L’exploit accompli début 2022 par l’alpiniste haut-savoyard (33 ans) dans les Grandes Jorasses (la face Nord, une voie appelée Rolling Stones) est retracé dans le film « De l’ombre à la lumière », le moment fort du festival Montagne en scène, actuellement en tournée dans toute la France. Charles Dubouloz, qui sera présent sur scène ce mardi 29 novembre à Lyon, raconte en quoi ce grand format de 60 minutes réalisé par Sébastien Montaz Rosset rend accessible son aventure au plus grand nombre.
Charles, comment s’est passée la première au Grand Rex à Paris à laquelle vous avez assisté ?
Super bien ! Le film a été bien accueilli, les gens ont trouvé ça incroyable. D’après l’ambiance générale, il plaît beaucoup. En fait, il y a 2 aspects que je ressens dans ce genre de séance en public. D’abord le brouaha autour avec beaucoup de monde, beaucoup de bruit. Tout cet automne, je suis en quelque sorte en tournée pour présenter le film. C’est la montagne qui m’amène à la ville mais je me sens assez loin de ce que j’aime profondément faire. Il y a un côté citadin auquel je ne suis pas habitué. Et puis l’aspect positif, et ce que je retiens avant tout, c’est génial de partager mes aventures avec le plus grand monde, avec un public qui aime forcément la montagne s’il est là mais composé de gens qui, pour la plupart, ne sont pas très initiés à l’alpinisme de haut niveau. Ce film permet de toucher un public aussi large, c’est une expérience qui est très agréable.
Cela permet de faciliter l’accès à votre exploit, la compréhension de votre performance.
En fait, nous, alpinistes, on n’est pas comme Usain Bolt : tout le monde voit son 100 m à la télé, il est arrivé le premier, il a gagné, levé les bras en l’air, fait trois fois le tour du stade ensuite. Pareil pour une course de vélo avec un départ et une arrivée, des échappées, un vainqueur, un 2e, un dernier, etc, c’est facile à comprendre et ressentir les émotions. Notre performance pour le grand public, c’est impalpable, c’est hors du temps. Du coup, c’est génial de partager. Tout le monde a salué mon ascension, il y a eu un énorme retour médiatique, mais que ce soit Rolling Stones ou la Classique Walker, on ne peut pas s’en rendre compte, il n’y a que mes pairs, les autres alpinistes, qui savent exactement ce que cela vaut. D’où l’importance de ce genre de films et d’événements pour faire découvrir notre performance au grand public et notre discipline : on véhicule certaines valeurs de rusticité, on a besoin d’accepter la douleur à un très haut degré d’intensité, de revenir à des valeurs primaires comme le froid, on est obligé de s’engager totalement, tout ça c’est cool de le raconter aux non-initiés.
L’une des images fortes du film, c’est votre arrivée au sommet dans un état de fatigue avancé : vous n’avez rien mangé, quasiment pas bu…
C’est une image assez forte, en effet. Elle a beaucoup tourné pour présenter le film, c’est vrai qu’elle résume bien mon aventure. Il faut savoir que je viens de passer 6 jours dans l’ombre et le froid, immobilisé dans mon baudrier et là j’arrive au sommet et je vois enfin du soleil, j’ai même chaud ! Il y a une calotte de neige froide, beaucoup plus hospitalière que ce que j’ai connu jusque-là. Seb (Montaz Rosset) a très bien fait les choses, il filme de manière dégradée pour que je ne me rende pas compte qu’il est là. Il est monté de son côté par la voie normale des Grandes Jorasses, versant Sud, et il m’a laissé le temps d’apprécier. Quand je le vois, je craque, je relâche la pression. En fait, j’étais plutôt en forme, j’allais bien mais j’étais tellement stressé que j’avais l’estomac noué, je n’arrivais à rien avaler. C’est l’instinct de survie qui m’a fait tenir.
Qu’est-ce que vous a apporté le film ?
Cela m’a permis de visualiser ce qui s’est passé dans l’ascension. D’habitude, dès que je rentre, j’écris à chaud : ça me permet de revivre à postériori, d’analyser. Avec l’emballage médiatique qui a suivi mon ascension, je n’ai pas eu le temps de me mettre à l’écriture, j’ai laissé filer et je ne l’ai pas fait. En fait, ce film remplace un peu ce travail d’écriture même si le rendu est différent, moins intime. Il relate aussi de manière générale ce qu’est une expédition en solo. Quand tu grimpes avec un copain, une fois fini, tu vas boire une bière, c’est la coutume, tu débriefes, tu échanges puis tu redispatches le matos jusqu’à la dernière dégaine. Ça fait partie intégrante de l’aventure jusqu’au bout, du process. En solo, c’est complètement différent : tu rentres chez toi, tu jettes ton matos dans le garage et tu n’y touches plus, le débrief est plus compliqué. Je l’ai souvent dit : une aventure en solitaire ne se raconte pas vraiment, elle se vit intensément. Le film est une sorte de souvenir indélébile, c’est génial. Seb, dans un souci de format de 60 minutes, il occulte plein de choses. Par rapport au montage, tout n’est pas chronologique, je crois que le 3e bivouac est à la place du 2e mais il faut s’en détacher, car c’est comme ça dans tous les films. En revoyant des images, cela fait appel à mon passé, le film retrace une histoire de vie, mon parcours, et comment on en arrive à faire des ascensions comme ça. C’est un travail super bien fait, qui me donne des émotions quand je le vois, c’est génial. Je suis super content du résultat d’autant plus que rien n’était scénarisé, ni écrit, on est partis en dernière minute.
Vous avez-vous-même filmé ?
J’ai beaucoup filmé dans la face oui. Seb m’a laissé deux Go Pro : une à 360 et une classique. Pour dire que tout a été fait à l’arrache, il m’a collé au pied de la face les autocollants sur les caméras pour m’expliquer comment les utiliser. Tout s’est vraiment fait au dernier moment. En fait, cela faisait plusieurs jours que je guettais une fenêtre pour partir. Un lundi, j’ai vu que c’était possible trois jours plus tard. J’ai appelé Seb pour lui dire que je partais. Il m’a répondu qu’il était en plein rush, il ne pouvait pas se libérer. J’ai dit : moi, je ne peux pas rater ça, tant pis pour le film. Quelques heures après, il m’a rappelé : il avait annulé tout son boulot pour venir avec moi le jeudi. Je ramène toujours beaucoup d’images de mes ascensions, elles dorment sur des disques durs chez moi. Cette fois, tout le monde pourra les voir ! (rires)
Comment s’est déroulée la suite de votre année ?
J’ai enchaîné par un tour des écrins (une dizaine d’ascensions en 13 jours), en partie en cordée, en partie en solo. Et puis il y a un mois, je suis parti en expédition au Népal avec Hélias Millarioux et Symon Welfringer pour ouvrir une nouvelle voie sur le Manaslu (8 163 m). Sur place, on est tombé sur une énorme mousson qui a duré, qui a duré. Même un bivouac était inenvisageable tellement il y avait de neige. On a dû se résoudre à rentrer. Le plus dur, c’est qu’on n’a même pas pu essayer quoi que ce soit. On s’était beaucoup préparé, c’était donc un peu frustrant mais c’est la montagne qui décide. Dans notre métier, on veut pousser toujours plus, on joue souvent avec notre vie et parfois, il faut savoir faire preuve d’un peu de sagesse, relativiser. Le truc, c’est que ça n’a pas calmé le feu intérieur qui est en moi, je vais avoir du mal à rester dans mon canap’ ! (rires)
Quels sont vos projets ?
Pour les prochains mois, il n’y a rien de défini. Disons que je vais être opportuniste et voir ce qui se présente. Cela reste un projet mais il y a des chances de partir avec Hélias (Millarioux) l’été prochain, sûrement au Pakistan.
Comment vivez-vous de votre passion ?
Je suis guide de haute montagne, je vivais de mon métier, que j’exerçais a minima dès que j’avais besoin de rentrer de l’argent pour, le reste du temps, grimper le plus possible. Et puis, je ne communiquais pas énormément, pour moi il était important d’avoir une crédibilité dans mon milieu. Je ne voulais pas qu’on dise « Dubouloz c’est un imposteur ». J’avais envie d’être reconnu. Depuis cette année et mon ascension des Grandes Jorasses, je me suis mis à communiquer et je vis avec des sponsors. Je peux me consacrer à ma pratique pour les 3-4 prochaines années. Je ne bosse plus en guide même si j’ai gardé quelques clients fidèles, plus par amitié que par besoin. J’y reviendrai, car c’est très éphémère. Je prends tant qu’il y a à prendre. Je suis super heureux.
Propos recueillis par Sylvain Lartaud
Programme et billetterie sur www.montagne-en-scene.com