L’un, Ben Cavet, est rentré des Jeux olympiques déçu par une quatrième place injuste en ski de bosses. L’autre, la snowboardeuse Chloé Trespeuch, est revenue de Chine avec le sourire et une seconde médaille olympique, en argent cette fois. Entretiens avec deux athlètes français plus que jamais en quête du métal le plus précieux.
Ben Cavet : « Le gros objectif, c’est une vengeance par rapport aux derniers Jeux »
En plus de les avoir sous les skis, Ben Cavet est rentré de Pékin avec des bosses au cœur et au corps. Freiné par des pépins physiques l’hiver dernier, le skieur français avait mis toutes les chances de son côté pour briller aux Jeux olympiques, mais un jugement injustement défavorable l’a privé d’un podium qu’il méritait. Qu’à cela ne tienne, le rendez-vous est déjà pris dans quatre ans, en Italie.
Quel est ton bilan de la saison dernière ? La quatrième place aux Jeux olympiques a-t-elle été digérée ?
Le bilan de la saison dernière est mauvais, parce que l’objectif, c’étaient les Jeux olympiques, et je me retrouve à souffrir de contusion osseuse au talon. Je n’ai pas pu m’exprimer sur toutes les Coupes du monde, mais aux Jeux, j’ai donné le meilleur de ce que je pouvais. J’ai vraiment bien skié lors des qualifications, mais je saute trop loin sur le deuxième saut et là, je m’explose le talon, parce qu’il faisait -30 degrés en Chine. Dans ces conditions, je te laisse imaginer l’état de la neige… Je me pose donc sur la bosse et je m’explose le talon. Heureusement pour moi, il y avait un jour de repos entre les qualifs et la finale. J’étais dans le village olympique et j’ai serré les dents, pour faire vraiment une super course aux JO.
Le résultat est tombé avec un très, très mauvais jugement. Le nombre de personnes dans le milieu qui m’en ont fait part depuis, c’est flagrant, et c’est dommage qu’on en soit arrivé là. Mais du coup, ça m’a poussé à beaucoup réfléchir sur le jugement. J’ai de bonnes idées, mais c’est très dur de faire avancer le système. Oui, c’est sûr que c’est la faute des juges, qui ont fait un mauvais jugement, mais c’est plus la faute du système. Ils jugent une compétition qui a des conséquences énormes pour notre carrière, notamment financières, et on leur demande d’être professionnels alors qu’ils ne le sont pas. Oui, ils sont payés pour être là, mais ils sont payés une dizaine de jours dans l’année. Ce ne sont pas des pros, ce n’est pas un métier. Et pour que les compétitions soient bien jugées, il faudrait que les juges s’entraînent autant que nous, toute l’année.
Est-ce qu’il y a des réunions entre athlètes et juges pour savoir ce qu’ils attendent de vous ?
Non, il n’y a aucune communication entre athlètes et juges. C’est quelque chose qui pourrait être amélioré. Mais je le répète, ce n’est pas la faute des juges, c’est la faute du système. Il y a peu, je discutais avec un juge français qui me disait que parfois, ils devaient faire face à des changements de règlement, et qu’ils n’étaient même pas consultés pour ça.
« Le coup de cœur de l’été, c’est le stage avec l’équipe de France de trampoline »
Vous repartez quand même avec envie sur une nouvelle saison ? Comment la préparation estivale s’est-elle passée ?
La prépa, je me suis bien régalé. On a toujours envie que ça soit mieux, mais je me suis vraiment bien entraîné. Le gros coup de cœur de l’été, c’était le stage de trampoline qu’on a fait avec l’équipe de France des « trampo » à Antibes. C’étaient les athlètes qui nous coachaient, et ils sont comme nous, ce sont des gens de notre âge, à la cool, qui nous poussaient vraiment hors de notre zone de confort. On s’est donc régalé là-bas pendant une semaine, et on s’est rendu compte que l’exigence du trampoline est vraiment semblable à celle que l’on doit avoir au ski de bosses. Eux, ils enchaînent dix figures, et il faut donc qu’ils arrivent à être parfaitement placés à la fin de chaque figure. Moi, j’arrive à bloc après les bosses, et il faut que je sois parfaitement placé pour faire un saut. Le saut du bas, tu as 20 secondes de course dans les pattes, et tu vois flou alors qu’il faut sortir un saut nickel ! Eux, c’est pareil. Avec eux, on a vraiment fait un entraînement trampoline, on a enchaîné dix figures. Tu as la tête qui tourne à la fin, et ça augmente ton besoin de lucidité dans les airs.
C’est la première fois que vous faisiez ce stage ?
Oui, mais je pense qu’on répètera cette expérience à l’avenir. On est à Antibes en plus, il y a le soleil, c’est un cadre très agréable.
« Beaucoup de douleurs sont apparues après les Jeux »
Et vous n’avez pas eu de douleurs ?
Si, après les Jeux olympiques, j’avais du mal à m’en remettre et ça s’est ressenti physiquement. J’ai beaucoup de douleurs qui sont apparues. J’ai eu une déchirure au ménisque et un kyste à l’extérieur du genou gauche. Cela a été difficile à gérer en fin d’hiver et ça m’a embêté tout l’été. J’ai travaillé très fort avec des kinés et des médecins pour soigner ça au mieux. A Ushuaïa, c’était un point positif parce que je n’ai eu aucune douleur au genou. Ça, c’est génial ! Mais j’ai encore mes talons qui m’embêtent. Après, ce qui est bien, c’est qu’en Coupe du monde, ça risque moins de me faire mal qu’à l’entraînement parce que la piste est moins vieille. Sur un stage, on part et on s’entraîne sur la même piste pendant trois semaines, du coup la piste s’abime, les bosses deviennent plus grosses, plus longues. En Coupe du monde, la piste est faite, préparée, on fait nos quatre jours dessus et c’est terminé.
C’est impossible de résoudre ce problème au talon ? J’imagine que vous avez essayé pas mal de choses déjà…
Oui, j’ai essayé pas mal de choses. On s’est penché sur un protocole de quantification du stress mécanique. En gros, un gars qui veut courir le marathon, du jour au lendemain, il ne fait pas le marathon, il y a un entraînement progressif à suivre avant. Moi, le souci, c’est que tout l’été je marche avec des chaussures de sport, il n’y a aucun impact, et d’un coup, à l’automne, on rattaque dans les bosses glacées pendant une semaine non-stop. Il faudrait ajouter des impacts pendant l’été, beaucoup marcher pieds–nus, taper un peu plus les talons en période estivale pour ensuite être mieux préparé lors de la reprise.
« L’objectif, c’est l’or olympique »
Avec quel objectif partez-vous cet hiver, où il y a la Coupe du monde et les Championnats du monde, où vous avez déjà décroché deux médailles d’argent (en 2017 et en 2021) ?
Je ne pars pas pour gagner le classement général cette année, je pars pour avoir de la régularité afin d’avoir un bon dossard sur les prochains Jeux olympiques, et bien préparer les Championnats du monde. Le gros objectif, c’est une vengeance par rapport aux derniers Jeux, et du coup, c’est d’avoir une médaille d’or olympique.
Chloé Trespeuch : « J’adore jouer, donc je vais tout jouer ! »
Chloé Trespeuch a transformé le bronze olympique décroché il y a huit ans et la déception des Jeux 2018 en argent à Pékin. La spécialiste du snowboardcross a vécu une très belle année, mais elle ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Il reste des rêves à accomplir, et elle compte bien profiter de l’hiver pour commencer à les atteindre.
Quel bilan avez-vous dressé de la saison dernière, avec notamment une belle médaille d’argent olympique décrochée à Pékin ?
La médaille olympique, c’était vraiment un bel accomplissement. Ma médaille de 2022 a donné encore plus de couleurs à ma médaille de 2014 [en bronze], parce qu’à l’époque, j’étais jeune et il y avait eu des chutes. J’avais un peu ce truc en moi, qui me disait que je n’étais pas sûre de l’avoir méritée, que je n’étais pas sûre d’être légitime. Réussir à renouveler ce podium olympique huit ans après, vraiment, ça me libère ! Je me dis que j’ai été capable de le faire deux fois, et que c’est mérité. Je suis donc super contente d’avoir remporté cette médaille, et surtout contente de ma gestion mentale de l’événement parce qu’en 2018, j’avais été un peu débordée par les émotions, j’avais cette peur de l’échec parce que j’arrivais en favorite. En 2022, j’arrivais aussi comme favorite, et je n’avais pas envie de revivre ça, d’avoir peur de manquer ma chance.
Je voulais juste vivre dans l’avancée, donner le meilleur de moi-même et voir ce qui arrivait. Parce que quand on a la peur de perdre, on ne s’attribue qu’une seule chance, qu’une seule possibilité d’être contente, c’est de gagner. C’est hyper réducteur. J’ai donc vraiment travaillé en me disant que je préparais l’événement, que je voulais gagner, mais j’aurais aussi été capable de me remettre d’un échec. Cela a permis de relativiser les conséquences de l’enjeu, et je suis donc arrivée hyper sereine et j’ai vraiment profité de l’événement. Plus globalement, sur la saison, j’ai eu de bonnes sensations, même s’il y a eu quelques contreperformances, notamment sur la finale de la Coupe du monde. Mais forcément, j’étais un peu fatiguée des Jeux donc dans l’ensemble, je suis très contente. En revanche, il n’y a pas eu de victoire, toujours pas de victoire, donc c’est vraiment le défi de cette année, avoir ce petit truc en plus pour réussir à m’affirmer jusqu’au bout.
« J’aime être indépendante »
Quand vous parlez de l’aspect mental, vous êtes accompagnée pour cela ?
Oui, j’ai fait une préparation mentale avec l’Académie de la haute performance pour préparer les Jeux olympiques, et ce que je voulais, c’était ne pas du tout être dépendante de quelqu’un, d’un psychologue ou autre. Je voulais avoir une formation pour comprendre comment je fonctionnais et comment résoudre mes problèmes toute seule. J’ai eu besoin d’un accompagnement pour ça, mais après, j’ai l’impression que ça m’a rendu autonome pour la suite. C’est ça que je cherchais, j’avais du mal à me projeter sur une préparation mentale parce que j’aime bien être indépendante, ne pas dépendre de mes coachs, de mon préparateur mental, de mon préparateur physique. J’avais à cœur d’avoir cette formation et de me l’attribuer.
La préparation justement, comment s’est-elle passée cet été ?
Aucune douleur, aucun problème, tout s’est bien passé. Sur la neige, j’ai eu de bonnes sensations aussi. J’ai fait un peu moins de jours sur la neige que les autres années parce qu’on s’est dit qu’il fallait bien que je récupère des Jeux olympiques, et que je ne reparte pas dans une préparation en étant un peu fatiguée. Mais j’ai l’expérience, et des jours sur la neige, j’en ai eu moins, mais avec une plus grande qualité quand j’y étais.
« Le globe de cristal me fait vraiment rêver »
Les objectifs pour la saison, quels sont-ils ? Est-ce que c’est le classement général de la Coupe du monde, une première victoire, ou est-ce priorité aux Mondiaux ?
J’adore jouer, donc je vais tout jouer. J’ai envie d’aller chercher les victoires sur les étapes de Coupe du monde, de continuer ma quête vers le globe de cristal, qui me fait vraiment rêver. Et pour les Championnats du monde, je n’ai pas eu de médaille aux Mondiaux depuis 2017, donc ça reste vraiment l’objectif. Si je pouvais avoir une médaille aux Mondiaux et la victoire – donc la médaille d’or -, ça ferait deux objectifs en un. Je vais disputer toutes les compétitions et je ne ferai jamais d’impasse cet hiver, c’est sûr. Il y a dix étapes de Coupe du monde et les Championnats du monde, en individuel et par équipes.
Est-ce que vous regardez un peu ce que font les adversaires pendant l’été, les différentes préparations ?
Je pense qu’avant, je me focalisais plus dessus. Maintenant, je suis plus cool avec moi-même et moins dans la comparaison tout le temps. L’hiver, c’est notre quotidien et j’adore qu’on soit encadré. Mais après, on a tous des chemins différents qui mènent à la réussite, qui peuvent y mener en tout cas. Rester concentrée sur mes décisions et ne pas tout le temps les comparer aux autres, c’est la bonne décision parce que, sinon, on peut rentrer dans un cercle de culpabilité permanent.
Propos recueillis par Simon Bardet