participer aux compétitions. Nous sommes une centaine d’athlètes à faire partie de ce dispositif Armée des champions, et à porter des valeurs communes avec l’armée.

Propos recueillis par Leslie Mucret
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