Emily Harrop : « J’ai eu un vrai coup de foudre en voyant les mecs passer la bave au menton »

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Avant la première étape de Coupe du monde de ski alpinisme, qui se déroule ces 25 et 26 novembre à Val Thorens, la Savoyarde de 26 ans, double tenante du gros globe de cristal de la discipline, se confie sur ses aspirations et sa relation à ce sport. Avec son franc-parler et une vraie fraîcheur d’esprit.

Comment se présente pour vous cette première étape à Val Thorens ?
« C’est l’ouverture de la Coupe du monde à la maison ! (rires) C’est forcément un moment important pour nous, la famille sera là, les amis aussi. C’est hyper chouette de lancer la saison sur nos terres. Après, c’est une étape qui arrive très tôt dans la saison, on n’a pas encore mis beaucoup les skis même s’il y a eu de la neige et qu’on a pu commencer la préparation à Tignes fin octobre-début novembre, on n’est donc pas encore au top de la forme. Mais c’est un super événement pour bien nous remettre en route pour espérer que la saison se déroule sur une bonne note.

Aussi bonne que les deux dernières saisons ?
Oui, j’ai vécu deux dernières saisons assez dingues sur le plan émotionnel. C’était super de pouvoir continuer à surfer sur la même vague que la saison précédente avec ce nouveau gros globe, le petit globe au sprint, on est devenus champions du monde en relais avec Thibault Anselmet. Il y a eu pas mal de belles cases qui ont été cochées. C’était une saison différente par rapport à 2021-2022 : il y avait des attentes, il fallait aussi gérer cette pression. Et puis, il y a eu aussi des moments de bas, de doutes : je me suis blessée pendant l’hiver (fissures aux côtes) et j’ai raté une étape de Coupe du monde donc j’avais complètement mis de côté mes chances pour gagner le gros globe. Finalement, j’ai grappillé mon retard au fur et à mesure des courses pour remporter la Coupe du monde sur la dernière course. C’était un peu inattendu pour moi.

Vous vous attendez à quoi pour cette nouvelle saison ? L’objectif, c’est de réaliser la passe de trois ?
C’est sûr que ce serait un rêve. Mais je préfère ne pas m’avancer, un gros globe demande une implication sur chaque étape. Je vais essayer d’être à mon meilleur niveau à chacun des rendez-vous. On a les Championnats d’Europe à la maison, à Flaine (avec un sprint, un individuel et une verticale race) et Chamonix (un relais mixte), du 8 au 12 janvier, et ça va aussi être un objectif. Il y aussi des Mondiaux sur la longue distance lors de la Patrouille des Glaciers, le 20 avril (à Zermatt, en Suisse). Donc j’ai une vision simple : me recentrer à chaque course et partir de zéro à chaque fois.

La perspective des JO, qui auront lieu en 2026 à Milan-Cortina d’Ampezzo, entre-t-elle en ligne de compte ?
Oui, les Jeux olympiques approchent gentiment mais sûrement ! Avec cela une spécialisation de plus en plus chaque année dans les disciplines qui vont y être, à savoir le sprint et le relais mixte. La préparation se tourne donc vers cela. C’est la dernière saison où il n’y a pas d’enjeu entre guillemets par rapport aux JO puisque la sélection des dossards et des athlètes se fera l’année prochaine lors des Championnats du monde notamment. Mais en attendant, oui, on se spécialise (rires) !

Ce sont deux disciplines qui vous vont bien…
Oui, le sprint est ma meilleure discipline et en relais mixte, on a eu de belles réussites avec Thibault Anselmet avec des titres de champions d’Europe et champions du monde. Après, depuis que c’est entré aux JO, il y a des nations qui s’axent vraiment là-dessus et qui progressent rapidement : la Suisse, l’Espagne, l’Italie. Cette saison, le calendrier permet de jouer encore sur des courses qui ne sont pas des disciplines olympiques mais qui nous font vraiment plaisir à faire. Donc l’idée, c’est d’accentuer la préparation pour les Jeux mais sans se priver des grandes courses par équipes et des courses en individuel qui m’amènent beaucoup de plaisir. Donc c’est une dernière saison moins focus sur les JO même si on les garde bien en tête.

Quel est votre regard sur l’émergence du ski alpinisme ?
Disons que je comprends les personnes qui pensent que toute cette exposition dénature un peu le sport et, en même temps pour moi, cela permet d’apporter de belles opportunités pour la discipline, pour les athlètes qui peuvent se professionnaliser avec plus de visibilité, des partenaires qui sont plus impliqués. J’espère que les JO vont aussi ouvrir la porte aux disciplines plus traditionnelles du « ski alpi », qui restent pour le moment des niches, ce qui permettra au public de les découvrir : les grandes courses en montagne (la Pierra Menta, la Patrouille des Glaciers parmi les plus connues) et l’individuel, la discipline reine. J’ai vraiment envie de voir l’individuel intégrer les JO, et de la façon la plus naturelle possible c’est-à-dire en conservant le côté montagne et technique de la discipline, ce serait incroyable. J’espère que cela évoluera vers ça.

Ce serait plus facile si la France, qui s’est portée candidate à travers les Alpes françaises, décrochait l’organisation des JO en 2030 ?
Oui, je pense que cela jouera en faveur du ski alpi. La France est une nation forte de ce sport. On a des belles montagnes, un beau terrain de jeu pour pouvoir organiser un beau spectacle de la discipline. Ce serait super (si les JO pouvaient avoir lieu en France en 2030).

Aujourd’hui, le ski alpinisme est votre activité à plein temps. Comment s’est réalisée l’évolution pour vous  ?
Depuis que le ski alpinisme est entré aux JO, l’Armée des champions soutient une bonne partie des athlètes de l’équipe de France. Cela nous a vraiment aidés à passer un cap dans la professionnalisation et permis de nous concentrer sur notre sport. Pour des athlètes ambitieux qui veulent atteindre certains objectifs, devenir pro, ça change tout ! Et c’est un peu un rêve… Quand j’ai compris que l’armée me soutenait et que je devenais une athlète professionnelle, c’était une joie immense. C’est une vraie chance et tous les athlètes qui peuvent ouvrir cette porte se sentent très chanceux.

Cela a commencé quand pour vous ?
J’ai intégré l’Armée des champions en 2021. Tout de suite, derrière, mes résultats ont vraiment changé : j’ai décroché mon premier gros globe. Cela fait vraiment une vraie différence de faire de son sport son métier. Avant, je travaillais à l’ESF pendant l’hiver pour donner des cours de ski et j’étais étudiante en même temps (à l’école de management de Grenoble). Cela faisait un beau jonglage avec peu de repos et moins d’heures sur les skis à l’entraînement. En passant pro, on a l’esprit plus libre. On a plus de temps pour se reposer, on ne fait pas forcément plus d’heures d’entraînement mais ce qui fait la différence, c’est la qualité de régénération.

Comment êtes-vous arrivée au ski alpinisme ?
J’ai fait du ski alpin toute ma jeunesse, jusqu’à mes 20 ans. J’étais au Club de Tignes et j’ai fait 2 ans au Comité de Savoie. C’était très différent du ski alpinisme, c’était un peu plus cadré, on va dire, avec des portes bleues et rouges. J’avais des ambitions de haut niveau mais j’ai été blessée les deux dernières saisons (fracture d’une clavicule et d’un tibia) et j’ai vite perdu du niveau. J’ai donc arrêté mais j’ai toujours adoré l’endurance, la montagne, la rando avec mes parents surtout. J’ai découvert la Pierra Menta en 2019 avec des amis (lors d’une sortie en ski de randonnée) et j’ai eu un vrai coup de foudre en voyant les mecs passer devant nous la bave au menton (rires). Je me suis dit : « allez, ça c’est pour moi ! » Et je me suis dirigée vers le ski alpi. Je découvrais complètement la discipline et, petit à petit, je me suis fait une petite place.

Que pensent aujourd’hui vos parents de votre trajectoire ?
J’ai de la chance d’avoir des parents très sportifs qui adorent les sports d’endurance et de plein air. Ils sont super contents que je me sois trouvée une discipline qui me correspond super bien et que je sois épanouie, ils sont à fond derrière moi ! Et moi de mon côté, je prends du plaisir tout le temps, je sens que je suis dans mon élément. Je pense qu’il me manquait quelque chose en ski alpin. J’ai la chance aujourd’hui d’être entourée par une super équipe, je n’éprouve vraiment aucun regret de ne pas avoir percé en alpin (rires). »

Propos recueillis par Sylvain Lartaud

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