Dans une interview exclusive, le ministre de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports revient sur le travail effectué pour traverser la crise sanitaire, et évoque les nouvelles annonces faites à la rentrée pour promouvoir le sport, notamment chez les jeunes.
Vous avez fait plusieurs annonces à l’occasion de la conférence de presse de rentrée. C’était important de redéfinir un cadre légal de la pratique ?
Oui, c’est extrêmement important, d’abord dans un sens positif et offensif. Par-delà l’enjeu de la lutte contre le séparatisme, nous devons illustrer le fait qu’au travers du sport, nous faisons passer les messages qui sont ceux des valeurs de la République, à savoir le respect d’autrui, l’engagement, le sens du collectif, le dépassement de soi, autant de valeurs que nous voulons transmettre aux enfants. Il y a une forme de cohérence et de convergence dans les valeurs du sport et celles de la République. Par ailleurs, comme il se trouve que les pratiques sportives ont parfois été perméables à des formes de communautarisme, nous devons y être très attentifs et lutter contre elles.
A ce propos, comment avez-vous réagi à la passe d’armes entre Noël Le Graët et le duo Evra/Vieira sur la présence de racisme dans le football ?
Il me semble qu’ils se sont réconciliés assez facilement, puisque tout le monde partage le même objectif : éviter que le racisme ne se manifeste sur le terrain et dans le stade. Par ailleurs, le sport est par définition un élément de fraternité entre les personnes mais aussi entre les peuples. Il doit également être un outil d’égalité et de liberté. Il y a donc une sorte de vertu spontanée du sport en matière de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, et il est assez paradoxal que ce soit par le sport que puissent arriver du racisme et de l’antisémitisme. Ils doivent être combattus, tout en faisant du sport le lieu d’une société plus fraternelle.
Les championnats professionnels ont repris avec succès malgré l’absence de public. Etes-vous satisfait de cette reprise ?
Evidemment, la situation est très contraignante et je pense à tous les acteurs qui doivent travailler dans ce contexte, qui ont des peurs sur leur modèle économique. Avec Roxana Maracineanu, nous sommes avec eux pour essayer de passer cette étape. Malgré les difficultés, nous voyons que les championnats ont pu commencer à s’organiser et se dérouler dans des conditions à peu près normales, si ce n’est tout ce qui concerne l’accueil du public. Malgré ces contraintes, nous avons pu au moins réussir cela. Bien sûr, la nouvelle phase qui se présente va être un nouveau défi pour le sport.
« Féminiser les instances sportives »
Le sport amateur semble beaucoup plus touché (fermeture des salles de sport, clubs qui ne peuvent pas jouer). Que faut-il faire pour que les sportifs amateurs puissent reprendre le sport dans de bonnes conditions ? Y a-t-il des raisons d’être optimiste ?
Il y a plusieurs dimensions dans votre question, mais il est vrai que nous avons soutenu les clubs, professionnels et amateurs, pour tout ce qui concerne la dimension économique pendant toute la crise. L’aide de l’état sur l’ensemble du champ « sport » est de plus de trois milliards d’euros. Des efforts considérables ont été faits pendant le confinement et le déconfinement, et encore aujourd’hui. Nous allons à présent continuer à aider les acteurs du sports, clubs, fédérations, secteur marchand, bien que le sujet ne soit pas que financier. Il s’agit de pouvoir pratiquer le sport. On sait très bien qu’en France comme ailleurs, le risque est l’effondrement de certaines structures en raison de la crise sanitaire, avec moins d’adhésions dans les clubs. C’est pourquoi nous avons organisé avec Roxana Maracineanu, la campagne « Envie de sport ! » en début d’année, et que nous avons plus que jamais encouragé l’inscription des enfants et des jeunes dans les associations sportives. Nous avons une politique volontariste d’appui aux structures, même s’il est vrai que le domaine sportif a été très fragilisé par la crise sanitaire.
En pleine période de crise sanitaire, le développement du sport féminin est-il toujours une priorité ?
Oui, c’est une grande et belle priorité, que de nombreuses fédérations suivent déjà, une sorte d’évolution naturelle et positive des choses. Cela a évidemment vocation à continuer. Sur ce point comme sur d’autres, parfois, d’un mal peut naître un bien. Les nouvelles contraintes créées par la situation actuelle ne nous distraient pas de l’objectif, mais le rendent encore plus impératif, en particulier pour l’encouragement à la féminisation du sport, notamment pour qu’il y ait une féminisation des instances sportives.
Etes-vous inquiet pour l’organisation des Jeux Olympiques de Paris 2024, chamboulée avec cette crise ?
Naturellement, nous sommes vigilants. Nous pensons d’abord à nos amis japonais et à tout ce qu’ils ont à faire pour préparer 2021. On peut raisonnablement penser que d’ici à 2024, nous aurons résolu nos différents problèmes, même si c’est une épidémie qui nous réserve toujours des surprises. Actuellement le COJO 2024 est en train de réviser le concept des JOP tout en conservant son identité, c’est une très bonne chose. Cela peut retarder certains calendriers de préparation des Jeux Olympiques, mais je pense que nous allons y arriver. Je reste confiant, parce qu’un travail très professionnel a déjà commencé à s’enclencher, avec un grand sens de l’adaptation de la part de tous les acteurs.
« Je suis très attentif aux synergies entre sport et éducation »
Quel héritage – notion souvent mise en avant – doivent laisser ces Jeux Olympiques ?
Le premier des héritages, c’est l’héritage dans les têtes. Ce que nous voulons, c’est que la France soit véritablement une nation sportive, et que les Jeux Olympiques aient marqué les esprits pour que la pratique sportive soit le fait de tous. Par exemple, concernant les personnes âgées, nous savons à quel point le fait d’avoir une activité physique quotidienne est bon pour la santé. C’est encore plus vrai pour les enfants et les adolescents, et en tant que ministre de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports, je suis très attentif aux synergies entre sport et éducation, et au fait que nous devons combattre une tendance mondiale : à partir de 10 ans, les enfants dans le monde entier ont tendance à moins lire et à moins faire d’activités physiques. Je mets les deux sujets en relation, parce que c’est en général au bénéfice des ordinateurs et des écrans, et c’est regrettable. Un esprit sain dans un corps sain, ce sont des enfants et des adolescents qui lisent plus et qui agissent plus. Nous allons beaucoup insister sur ces deux dimensions, et cela doit être un legs des Jeux que de mettre dans la vie quotidienne de nos enfants 30 minutes d’action physique quotidienne. C’est une action que nous lançons. Mais il faut aussi des pratiques sportives plus importantes, c’est ce que l’on a permis au travers du label Génération 2024, que l’on déploie dans nos écoles et établissements pour que ces derniers soient particulièrement ambitieux en matière d’offre sportive pour les élèves. Plus de 2 800 labels ont été distribués et nous continuons à progresser.
Un mois après la rentrée scolaire, quel bilan faites-vous de la réouverture des établissements scolaires en cette période de crise sanitaire ?
La France est l’un des rares pays qui a réussi à ramener la quasi-totalité de ses élèves et de ses professeurs à l’école dès le début du mois de septembre. On le doit évidemment à la mobilisation de tous, à l’existence d’un service public national de l’Education, et d’une culture de l’Education en France très forte, autant de raisons pour nous conduire à nous réjouir collectivement. De plus, un certain nombre de mesures ont été prises pour nous permettre d’en arriver là. Nous sommes en situation contrainte, le quotidien est fait de difficultés du fait de la crise sanitaire. Mais on peut néanmoins souligner que nous avons eu une rentrée scolaire qui s’est passée le plus normalement possible, avec des élèves qui vont tous les jours à l’école. Lors de cette rentrée d’ailleurs, les cours d’EPS se sont déroulés de façon adaptée, comme pour les autres matières.
L’application du projet 2S2C vous donne-t-elle satisfaction ?
C’est un projet qui était à la fois très réactif et très expérimental, puisque nous l’avons développé au mois de juin, au moment du déconfinement, pour permettre aux élèves d’avoir des activités sportives et culturelles quand ils n’étaient pas en cours, au moment où il y avait des demi-groupes. Cela a été un succès assez intéressant puisque de nombreuses communes ont joué le jeu et ont commencé à développer des activités, qui ont été très utiles pour les enfants. Nous avons ainsi signé près de 3 000 conventions avec les communes pour déployer des activités sportives, culturelles ou encore de santé et de civisme. Cela nous a permis de voir les forces et les limites d’un tel dispositif, et donc de progresser pour la suite, et notamment, de déployer, en juillet-août, les vacances apprenantes qui ont été un très grand succès, qui ont touché un million d’enfants, et qui nous permettent d’avoir un rebond des colonies de vacances, dans un sens plus qualitatif et avec un état d’esprit qui est toujours celui de l’engagement des jeunes dans leur vie. 2S2C a donc un bilan positif.
« Une très forte ambition pour le sport à l’école »
Ces projets sont donc amenés à continuer ?
Oui, nous aurons des suites de 2S2C dans notre capacité à avoir des accords avec les collectivités locales pour proposer des activités sportives et culturelles, mais aussi de santé et de civisme. Et puis nous continuerons à faire les vacances apprenantes, c’est un engagement que nous avons pris pour l’ensemble des vacances.
Concernant les jeunes, comment profiter de l’élan de Paris 2024 pour les inciter à faire plus de sport dans le cadre scolaire ?
Comme vous l’avez vu avec la conférence de presse de rentrée, nous avons lancé une politique publique très substantielle pour le développement du sport. Cela commence dès le plus jeune âge avec notre volonté commune, avec Roxana Maracineanu, de mettre fortement l’accent sur le « savoir nager », ce qu’on appelle l’aisance aquatique, dès l’école maternelle, avec une systématisation des opérations d’accoutumance à la baignade pour les petits enfants, de façon à éviter la noyade mais aussi à créer de l’égalité au travers du sport. Nous mettons aussi en valeur le « savoir rouler à vélo », beaucoup évoqué en cette rentrée, parce que le Tour de France avait lieu exceptionnellement au mois de septembre, au moment où les enfants sont à l’école. Cela nous a permis dans les villes traversées, mais pas seulement, d’avoir des opérations très importantes. Ce ne sont que deux exemples parmi de nombreux dispositifs que nous développons, comme « cours le matin – sport et EPS l’après-midi », promouvoir les 30 minutes d’activité physique par jour, ce que j’ai dit précédemment sur les 2S2C, etc. Nous avons une ambition pour le sport à l’école qui est très forte et un très grand enthousiasme pour profiter de l’organisation des Jeux Olympiques à Paris.
Où se situe la France par rapport à ses voisins européens ?
Je pense que nous sommes dans une situation intermédiaire. Certains pays européens, comme l’Allemagne, ont des traditions plus fortes que nous pour l’activité sportive des enfants, mais nous mettons des choses en œuvre pour rattraper ce retard. Dans le cadre du plan de relance, nous portons une attention à la rénovation du bâti scolaire avec un regard particulier sur les installations sportives. Ceci doit permettre d’avoir un effet levier sur les investissements des collectivités locales en la matière. Nous avons aussi tout un travail pour que les équipements sportifs puissent, dans le futur, quand ils sont raccrochés à une école, bénéficier à d’autres citoyens en dehors du temps scolaire. Ce sujet des équipements est un sujet au long cours, sur lequel nous avançons bien avec les collectivités locales. Ce sont ensuite des sujets de pratique individuelle et d’incitation au sport qui sont parfois conditionnés par la qualité de vie sur une commune, sujet sur lequel nous allons progresser.