Traditionnelle épreuve au cœur du Sahara marocain, le Marathon des Sables revient pour une nouvelle édition du 12 au 19 octobre. Une édition marquée par une nouvelle spécificité, puisque 10 équipes handisport prendront part à la course. À l’origine de ce projet, Myriam et Pierre Cabon, rescapés des attentats du Bataclan qui ont rendu Pierre paraplégique.
Une aventure ambitieuse qui promet d’être intensive. Du 12 au 19 octobre, 10 équipes handisport seront au départ du Marathon des Sables dans le Sahara. Réputée pour être l’une des courses les plus difficiles et exigeantes au monde, l’épreuve marocaine inaugurera ainsi sa première édition du Handi Marathon des Sables. Un pari lancé par deux des futurs participants, Pierre et Myriam Cabon. Grands amateurs de voyages et d’aventures, ces deux parisiens se sont rencontrés en 2015, et ont rapidement vu leurs projets dans leur passion commune chamboulés par les attentats du Bataclan. Atteint d’une balle qui a sectionné sa moelle épinière, Pierre a perdu ce soir-là l’usage de ses jambes.
Lorsque Pierre et Myriam ont voulu repartir en voyage, la principale difficulté rencontrée a été le manque d’informations sur les possibilités de destinations et d’activités qui s’offraient aux personnes à mobilité réduite. C’est pour cela qu’ils ont créé en 2018 le blog Wheeled World, dans lequel ils balisent un maximum de destinations afin que les personnes en fauteuil puissent voyager sereinement avec les informations nécessaires. En 2019, ils se lancent dans un tour du monde, et sont voyageurs à plein temps depuis. Mais au-delà des voyages, un autre objectif est apparu progressivement : “On a assez vite eu l’envie de faire du sport en pleine nature. On en faisait déjà en quelque sorte, puisqu’ accéder à la nature en fauteuil l’exige forcément, mais on a voulu développer cette idée”, explique Myriam.
Ainsi, les deux aventuriers ont contacté les organisateurs du Marathon des Sables début 2023, dans l’optique d’une potentielle participation à l’édition d’octobre de cette même année : “Sur leur site, il est écrit que la course est accessible à tous, donc on leur a demandé si elle était vraiment accessible à tous !” commente Pierre. “Ils utilisent cette formule parce qu’on peut marcher à partir de 3.5km/h et être finisher à ce rythme-là. On leur a demandé si le côté fauteuil les intéressait, et ils se sont directement chauffés ! Ils étaient vraiment partants pour voir si l’idée d’un fauteuil dans le désert pouvait fonctionner.”
Pierre et Myriam ont donc participé à l’édition 2023 du marathon et ont parcouru 55km, suppléés par Nicolas, ami de longue date de Pierre. En amont, le tracé avait été balisé et les zones où il était impossible de passer en fauteuil repérées. L’expérience s’étant révélée positive, Pierre et Myriam ont proposé aux organisateurs de la réitérer à une plus grande échelle. Ainsi, ils seront 30 sur la ligne de départ de cette édition 2024, parmi les 600 coureurs valides. Leur parcours se rapprochera au maximum du tracé initial, et ils suivront le même rythme de compétition que les autres athlètes, à savoir deux jours de course, un jour de pause, puis un dernier jour de course. Si tout se passe bien, l’objectif est de pouvoir ouvrir les inscriptions à tous en 2025.
Solutions adaptées et entraînement intensif
Les 30 coureurs handisport, dont Pierre et Myriam feront partie, comptent dix équipes de trois personnes : une en fauteuil roulant et deux valides pour tirer le fauteuil devant et le pousser derrière. Pour autant, le participant en fauteuil sera loin d’avoir un rôle de spectateur : “C’est un objectif fort de cette course, on souhaite vraiment faire en sorte que la personne assise participe à l’effort au même titre que le reste de son équipe”, souligne Myriam.
Afin de permettre aux équipes de concourir dans de bonnes conditions, Pierre et Myriam ont dû réfléchir avec les organisateurs à différents aménagements : “C’est ça qui est super intéressant, ils ont l’expertise de la course et nous celles des besoins pour le handisport. Ça permet de faire matcher deux mondes qui n’étaient pas censés se rencontrer à la base”, analyse Myriam. Au-delà de l’adaptation du tracé, les principaux ajustements concernent le bivouac : “Les tentes individuelles ne sont pas adaptées, les concurrents ont besoin de tentes dans lesquelles ils peuvent s’allonger facilement et se remettre sur leur fauteuil. Il faut aussi des sanitaires et des douches optimisés, notamment pour éviter que du sable vienne créer des frottements et générer ainsi des blessures”, explique Myriam. “Le but n’est pas de se mettre dans le mal en se confrontant à des difficultés qui sont de toute façon insurmontables, mais de vivre une aventure aussi intense que tous les autres dans la sérénité.”
Autre élément important impacté par le cadre de la course : le fauteuil. “Le sable est le pire ennemi des fauteuils roulants ! Il y a juste à se représenter quelqu’un qui pédale à vélo sur une plage, c’est un peu galère ! Il faut prévoir un équipement spécifique”, sourit Myriam. “Pour ma part, j’ai un fauteuil assez classique avec deux grosses roues à l’arrière et deux petites à l’avant”, enchaîne Pierre. “Ce modèle n’est justement pas compatible avec le désert, les petites roues avant vont constamment se bloquer dans le sable. On a la chance d’avoir la société Vipamat (fabricant de fauteuils tous terrains) qui nous accompagne et nous a fourni pour cette course un fauteuil conçu pour les marathons sur route, qui fonctionne aussi sur le sable. Il apporte notamment une bonne stabilité.” Stabilité réellement essentielle, car dans les dunes le tracé n’est pas toujours droit. Il comporte aussi de nombreux cailloux, et le fauteuil ne doit pas se retourner. “Le fauteuil est un enjeu clé sur ce type de course ! Si on ne trouve pas le bon on va être épuisés au bout de 500m, et ce ne sera même pas la peine d’essayer de continuer !”, insiste Myriam.
Afin de relever le défi physique du Marathon des Sables, disposer d’un fauteuil adapté est donc important, mais se préparer physiquement en conséquence l’est tout autant. “Comme on voyage beaucoup, on n’a pas forcément le temps de bien s’entraîner”, avoue Pierre. “Il faut faire un peu de course à pied, que ce soit en fauteuil ou sur ses deux jambes pour les coéquipiers, de manière à pouvoir entretenir les bras vu que ce sont eux qui vont travailler le plus pendant le marathon. Un renforcement musculaire est également primordial pour les épaules et pour les bras, car on fait des mouvements d’épaules et de bras très répétitifs et fréquents quand on est dans le sable. Lorsqu’on pousse le fauteuil sur une route, il se déplace seul. Dans le sable, si on s’arrête, le fauteuil s’arrête aussi. De plus, si on a la chance d’avoir en avance le fauteuil avec lequel on va courir, il ne faut bien sûr pas hésiter à prendre ses repères en avance.” Au-delà de l’entraînement physique, Pierre souligne également l’importance de l’alchimie entre les différents membres de l’équipe : “Il faut trouver une cohésion avec ses coéquipiers, car tout le monde doit réussir à travailler ensemble. L’effort doit être commun, et ne surtout pas reposer sur une seule ou deux personnes.”
Aventure, entraide et cohésion avant la compétition
Car la cohésion et la solidarité, ce sont les deux valeurs que Pierre et Myriam souhaitent voir ressortir en premier lieu, entre les dix équipes handisport bien sûr, mais également avec les participants valides : “Ce qui nous motive, ainsi que l’organisation, c’est le fait qu’on soit sur le même parcours que les valides. Si on se retrouve en difficulté sur une dune, l’idée est que les concurrents valides viennent nous aider, comme certains l’ont d’ailleurs fait l’année dernière lors de notre phase d’expérimentation. On veut créer quelque chose avec eux, même si certains sont bien sûr là en priorité pour faire un résultat. On recherche vraiment le côté cohésion, pour montrer que handis et valides peuvent être ensemble sur le même terrain et vivre les mêmes émotions”, résume Pierre. Ainsi, le résultat final sur le plan sportif importe peu : “Finir premier n’est pas un objectif”, confirme Myriam. “L’an dernier on a été hyper heureux de terminer ces 55km, et le but est de le refaire cette année. On recherche vraiment de l’aventure et un défi personnel, pas de la concurrence avec les autres. Si certains arrivent devant nous, on ne le prendra pas mal”, ajoute-t-elle en souriant.
Sur le plan sportif, les dix équipes ne partiront de toute façon pas avec les mêmes repères. Si, bien entendu, aucun participant n’a déjà pris part à un marathon dans le désert, certains d’entre eux sont tout de même plus expérimentés que d’autres : “Il y a différents profils chez les concurrents. Certains sont très baroudeurs et ont l’habitude de dormir sous tente, mais d’autres n’ont jamais tenté ce genre d’aventure, et ne savent pas trop à quoi s’attendre”, glisse Myriam.
Pour ces derniers, cette expérience est l’occasion de les motiver à réaliser leurs ambitions, en leur prouvant qu’elles peuvent être atteignables : “ Ce qu’ils auront vécu au Marathon des Sables les convaincra encore plus, si il y avait besoin de le faire, qu’ils peuvent réaliser tous leurs souhaits tant qu’ils s’organisent un peu à l’avance. Tout est une question de planification”, estime Myriam. Un message qui s’adresse également à l’ensemble des personnes en situation de handicap : “Il y a autant de handicaps que de personnes handis, qui n’ont pas les mêmes contraintes et les mêmes envies. Les personnes en fauteuil ne veulent pas toutes faire un Marathon des Sables par exemple, donc notre objectif est principalement de démontrer que si quelque chose leur tient à cœur, il y a des moyens d’y parvenir. Ce n’est pas toujours possible, il y a parfois des contraintes qui font que certaines choses ne peuvent pas se faire, mais globalement, si on trouve les bonnes personnes et qu’on arrive à mettre en place les bons moyens, les possibilités sont nombreuses.”
Pour Pierre et Myriam, l’organisation de cette course représente donc une seconde étape dans leur démarche de favoriser l’accès au sport pour les personnes en situation de handicap. De leur côté, les occasions ne manqueront pas d’en pratiquer puisqu’après le Marathon des Sables, ils seront attendus aux 20km en course à pied de Nice dès début novembre.