Sacré champion de France U23 de BMX Racing le 5 octobre, Ilan Lefebvre a atteint son plus grand objectif quelques mois après avoir envisagé de mettre un terme à sa carrière. Le jeune yvelinois de 21 ans, étudiant en alternance, est revenu sur son parcours et s’est exprimé sur le défi que représente la conciliation entre études et pratique d’un sport à haut niveau.
Comment avez-vous découvert le BMX ?
Mon père fait de la moto, et il est à la tête d’un magasin de motos tous terrains et de motos de route. Il n’avait pas le temps de m’emmener faire de la moto parce que ça demande beaucoup de temps, donc on est partis sur le BMX dès mes six ans. J’ai été inscrit au club d’Évreux BMX en Normandie, à une heure de chez moi (il habite depuis son enfance à Mantes-la-Jolie dans les Yvelines), et ma mère m’y amenait pour mes entraînements. Ça m’a plu, donc j’ai continué en augmentant la fréquence des entraînements. Au départ, j’étais au club une fois par semaine, et ça au fur et à mesure évolué jusqu’à trois jours.
Avez-vous des souvenirs de votre première compétition ?
C’était à Évreux, ça devait être une course départementale ou régionale. J’avais six ans, j’étais en famille, ça s’était bien passé et c’est un bon souvenir !
Vous avez commencé le BMX à Évreux, mais vous êtes licencié à Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire) maintenant…
Je suis resté environ treize ans à Évreux, où j’ai progressé jusqu’au niveau Élite (plus haut niveau du BMX en France). J’ai fait ma première année en Élite à Évreux, puis je suis parti à Joué-lès-Tours, où je suis depuis deux ans maintenant.
Quel rôle joue votre club dans votre progression ?
Un club de BMX propose en premier lieu des entraînements basiques, comme une association de n’importe quel autre sport. Ensuite, une fois qu’on atteint le niveau Élite, il y a certains clubs en France qui sont dans des DN (divisions nationales), structurées un peu comme au foot. Il y a la DN1 et la DN2, qui pourraient correspondre à Ligue 1 et Ligue 2. Évreux était en DN2, et Joué-lès-Tours en DN1. Donc à partir d’un certain niveau, c’est mieux d’aller dans une DN1, notamment pour l’accompagnement. Actuellement, Joué-lès-Tours m’accompagne sur tout : l’hébergement, la nourriture, les déplacements, les inscriptions aux courses… Je peux aussi profiter des entraîneurs du club qui sont sur place. Lorsque je suis en compétition, je cours sous le maillot du club.
Avez-vous un entraîneur particulier au sein du club ?
Non, j’ai mon propre entraîneur. Je travaille depuis février 2024 avec Thomas Poincheval, indépendamment du club.
En BMX, vous roulez avec des vélos spécifiques. Quelles différences ont-ils avec les vélos classiques ?
Ils sont un peu plus petits pour pouvoir facilement jouer avec le vélo, faire des sauts ou des enroulés pour gagner de la vitesse. Ils ont des roues de 20 pouces, tandis que celles d’un vélo basique sont plutôt de 27 ou 28 pouces en VTT par exemple. Ce sont des vélos un peu plus joueurs, pour qu’ils soient efficaces sur les pistes sur lesquelles on roule. Autre différence, ils n’ont qu’une seule vitesse, il n’y a pas de changement de vitesse comme sur un VTT. Ce sont des vélos réactifs et assez bas, qui nous permettent d’avoir une amplitude maximum pour nous et pour nos mouvements.
“Je voyais mes concurrents s’entraîner, pendant que moi j’étais au travail”
Vous êtes en école de commerce à Mantes-la-Jolie, et en alternance.
Oui, je suis en première année d’un Master en marketing. Mon alternance est aussi à Mantes-la-Jolie, dans un magasin de vélos en centre-ville. On est deux dans le magasin, donc je suis amené à toucher à l’atelier, à la vente, un peu à tout. Ça me permet de travailler dans un milieu qui me passionne, j’aimerais avoir mon magasin de vélo plus tard, comme mon père avec ses motos. En revanche, c’est difficile à concilier avec l’entraînement et le sport de haut niveau.
C’est en partie pour cette raison que vous avez failli abandonner le BMX il y a quelques mois ?
Il y a un an, j’avais terminé quatrième aux championnats de France. J’étais très déçu, et j’avais eu du mal à m’en remettre. Je n’étais pas tombé en dépression non plus, mais ça a marqué le début d’une perte de motivation que j’ai traînée jusqu’au début de cette année. Elle était aussi effectivement dûe au rythme que je devais supporter, car à mon niveau de compétition, je suis l’un des rares à être encore en études et à travailler à côté à plein temps. Ça prend énormément de temps, je devais m’entraîner soit le matin à 7 h, soit à 19 h après le travail, ce n’était pas une situation confortable pour m’entraîner à haut niveau. Le soir, je manquais d’envie. J’étais moins concentré et donc moins investi en conséquence, ce qui commençait à me peser.
En début de saison, vers février/mars, je n’avais plus de motivation, je sentais que le rythme était presque impossible à tenir. Commencer à 9h30 le travail, finir à 19 h et aller m’entraîner soit très tôt le matin, soit très tard le soir, je ne trouvais pas ça gérable. Ça ne me plaisait pas, je ne prenais pas de plaisir et je le faisais seulement par assiduité. Franchement j’étais au plus bas, je n’étais pas en confiance, j’avais le moral à zéro. Je ne voulais plus continuer avec ce rythme là.
Je voyais mes principaux concurrents qui s’entraînaient toute la journée. Sur les réseaux, ils mettaient des storys où ils s’entraînaient le matin, le midi, le soir, pendant que moi j’étais encore au travail. C’était pesant mentalement, parce que j’avais l’impression de perdre du temps. Pas du temps dans la vie bien sûr, mais dans le sport, on se battait pour le même objectif, mais eux avaient d’autres moyens par rapport à moi.
Qu’est-ce qui vous a convaincu de persévérer ?
Champion de France, c’était mon rêve ultime. Et début mars je me disais que, finalement, ce n’était pas possible de réussir à l’être. Mais j’ai pris du recul au fur et à mesure, et ça m’a permis de comprendre que toutes ces contraintes étaient en fait ma force. Je m’étais de toute façon engagé à finir la saison dans tous les cas, donc je me suis promis de ne rien lâcher jusqu’aux championnats de France. (début octobre, il y a deux semaines).
C’est une seule course dans l’année, il n’y a qu’un champion par an, donc c’est très difficile de s’y imposer. C’était mon rêve, c’était plus fort que toutes les déceptions et tous les doutes. Alors je me suis donné les moyens pour continuer jusque là, même si ça a été dur en début de saison. Je me suis servi de la désillusion de 2023 pour me motiver à gagner cette année. Même si j’ai beaucoup galéré, j’ai gardé espoir, et je savais que ma détermination finirait par payer.
“La première étape, c’était de retrouver du plaisir”
Remporter ce titre doit vous booster pour la suite ?
Bien sûr, mais mon quotidien n’a pas changé pour autant. Le lendemain matin du titre, j’étais au travail. Il y a encore peu, je voulais aller jusqu’aux championnats de France et arrêter après, maintenant je vais continuer tant que l’envie et la motivation sont là.
Quelles solutions avez-vous trouvées pour mieux concilier sport et vie personnelle ?
Avec mon nouvel entraîneur (Thomas Poincheval), on a adapté plusieurs paramètres pour que ça soit plus facile à gérer. On a diminué la longueur et l’intensité des entraînements, pour davantage basculer sur des entraînements réguliers. On en fait un petit peu chaque jour, pour éviter que ça ne me pèse trop physiquement et mentalement. Ces derniers temps par exemple, je m’entraînais en salle de musculation le matin avant d’aller au travail, et parfois à midi pour éviter de le faire le soir. Quant à l’entraînement pratique de BMX sur piste, comme c’est assez loin de chez moi, on l’a réduit à deux fois par semaine.
En résumé, on a mieux réparti les différentes séances sur la semaine. Après cette période un peu plus compliquée et ce ras-le-bol du sport, retrouver du plaisir était un axe de travail important. C’était la première étape, retrouver l’envie puis se remettre au travail avec les championnats de France en ligne de mire. Étape essentielle, surtout dans la mesure où ça ne me rapporte pas d’argent, et que ce n’est pas mon métier.
On ne peut pas vivre du BMX ?
Aujourd’hui, c’est compliqué de faire ça à plein temps. Il n’y a pas d’ouvertures, et ça ne paye pas vraiment. En étant au très haut niveau, comme par exemple Sylvain André, Joris Daudet et Romain Mahieu (médaillés aux JO 2024) c’est peut-être jouable, je pense qu’ils peuvent s’en sortir financièrement. Mais à notre niveau en Élite, même avec un titre, ça serait de l’ordre de la survie de ne faire que du BMX. C’est pour ça que j’ai une alternance à côté, pour avoir un vrai salaire. Je travaille la semaine et je roule le week-end.
“Mon mot d’ordre, c’est de ne pas me prendre la tête”
En dehors des compétitions, le BMX influence-t-il votre vie quotidienne ?
Le BMX me permet d’être assidu, d’être tout le temps en réflexion. Même si c’est dur de tout concilier, j’apprends énormément de choses dans le sport, au magasin où je travaille et à l’école. C’est une chance d’engranger toute cette expérience, d’être en master, et d’être assez autonome.
Vous arrive-t-il de monter sur votre vélo pour le plaisir, hors entraînement ?
Non pas souvent, même si j’aime beaucoup. À chaque fois que je roule sur mon vélo, je prends du plaisir. Mais je finis toujours par trouver quelque chose à travailler (sourire).
Comment vous préparez-vous mentalement pour les compétitions ? Avez-vous une routine spéciale, ou des habitudes ?
D’abord, me lever avec le sourire pour bien indiquer le sens à suivre. Puis un bon petit déjeuner, et pas de pression. J’écoute beaucoup de musique, des musiques joyeuses mais aussi des musiques un peu plus déterminées. Ma préparation mentale s’arrête principalement à ça. Le mot d’ordre, c’est ne pas se prendre la tête, concilier plaisir et détermination, même si c’est un sport assez exigeant. Par rapport à la plupart de mes concurrents qui sont en pôle ou en structure, je ne me prends pas trop la tête.
Y a-t-il des athlètes ou des mentors qui vous ont inspiré dans votre parcours ?
Je m’inspire beaucoup des trois médaillés BMX aux JO bien sûr, mais je trouve aussi des modèles dans d’autres sports. En fait, ce n’est pas que le sport en lui-même qui m’inspire, mais plutôt les personnalités de ce milieu. J’aime beaucoup Neymar par exemple, quand je parlais de musique joyeuse, je pensais à lui directement. Au BMX ainsi que dans mon entourage, on parle tout le temps de lui, ça me parle vraiment. En Formule 1, plus à l’ancienne, j’aime bien Ayrton Senna. Je ne suis pas bloqué uniquement sur le BMX.
Maintenant que vous avez atteint votre plus grand objectif avec ce titre de champion de France, vous êtes-vous fixé de nouvelles ambitions ?
Pas pour l’instant, je ne me prends pas la tête. Mais quand une course qui me tient à cœur se profile, je donne le maximum pour la réussir. C’est cette optique là qui me sert de motivation.
En parlant de course, vous vous êtes blessé lors de l’une d’elles le week-end dernier…
Ça remonte à plus loin. Je m’étais déboîté l’épaule au mois de juillet, et j’ai tout fait cet été pour me rétablir rapidement et avoir une épaule solide aux championnats de France. Et le week-end dernier, deux semaines après mon titre, je me suis à nouveau déboîté cette épaule, tout bêtement en faisant un mauvais geste. Elle était assez fragile depuis cet été, et elle a heureusement tenu jusqu’aux championnats de France. J’ai essayé de rouler ce week-end avec une épaule luxée mais c’était compliqué, je l’ai fait pour aider mon équipe. C’était la dernière course en Coupe de France de la saison, on était 4e de DN1 et on pouvait encore jouer la 3e place (la DN1 compte dix clubs).
Je me fais opérer dans deux semaines, puis il y aura deux ou trois ou mois d’immobilisation. J’espère être de retour en janvier !