Darts – Thibault Tricole : « Me confronter aux meilleurs en permanence »

Thibault Tricole participera en janvier aux championnats du monde BDO de Darts, à Londres. Une grande première pour un Français. A 30 ans, le Breton continue son ascension dans la hiérarchie mondiale, et espère faire son entrée dans le circuit professionnel. Entretien avec un homme qui ne rate jamais sa cible.

 
Thibault, comment devient-on le meilleur joueur français de Darts ?
J’ai 30 ans aujourd’hui, et j’ai commencé à l’âge de 13 ans. J’ai démarré dans un bar, car les fléchettes restent principalement un sport de bars. C’est mon père qui m’a initié à ce sport. Je faisais d’autres sports en parallèle, comme du judo, des sports un peu plus communs. Mais j’ai ressenti une certaine facilité pour les fléchettes. En commençant, dès que je visais quelque chose, je n’étais pas loin du compte. C’est comme ça que j’y ai pris goût. J’ai toujours été un compétiteur. Jusqu’à 17, 18 ans, je jouais dans la catégorie Junior, je suis devenu champion de France et j’ai poursuivi sur ma lancée. Je suis ensuite devenu champion de France Senior à 21, 22 ans. C’est sûr que ce n’est pas une discipline sportive très répandue. Mais, même si je prends beaucoup de plaisir à jouer, je suis avant tout un compétiteur, j’aime gagner. C’est aussi ça qui m’a motivé à m’entraîner de plus en plus et à faire de plus en plus de tournois, notamment ces dernières années à l’international.
 
Au niveau de l’entraînement, j’imagine qu’il y a une grosse part de travail mental à effectuer…
C’est ça, il y a une part technique qui s’acquiert assez rapidement. Pour moi c’est assez instinctif et à force de m’entraîner, j’ai réussi à être constant. Le physique, à part le bras en action et la répétition du geste, ça va. C’est mieux d’être en forme physiquement lorsque l’on a des matches toute la journée. Mais on peut voir qu’il y a tous les physiques parmi les joueurs, ils ne sont pas tous athlétiques. Comme dans tous les sports de haut niveau, il y a 90% de mental et c’est primordial aux fléchettes. Le but du jeu, finalement, c’est de réussir à mettre la pression sur l’adversaire en faisant un score élevé, de le faire trembler. Les meilleurs joueurs, ce sont ceux qui arrivent à se mettre dans leur bulle et à faire abstraction du score adverse et du contexte. Quand il y a un peu de public derrière, ce n’est pas évident à gérer.
 

« Me mettre rapidement dans ma bulle »

 
D’ailleurs, le public, notamment en Angleterre, est vraiment chaud. Il y a une grosse ambiance…
Oui, l’Angleterre, c’est la Mecque des fléchettes. Ça surprend les gens en France, car ici ce n’est pas un sport très populaire. Quand je leur montre des vidéos, ils sont impressionnés. Il y a juste une cible sur un podium et des milliers de spectateurs derrière. On est loin de la partie de fléchettes dans un pub.
 
Avez-vous déjà vécu une expérience avec un public chauffé à blanc ?
A mon niveau, je ne suis pas encore professionnel – je l’espère un jour – ces ambiances, je les ai très peu vécues. Il y a la fédération élite, la PDC, où les joueurs sont professionnels. Il y a une centaine de joueurs que l’on voit régulièrement à la télé. Moi, je suis encore dans l’antichambre de cette fédération, en BDO, qui regroupe 99% des licenciés, amateurs et semi-professionnels. C’est un peu comme au tennis où il y a les Grands Chelems et les Masters 1000. Je suis en seconde division, et même si dans quelques tournois disputés cette année, comme l’Open de Grèce ou l’Open d’Italie, on a un public, ce n’est pas aussi bruyant que ce qu’on peut voir à la télé. Ce que je vais connaître aux championnats du monde BDO en janvier, à l’O2 Arena, ce sera une première. Je ne sais pas encore comment je vais gérer ça, mais j’essayerai de me mettre rapidement dans ma bulle pour faire abstraction de ça.
 

 

« Les meilleurs joueurs sont à un million de gains par an »

 
Sans être professionnel, peut-on gagner sa vie avec les fléchettes ?
En BDO, sur les tournois que j’ai faits et sur ceux que j’ai gagnés à l’international, ça peut varier entre 600 et 2 000 euros. J’ai gagné un peu d’argent cette année, mais pas de quoi en vivre complètement. Mon objectif est justement de passer dans cette élite, la PDC. On ne la rejoint pas comme ça, il faut passer par des tournois de qualification qui permettent d’obtenir une licence professionnelle pendant deux ans. C’est assez compliqué, mais pas impossible. Et là, par contre, on peut très bien gagner sa vie. Les meilleurs joueurs sont à un million de gains par an. Il y a un énorme écart, même si pour les championnats du monde de janvier à Londres, il y a quand même un petit billet de 100 000 Livres promis au premier, ce qui n’est pas négligeable pour un amateur. Je crois que le gain minimum est de 2 000 euros, ce n’est pas énorme, mais c’est déjà ça d’assuré. Ensuite, à chaque tour gagné, ça double quasiment. C’est un peu compliqué pour moi, en étant français, de devenir professionnel. J’ai des connaissances anglaises, qui ont le même niveau que moi et qui ont des sponsors, ce qui leur permet d’avoir un salaire minimum en plus des gains. Pour moi, c’est plus compliqué. J’ai un peu de sponsoring, mais c’est assez limité. Du coup, je compte pas mal sur les gains pour financer mes déplacements futurs. Je suis encore loin du professionnalisme, mais je compte sur mes résultats de cette année pour convaincre certaines marques.
 
Le grand objectif, c’est donc d’intégrer l’élite…
Intégrer l’élite, ce serait le Graal. Il n’y a plus de problèmes d’argent, de partenariats. Mais il faut réussir à y entrer. Je pense avoir le niveau, mais je n’ai peut-être pas encore la tête très, très solide. J’ai confiance en moi, mais il faut plus que ça.
 

« La différence se fait vraiment dans la tête »

 
Vos déceptions cette année sur certains tournois, était-ce à cause du mental ?
Quand je pars faire une compétition dans un pays, ça se déroule en général sur une journée, et c’est à élimination directe. Un match peut durer 10 minutes, on peut donc se déplacer loin pour jouer 10 minutes. Ça peut aller vite, si on n’est pas en forme tout de suite, donc la pression est assez importante. Ça va très vite. Ce n’est pas un match de tennis ou de football, où on a le temps de revenir dans la partie. Au très haut niveau, comme on peut le voir à la télé, les matches durent assez longtemps, avec plusieurs sets gagnants de plusieurs manches gagnantes. A mon niveau, tout se joue sur une journée et il faut qu’à 20 heures, la finale se déroule. C’est très court, on a le risque de perdre contre un joueur hiérarchiquement inférieur. Quand le premier match marche bien, après c’est plus facile au niveau des sensations. Mais parfois, elles ne sont pas là. C’est dur mais c’est ce qui me plaît aussi, d’aller chercher au plus profond de moi quand ça ne va pas et de ne pas prendre trop confiance quand ça va bien. La différence se fait vraiment dans la tête.
 
Quel est l’objectif pour les Mondiaux de Londres ?
Je suis loin d’être favori, j’ai le rôle de l’outsider. J’y vais pour gagner, il faut que je positive et que je sois à 200%. Après, je sais que ce sera très compliqué, même le premier tour. Je joue Ross Montgomery, qui est un joueur d’expérience. Ça va être compliqué, mais gagner le premier match est déjà un bel objectif. Après, on verra. C’est une première pour moi, une première pour un Français. Je suis ambitieux mais pas prétentieux. Je joue le samedi 4 janvier au soir et, si je gagne, je ne rejouerai que le mardi soir. Cela donne le temps de préparer ce second match.
 

 

« Me concentrer sur les Majeurs »

 
Avez-vous des aides de la Fédération ?
Chaque année, il y a la Coupe du monde ou la Coupe d’Europe. C’est avec l’équipe de France, donc la Fédération prend tout en charge. On joue pour l’équipe de France. Pour le circuit que j’ai effectué cette année, c’est à titre individuel, c’est une initiative personnelle, financée par les gains, quelques sponsors, et j’avais lancé aussi à mi-saison, car j’étais bien classé et que je pouvais me qualifier pour le championnat du monde, une campagne de crowdfunding qui a très bien fonctionné. A ce moment-là, la Fédération a fait un petit geste en me donnant 1 000 euros. Tout ça m’a permis de continuer la saison. Mais en général, si on ne représente pas l’équipe de France, la Fédération n’aide pas.
 
Quel sera le programme l’an prochain, après les championnats du monde ?
Après les Mondiaux, je vais tenter le tournoi qualificatif pour entrer dans l’élite, la PDC. Ca s’appelle la PDC Q-School, c’est à Hambourg une semaine après la fin des championnats du monde. Il faut faire partie des meilleurs pour obtenir la licence professionnelle pour deux ans. Après ça, je vais essayer de faire de plus gros tournois encore. Je vais plus me concentrer sur les Majeurs. Maintenant que j’ai ma place en haut du classement, je vais assumer mon statut et me confronter aux meilleurs en permanence.
 

Propos recueillis par Simon Bardet
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