Une seule fédération olympique est dirigée par une femme : la Fédération française d’escrime. Loin de se considérer comme un exemple ou de vouloir porter une cause, Isabelle Lamour dresse un constat de cette situation.
À l’époque, en 2013, qu’est-ce qui vous avait convaincue de vous présenter à la présidence de la Fédération française d’escrime ?
J’étais membre du comité directeur depuis 2008 après les Jeux olympiques de Pékin. J’adhérais aux idées de Philippe Boisse qui m’a mis le pied à l’étrier. Mais, il n’a pas été élu président de la Fédération lors des élections de 2008. Après les Jeux olympiques de Londres en 2012, nous avons formé un groupe de réflexion, toujours sur la base des idées de Philippe Boisse afin de redresser une situation complexe. Puisqu’il ne voulait pas se présenter à nouveau à la tête de la fédération, il a fallu trouver quelqu’un parmi nous pour se lancer. Nous étions six personnes, nous nous sommes demandé qui était le mieux placé et mon nom a été soumis au scrutin. Ma candidature représentait cette équipe qui voulait donner une orientation différente à la fédération qui dérivait. C’était à la fois une décision personnelle et collégiale. Je n’ai pas rencontré de réticences à la Fédération puisque je suis passée avec 80 % des voix. Puis, j’ai été réélue en 2017.
Vous êtes actuellement la seule femme présidente d’une Fédération française olympique. Que ressentez-vous ?
Ça ne me fait absolument rien ! Je suis devenue la deuxième femme à diriger une fédération olympique après Jacqueline Reverdy à la Fédération française d’équitation dans les années 1990/2000. C’est vrai que le constat est un peu triste. Sur environ 35 fédérations olympiques, avec un renouvellement tous les quatre ans, seules deux femmes ont accédé à la fonction de présidente. C’est un peu dommage.
« Je ne suis pas forcément un bon exemple »
Vous imposer dans un milieu masculin n’était pas une motivation supplémentaire ?
Je me suis présentée pour diriger une fédération et non pour défendre une cause ! Je ne suis pas forcément un bon exemple, ma démarche a été différente. À l’époque, cela avait choqué, mais mon nom m’a aidée à être élue. Peut-être que je ne serais pas devenue présidente sur ma valeur intrinsèque. J’ai reçu l’aide d’un groupe d’hommes, de mon ancien mari Jean-François Lamour, dans cette démarche et dans cette accession. C’est la vérité, pourquoi le cacher ? Mais après, on m’attendait au coin du bois ; si je n’avais pas fait le boulot, ça ne se serait pas bien passé !
Que manque-t-il pour que d’autres femmes accèdent à la présidence d’une fédération olympique ?
Pour être élue, il faut être candidate et je ne sais pas s’il y a beaucoup de femmes qui le sont. Il faut oser y aller ! Moi, on m’a aidée. Je pense qu’avec le recul je n’y serais peut-être pas allée si je n’avais pas été accompagnée. C’est basique, il faut que les femmes osent s’engager, osent s’impliquer. Il ne faut pas avoir de complexes, ne pas avoir peur du regard des autres. Il faut faire tomber les barrières psychologiques. Les femmes sont capables de faire aussi bien que les hommes. Depuis que je suis présidente de la Fédération française d’escrime, j’ai le sentiment de bien m’impliquer, de m’investir.
« Je préfère la complémentarité homme/femme »
Les femmes sont-elles plus présentes dans les comités directeurs des fédérations olympiques ces dernières années ?
Les comités directeurs des fédérations vont changer avec la loi « pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes » qui prévoit une proportion minimale de 40% des sièges des instances dirigeantes pour les personnes de chaque sexe lorsque la proportion des licenciés de chacun des deux sexes est supérieure ou égale à 25%. Je ne crois pas que c’est la loi qui réglera les problèmes. À la sortie, ça sera comme en politique où c’est souvent l’homme qui sera la tête de liste. Proposer à une femme d’entrer au comité directeur ou d’être vice-présidente est une démarche très différente de celle d’être présidente.
Plusieurs associations œuvrent pour accompagner les femmes vers des postes à responsabilités dans le sport ; est-ce une solution ?
Je ne me sens pas proche de ces organisations. Je trouve que c’est bien qu’elles incitent les femmes à prendre des postes à responsabilités, qu’elles les forment et les accompagnent, mais leurs démarches ne correspondent pas forcément à ce que je suis. Je préfère la complémentarité homme/femme. Je ne pense pas qu’il faille faire des formations uniquement pour les femmes, ça voudrait dire qu’on estime à la base qu’elles sont moins compétentes et ça me pose un problème. Nous avons tous besoin de formations. Je suis favorable à la mixité. Nous n’avons pas besoin de nous opposer les uns aux autres.
« Les fédérations d’aujourd’hui ne seront pas celles de demain »
Quelle est la situation actuelle de l’escrime en France ?
Depuis 2013, les finances de la fédération ont été assainies. Le haut niveau se porte bien. Pour qu’une équipe puisse accéder aux Jeux olympiques de Tokyo en 2020, il faut qu’elle figure dans les cinq premières au classement mondial. Nous espérons qualifier nos six formations. En termes de licenciés, la Fédération a du mal à se stabiliser autour des 60 000. Lors des années post-olympiques, nous bénéficions comme les autres sports d’une visibilité qui nous fait gagner 10 à 15 % de licenciés et nous surfons sur la vague jusqu’aux prochains JO. Nous avons un plan de développement pour maintenir nos chiffres, mais il faut redoubler d’efforts. C’est un sujet qui nous préoccupe.
Allez-vous vous représenter à la présidence de la Fédération après les Jeux olympiques de Tokyo ?
J’ai déjà annoncé au comité directeur que j’allais faire une liste pour briguer un troisième mandat lors des élections en 2020, avec de l’ambition pour les JO de 2024. Préparer des Jeux olympiques en France est exceptionnel et enthousiasmant, d’autant plus que l’escrime est une discipline qui compte dans le pays avec un record de 118 médailles. Sur cette période, il faudra aussi parer aux grands bouleversements dans le sport français. Les fédérations d’aujourd’hui ne seront pas celles de demain, on ne sait pas bien ce qu’il va advenir du mouvement sportif. Il faut se préparer à une nouvelle organisation. À la fédération, nous ne sommes pas touchés par le désintérêt pour la compétition, un tiers de nos pratiquants, un chiffre assez stable, continue l’escrime sous cette forme. La Fédération est aidée par l’État dans le cadre d’une convention d’objectifs des cadres techniques, un autre sujet important pour l’avenir de la fédération.
Vous avez brigué la présidence du Comité national olympique et sportif français en 2017. Comptez-vous vous présenter aux prochaines élections ?
J’ai été élue au comité directeur du CNOSF assez facilement en 2013. En 2017, j’ai concouru pour la présidence, mais je n’ai pas été élue au conseil d’administration. Je ne me représenterai pas. C’était une expérience intéressante, mais douloureuse. C’était une décision personnelle et j’avais une bonne équipe avec beaucoup de projets. J’ai péché par naïveté et j’ai eu un sentiment de trahison. Cette élection est différente de celle pour la présidence de la fédération, on sort du cadre sportif pour entrer dans un cadre plus politique. J’ai été marquée et déçue par l’expérience, mais c’est derrière moi maintenant. Aujourd’hui, je me mobilise pour défendre nos cadres sportifs, mais j’ai pris du recul vis-à-vis du CNOSF.