Par un mail de la fédération internationale de volley-ball reçu la semaine dernière, Fabrice Collados, 57 ans, arbitre international affilié au club du Pays viennois, a appris sa sélection officielle pour Paris 2024… ses deuxièmes JO après Tokyo 2020. Plus attendue, cette désignation est l’occasion de revenir sur son parcours et sur ses projets. « C’est tellement de travail et de sacrifices au fil des années, tous ces week-ends passés sur les terrains en France et à l’étranger, je me dis que ça valait le coup ! », savoure-t-il.
Même si vous vous y attendiez, ça vous a fait quoi de recevoir ce mail de désignation officielle ?
Je suis super content. Par rapport à Tokyo, j’ai moins crié, c’était plus mesuré comme réaction (sourire). Jamais il y a quelques années je n’aurais imaginé faire les JO : une fois, c’est le bonheur ; alors deux fois, c’est vraiment la consécration ! Ma plus grande joie, c’est de voir que tous mes copains arbitres, et notamment ceux qui n’ont jamais fait les JO, sont sélectionnés aussi dans les 18. Donc le jour où on l’a su, les téléphones ont chauffé, j’ai appelé en Grèce, en Italie, à New York, c’était sympa. On s’entend tous très bien, l’arbitrage de haut niveau, c’est une grande famille. Et les JO, c’est un truc énorme à vivre. J’étais donc super content pour eux.
Qu’est-ce qui change par rapport à Tokyo ?
À Tokyo, après la crise du Covid, il n’y avait pas de spectateurs. Là à Paris, ça va être dans mon pays, il va y avoir autour du terrain (Arena Paris Sud 1, Porte de Versailles) et à la télé plein de gens que je connais qui vont scruter mes performances, cela rajoute de la pression mais on est bien préparés et on a l’habitude de ces grands événements. Cela fait 22 ans que je suis arbitre international. J’ai fait deux Championnats du monde, 4 ou 5 Championnats d’Europe, j’ai arbitré 4 finales de Ligue des champions (la dernière en 2022).
Pour la plupart des sportifs, participer aux JO, c’est le Graal, et pour les arbitres ?
C’est pareil pour les arbitres. Quand vous arrivez aux JO, vous avez les yeux d’un enfant. C’est tellement de travail et de sacrifices au fil des années, tous ces week-ends passés sur les terrains en France et à l’étranger, on se dit que ça valait le coup. Pour arriver à ce niveau, la route est très longue. Il faut arbitrer de nombreuses années pour acquérir de l’expérience. Jusqu’en 2014-2015, mes collègues me disaient souvent : « patience, ton tour viendra, on a eu toutes nos grosses désignations dans les 10 dernières années de notre carrière. » Aujourd’hui, je me dis que ça valait le coup d’attendre.
Quel souvenir particulier gardez-vous de vos premiers JO ?
Le premier match qu’on arbitre, on garde précieusement la feuille de match, ce moment est gravé dans la tête à vie. Pour moi, c’était Brésil-Tunisie et 15 jours après j’ai fini par la petite finale Argentine-Brésil avec victoire des Argentins 3 sets à 2, 15-13 au tie-break. C’était beaucoup de pression pour mon collègue polonais et moi car pour ce match, contrairement à la grande finale, une des deux équipes repartait sans la médaille. J’étais 2e arbitre donc avec comme rôle principal de m’occuper du filet. Quand les Brésiliens sortent des JO sans médaille sans faire aucune remarque sur l’arbitrage, c’est que tu as fait ton boulot !
(il enchaîne) Les JO, sportivement, c’est le top : il n’y a « que » 12 équipes, les 12 meilleures. En Championnat d’Europe ou du monde, il y a des matches creux dans la compétition. Là, pour les joueurs et pour nous les arbitres, il faut être au top dès le premier jour, le rythme est soutenu. C’est vraiment une compétition très exigeante. Quand tu es sur le terrain et que tu vois les anneaux olympiques, ça parle quoi, ça porte ! On ressent une pression différente, on sait que la planète entière te regarde. C’est à part. On s’en rend compte à l’attitude des joueurs : à haut niveau, on se connaît tous, les joueurs sont contents pour nous, nous félicite d’être là mais 5 minutes après, dès que le match commence, ce n’est plus la même chose, il reste le respect mais il n’y a plus d’amis.
Vous savez déjà combien de matches vous allez arbitrer ?
Non, à Tokyo, j’en avais arbitré 9 (masculins et féminins). Le format de la compétition a changé : il y aura 3 poules de 4 et non plus 2 poules de 6. Le tournoi commence le 27 juillet, on arrive sur place le 24, et le 26 on saura quel match on arbitre le lendemain et avec quel collègue arbitre. Et ainsi de suite, les désignations se font la veille pour le lendemain. Avant, un Européen ne pouvait pas arbitrer une équipe européenne ni un Asiatique une équipe asiatique. Maintenant, ce sont les meilleurs arbitres au meilleur moment. En revanche, bien sûr, je ne peux pas arbitrer l’équipe de France. À Tokyo, les Bleus sont champions olympiques et avant leur finale, j’ai donc arbitré le match pour la médaille de bronze. Pour moi, c’était l’idéal, c’était chouette. J’ai eu le temps d’aller me relaxer et de revenir un peu avant la finale. J’ai croisé les Français qui m’ont salué : « Fabrice, bravo, on t’a vu à la télé » ; je leur ai dit : « maintenant, les mecs, vous gagnez la médaille d’or hein ! » et c’est ce qu’ils ont fait.
Cette année, vous croisez les doigts pour qu’ils jouent la petite finale et vous laissent arbitrer la finale ?
(sourire) Non, je leur souhaite le meilleur. Les médailles, c’est pour les joueurs, pas pour les arbitres ! Moi, j’ai déjà arbitré déjà tellement de grands événements. Quand j’ai commencé à arbitrer, on m’aurait dit que j’allais faire ne serait-ce que le quart de ce que j’ai vécu, je n’y aurais jamais cru.
Quand avez-vous commencé à arbitrer ?
Je suis originaire de Saint-Étienne et je jouais au volley à Saint-Chamond (42), en pré-Nationale. À 19 ans, j’ai commencé à m’occuper d’arbitrage dans mon club tout en continuant à jouer. Puis Bernard Périllé, qui était arbitre international et président de la Commission régionale d’arbitrage, a pris quelques jeunes arbitres sous sa coupe. C’est comme ça que, fin des années 80, j’ai pu faire juge de ligne sur des matches de Coupe d’Europe de l’Asul Lyon, à l’époque d’Éric Bouvier, Olivier Rossard, Alain Fabiani, puis à partir de 1990 de la Ligue mondiale avec l’Italie, le Brésil, l’équipe de France. Bernard Périllé m’avait dit : « tu vois ce niveau, tu ne pourras pas l’atteindre comme joueur. En revanche, comme arbitre, tu peux y arriver toi aussi… » Il est décédé un peu trop tôt donc il ne m’a pas vu arriver à ce niveau mais je pense souvent à lui car il nous a donné envie et donné notre chance.
Avez-vous continué à jouer en même temps ?
J’ai pu jongler entre les deux pendant de nombreuses années jusqu’à 35 ans en arbitrant le samedi et en jouant le dimanche pour plusieurs clubs de la région stéphanoise (Saint-Galmier, La Talaudière), c’était une sacrée organisation. J’ai même été entraîneur : à La Talaudière, j’ai pris l’équipe en Départementale et on est montés jusqu’en Nationale 3. Jusqu’en 2002 où je deviens arbitre international et depuis 2005, j’ai acquis le statut d’arbitre FIVB et j’ai rempli à peu près tous mes rêves et bien plus encore. Un de mes souhaits quand j’ai commencé, c’était d’aller arbitrer en Italie : c’était le plus grand championnat fin 90-début 2000, j’ai pu le faire en Coupe d’Europe. Des collègues me parlaient souvent aussi des compétitions à arbitrer au Japon et depuis, j’y suis allé quatre fois, j’ai été plus que comblé. Les grands joueurs à mon époque, c’était donc Bouvier, Fabiani, Blain, Tillie en France, Giani et Cantagalli en Italie. Ma récompense et mon plaisir, c’est quand on se croise aujourd’hui, tous ces gens me disent : « alors Fabrice, comment ça va ? » C’est mon bonheur. Au volley, la proximité avec les joueurs est simple et sympa. La plupart sont des gentlemen, hyper abordables pour faire une photo : je pense notamment au Cubano-Polonais Wilfredo Leon qui joue en Italie, à Pérouse, l’une des grandes stars actuelles et très accessible.
Comment avez-vous pu combiner cette vie avec votre vie de famille ?
Mon épouse est issue du volley, on s’est connus à Saint-Chamond où elle jouait en Nationale 1. C’est une prof de sports, une passionnée de sports, c’est comme ça qu’elle accepte tous ces sacrifices. C’était plus facile pour concilier vie de famille et temps consacré au volley. On est venu à Vienne en 2008 pour des questions d’organisation, elle a joué au club du Pays Viennois avec lequel elle a participé à la montée de Régionale jusqu’à Nationale. Notre fille aînée joue aussi au volley et elle est marqueuse (à la table de marque) sur les matches du club (en Élite féminine), je l’ai embauchée (rires). En plus des week-ends, il a fallu gérer les vacances qui se réduisent : plus on grimpe en niveau, plus il faut être disponible. Je fais aussi partie de la Commission d’arbitrage de la Ligue AURA, il faut repérer les jeunes talents. Je consacre donc beaucoup de temps au volley. J’en garde aussi pour ma famille mais c’est une gymnastique assez poussée.
Avec votre employeur aussi ?
Je travaille au département informatique du Crédit agricole Centre-est à Champagne-au-Mont-d’Or (69) et j’ai de la chance d’avoir un employeur compréhensible. Pour préparer les JO, je prends trois mois de congés sans solde « pour convenances personnelles » entre le 15 mai et le 15 août pour être disponible à 100 % pour le volley : je vais participer à la VNL, la volley Nations League, compétition qui va déterminer les cinq dernières équipes sélectionnées chez les garçons et chez les filles. Je pars donc deux semaines au Brésil, puis à Hong Kong et en Thaïlande, en mai et juin. Je fais aussi des sacrifices financiers même si, sans entrer dans le détail, je ne suis pas perdant. Mais il y a aussi beaucoup de plaisir, c’est avant tout une passion. Notre grand chef de l’arbitrage à la FIVB, l’Argentin Willy Paredes, est vraiment très humain, il nous dit souvent qu’il nous demande beaucoup. Il nous dit qu’il comprendrait si on ne peut pas se libérer. Mais on a envie, on fait tout pour être disponible.
Il n’a jamais été question que les arbitres soient professionnels ?
Au volley, ce n’est pas possible comme c’est le cas au foot, au rugby ou au basket. Mais c’est un projet auquel je pense depuis des années, je m’en occuperai une fois ma carrière terminée, peut-être dans 5 ans, au sein de la fédération française. Je pense qu’il est possible de faire évoluer les choses, à condition que toutes les parties y soient disposées. Au basket, les arbitres professionnels sont aussi utilisés pour faire de la formation. On manque d’arbitre dans tous les sports ; en volley, la plupart de ceux qui finissent par arrêter, c’est par rapport à leur activité professionnelle. L’idée, c’est d’avoir des arbitres salariés de la fédération qui arbitrent le week-end, soient détachés pour des compétitions internationales, et qui, la semaine, se déplacent dans les clubs mais aussi dans les écoles ou les universités pour convaincre des jeunes. Il n’y a qu’un pays dans le monde où les arbitres sont pros, c’est la Corée du Sud. En Europe, ce serait donc une première.
Cela implique quoi ?
Sans doute une exposition supérieure du sport à la télévision. Ce serait tout bénéfice pour les fédérations mais aussi pour les arbitres car en engrangeant plus d’argent avec la diffusion des matches, automatiquement cela va dans le sens de la professionnalisation. Il faudrait que le volley soit plus médiatisé, plus lucratif. Le frein, c’est la durée d’un match : on sait quand il commence, jamais quand il finit. Des choses sont déjà mises en place pour réduire le temps de jeu pour que le volley soit plus spectaculaire et passe mieux à la télé. On nous demande aussi à nous d’aller dans le sens du spectacle. On est bien sûr favorables car plus le volley est diffusé, plus les arbitres ont des chances d’en vivre.
Propos recueillis par Sylvain Lartaud