À quelques semaines des JO, lors du Test Event de plongeon qui se déroule jusqu’à vendredi à la piscine olympique de Saint-Denis, Frédéric Parot aura un œil attentif sur son ancien élève Jules Bouyer (21 ans), toujours licencié à Lyon et en qui il croit pour une médaille olympique. Pourtant, au-delà des projecteurs braqués sur ce sport depuis la chute d’Alexis Jandard devant Emmanuel Macron, l’entraîneur du Lyon Plongeon Club tire la sonnette d’alarme sur l’état de cette discipline en France. Explication.
Le Lyon Plongeon Club a une belle histoire avec les JO, racontez-nous.
En effet, hormis pour Atlanta en 1996 et Tokyo en 2020, on a depuis 40 ans des athlètes du club (ou passés par le club) qualifiés aux JO : Claire Izacard en 1984, Jérôme Nalliod en 1988, Philippe Duvernay en 1992, Claire Febvay en 2000 (avec également Sandra Ponthus), 2004 et 2008, Marion Farissier et Matthieu Rosset en 2012, ou encore Laura Marino en 2016. Aucun, à ma connaissance, n’a fini finaliste. L’espoir, pour cela, c’est Jules Bouyer : il est 5e mondial, vice-champion d’Europe seniors, il a été champion du monde et champion d’Europe junior. Il est parti en 2019 à l’INSEP en restant licencié au Lyon Plongeon Club, c’est son club de cœur, c’est sa famille, ses vrais potes du plongeon sont là. C’est quelqu’un de respectueux, qui a beaucoup d’humilité. Il revient le 17 mai pour la fête du club, ça va faire du bien à toutes les jeunes générations : c’est leur Dieu, quoi !
Comment vous le sentez avant cette échéance olympique ?
Il a eu quelques blessures à l’épaule il y a quelques mois mais je n’étais pas inquiet pour sa qualification olympique : c’est mon gone, je connais ses capacités. Quand il est arrivé à 7-8 ans, je me souviens, il fallait le canaliser : on lui laissait un trampo, il sautait et sautait encore, faisait des saltos, il n’avait peur de rien. Je savais qu’on allait en faire un super champion. Il a été 4e des championnats d’Europe junior alors qu’il était minime, dans ses années cadet il a pris toutes les médailles sur tous les meetings jusqu’à devenir champion d’Europe (sur 3 m) puis du monde en 2021 (sur 1 m). C’était à Kiev et sans les Chinois, il a saisi l’opportunité. Sur le 3 m, il a raté son concours et a fini 13e alors qu’il était champion d’Europe. La première épreuve a souvent été un problème avec la gestion de la pression. Il s’est reconcentré sur le 1 m et a décroché le titre. Aux Jeux, bon, il n’y a pas d’épreuve sur 1 m : sur le 3 m, je pense qu’avec Alexis Jandard (licencié à Vaugneray, à côté de Lyon), ils peuvent viser un podium en synchro – ils ont fini 3e aux championnats du monde l’an dernier – et en individuel, tout peut arriver. Les Chinois Wang Zongyuan et Xie Siyi sont favoris, l’Anglais Jack Laugher et le Mexicain Osmar Olvera Ibarra sont devant sur le papier. Mais Jules ne fait que surprendre, je pense qu’il peut accéder au podium. Il en est capable. On va déjà avoir un premier aperçu lors de ce Test Event. Après, cela dépend de la préparation et du travail avec la DTN Clémence Monnery, que j’ai entraînée ici aussi quand elle avait 12 ans. J’espère pour eux qu’ils vont obtenir une médaille !
Ces dernières semaines, on a beaucoup entendu parler du plongeon à travers Alexis Jandard justement. Comment avez-vous réagi ?
(il fait la moue) J’ai 45 ans, ça fait presque 40 ans que je suis dans le plongeon, on ne nous a jamais considérés comme un sport à part entière dans une fédération où on est étouffés par la natation, on n’a pas d’infrastructures, on a du mal à se développer, on a toujours été un peu considérés comme des clowns. Et s’il n’était pas géré par des dirigeants et des entraîneurs passionnés, ce sport n’existerait plus. Et honnêtement, je pense qu’on est sur la fin en France. En 2000, on était une quinzaine de clubs avec une moyenne de 70-80 participants au Championnat de France ; aujourd’hui, on n’est plus que 2-3 clubs avec 20 participants. Les choses s’écroulent parce que d’anciens coaches ont arrêté, d’autres se sont démotivés, beaucoup de cadres techniques ont préféré partir à l’étranger. On n’avait même pas de vraie structure pour accueillir un Championnat d’Europe junior. La piscine des Jeux est enfin arrivée, mais c’est un peu tard. Le mal est fait, il va falloir tout reconstruire, c’est un boulot monstrueux.
Et pour revenir au buzz créé par Alexis Jandard lors l’inauguration de la piscine olympique ?
C’est à l’image de ce qu’on est : on est très forts avec rien, on a des résultats de fous, de plus en plus forts depuis une quinzaine d’années, alors qu’on s’entraîne dans des conditions de misère. Cela montre la compétence des entraîneurs et des dirigeants qui encadrent mais ce n’est pas pour autant qu’on nous a aidés. Cela reste une discipline confidentielle, avec peu de partenaires et de sponsors. Peut-être qu’avec ce qu’a fait Alexis, ça va changer. Moi, je trouve ça génial, j’étais mort de rire. Il faut l’encaisser le truc ! C’est quelque chose qui arrive fréquemment à l’entraînement, on fait un sport acrobatique. Bon là, c’est arrivé le jour de l’inauguration devant le Président Macron. Je pense qu’Alexis a été bien entouré derrière pour super bien réagir. Il connaît une saison pas facile, il a perdu sa place sur le 3 m individuel. Depuis les Jeux de Tokyo il y a 3 ans, il a eu des problèmes de blessure, la concurrence est arrivée. Le prendre à la rigolade, c’était la meilleure carte à jouer et derrière, il a montré qu’il était bon. Il revient des États-Unis (l’American Cup) avec deux médailles, ça montre qu’il a des qualités mentales et dans ce sport il en faut : on peut se prendre un plat, toucher un tremplin avec la tête, ça fait mal, il faut avoir le cran de remonter et de se montrer aux yeux de tout le monde. En haut de la plateforme, on est tout seul, ça dure 3 secondes pour un geste qu’on a répété maintes et maintes fois. C’était le coup médiatique qu’il fallait.
Est-ce que ça peut servir au plongeon ?
Au moins, on parle de nous ! Ce n’est pas forcément de la meilleure des manières mais comme on est considérés comme des clowns on va peut-être changer et ce sport va être reconnu comme c’est le cas en Allemagne, en Italie ou en Angleterre. On a le droit aussi de passer à la télé, pour attirer du monde et pouvoir se développer, être un peu moins dans la misère. Donc il va falloir vraiment faire mousser tout ça. Ce qui manque, ce sont des infrastructures et des moyens. Si demain, il n’y a plus de plongeon, ça ne va choquer personne.
Comment cela se passe au Lyon Plongeon Club ?
Depuis le changement de l’adjoint aux sports en 2020, du directeur des sports et du responsable des piscines, il y a eu un remaniement et si on compare avec la période de 2015, on a perdu des moyens d’entraînement, des équipements et des conditions d’entraînement à la piscine de Vaise (Lyon 9e). Avant, la ville de Lyon avait mis un billet sur le plongeon de haut niveau et aujourd’hui même si Lyon reste le pilier du plongeon français, on n’est plus dans leur centre d’intérêt. Je vous cite un exemple concret : la piscine de Vaise ferme le 1er juin pendant un an pour travaux. Mais à l’heure actuelle, on n’a aucune solution de repli : on a demandé d’aller sur d’autres piscines, d’installer des tremplins à Charial (Lyon 3e) ou à Tronchet (Lyon 6e), d’avoir accès à un gymnase pour maintenir notre volume adhérents loisirs et ne pas fermer le club. Pour ce qui est du groupe compétition, c’est la grande inconnue. Je me bats pour trouver des solutions : l’une d’elle, c’est d’aller à Bourg-en-Bresse, la structure correcte la plus proche, mais c’est à 80 km. Personne ne répond, ni à la ville, ni à la fédération : là c’est les JO, le reste, on verra après. Mais nous, on va droit dans le mur.
Vous n’avez jamais connu cette situation ?
Si, la piscine de Vaise a déjà fermé en 2005. À l’époque, la ville était beaucoup plus réceptive à nos demandes et avait anticipé : on nous avait basculés sur la piscine à la Croix-Rousse et sur celle du Parc, on le savait 6 mois avant la fermeture. Quand on est revenu un an après, il a fallu des années pour retrouver un bon seuil d’adhérents. Là, on a le sentiment d’être laissés à l’abandon et on ne compte pas. Les autres clubs résidents de la piscine (Lyon Natation, Synchro Lyon Aqua) ont d’autres bassins sur Lyon pour nager, ce n’est pas notre cas. Oui, c’est un petit sport confidentiel mais quand même, il y a de la valeur dans tout ça !
Cette fermeture va permettre de bénéficier d’une piscine ultra-moderne, non ?
Effectivement, ils vont faire une super piscine, pour le plongeon, ça va être top : on va gagner en nombre de tremplins en passant de 3x1m et 2×3 m à 3×1 m et 3×3 m, plus des plateformes et une machine à bulles pour l’apprentissage des petits. Après, on reste les parents pauvres de l’Europe. Pratiquement partout ailleurs, ils ont des installations comme celle de la piscine des Jeux mais depuis 20 ans. La rénovation de la piscine va un peu rattraper le retard mais c’est très loin de ce qu’on devrait avoir : on n’aura pas un tremplin de 10 m, c’est une discipline olympique. Si je fais la comparaison avec d’autres pays, on aura une piscine d’un niveau régional. Les élus voient cela comme un danger mais les gamins, à 11-12 ans, ils plongent à 10 m et font des triples sauts et demi. À cet âge-là, ils n’ont pas conscience de la peur que peut avoir un adulte. La machine à bulles les amortit s’ils se ratent et c’est beaucoup plus facile d’apprendre sur une surface stable et dure que sur un tremplin élastique qui bouge.
À quel âge commencent les plus jeunes ?
On peut commencer dès qu’on sait nager, à 6 ans, sous une forme plutôt ludique. Malgré tout, on apprend les bases. Chez les 6-10 ans, le plus important, c’est le travail gymnique : il représente 70 à 80 % des séances. Sur une séance de 2 heures, il y a 1h30 de gym et 30 minutes dans l’eau. À 10 ans, les enfants du groupe compétition viennent s’entraîner tous les jours. S’ils veulent espérer atteindre le haut niveau, ils n’ont pas le choix. C’est un sport qui demande beaucoup de répétitions, de travail de psychomotricité, de concentration et de rigueur. Mais qui garde un côté fun unique.
Propos recueillis par Sylvain Lartaud