Le 4 octobre dernier, Jessica Marcialis est entrée dans l’histoire des courses hippiques en devenant la première femme à remporter un Groupe 1 en France dans la discipline du plat. L’Italienne revient sur ce moment inoubliable.
« Je dis toujours que le cheval, c’est comme la vie, il y a des hauts des bas. » Le 4 octobre, à ParisLongchamp, Jessica Marcialis était tout en haut. La jeune trentenaire a remporté le Prix Marcel Boussac, organisé le même jour que le Prix de l’Arc de Triomphe. « C’était une journée extraordinaire, je ne pouvais pas penser réussir ça un jour », se félicite l’Italienne. Avec sa pouliche de deux ans Tiger Tanaka, Jessica Marcialis succède ainsi au palmarès de cette course à des jockeys comme Pierre-Charles Boudot (2018), Olivier Peslier (1995, 1999 et 2012) et Christophe Soumillon (2007 et 2009). Surtout, elle est devenue à cette occasion la toute première femme à s’imposer dans un Groupe 1, le plus haut niveau dans les courses de plat, en France.
Un moment pour les livres d’histoire hippique. « Depuis cette victoire, on m’a dit que c’était une première, que c’était historique. Mais je n’ai pas pensé à cela quand j’ai gagné la course », raconte la jockey italienne. Elle a simplement profité du moment avec les personnes présentes sur place, notamment Miguel Castro Megias, le propriétaire de Tiger Tanaka, et Charley Rossi, qui entraîne la pouliche de 2 ans et qui partage la vie de Jessica Marcialis. Dans un monde qui reste très masculin, ce beau succès n’a pas attisé de jalousie mal placée, au contraire. « Franchement, le jour de la course, c’était comme dans un rêve, tout s’est très bien passé. Il y a même Christophe Soumillon qui est venu me voir avant la course pour me dire de rester concentrée, et que j’aurai le meilleur résultat possible. Il m’a dit ça, j’ai gagné ensuite. Et après la course, tout le monde est venu me féliciter. »
« Ce résultat donne de la légitimité à notre travail avec Charley »
Compétitrice comblée – « pour moi, les courses, c’est comme une drogue, j’ai encore des rêves pour l’année prochaine » – Jessica Marcialis vit pleinement sa passion, mais n’en garde pas moins un sens aigu des priorités. « Chaque chose qui m’arrive est un bonus. J’étais cavalière, je peux désormais faire des courses. Mais pour moi, la priorité, c’est mon fils. Si je peux faire des compétitions et rentrer ensuite en fin de journée, c’est parfait. Je suis maman, j’ai 30 ans, Léo reste ma priorité. » Et lorsqu’on lui demande si ce succès dans le Prix Marcel Boussac va changer quelque chose pour elle dans le futur, la souriante Italienne pense surtout à son compagnon. « Dans le futur, je ne sais pas si cette victoire changera quelque chose. Peut-être que lorsque j’arrêterai ma carrière, je pourrai me dire : « J’ai réussi à faire ça. » Pour l’instant, ça change surtout le regard des gens sur le travail que l’on a fait avec Charley. Au début, les gens pouvaient se demander : « Mais qu’est-ce qu’il fait lui, avec sa femme ? » Nous avons construit de belles choses, et ce résultat donne de la légitimité à notre travail. »
Pas rancunière, Jessica Marcialis. Plus tôt dans la saison, Charley Rossi s’était en effet montré plutôt réticent à l’idée de lui confier Tiger Tanaka sur des courses aussi prestigieuses. Mais le propriétaire Miguel Castro Megias a eu le dernier mot. « Il a dit : « Si Jessica ne se sent pas de le faire, alors d’accord, on met quelqu’un d’autre, mais si elle veut participer à la course, je veux que ce soit elle ». Charley voulait que ce soit un jockey plus expérimenté, mais il n’y a pas eu de disputes du tout. Je le comprends, c’est un entraîneur, il veut que son cheval soit monté par le meilleur jockey possible. Si vous avez le choix entre des jockeys renommés et la petite Jessica, c’est compréhensible de vouloir la première solution. Je connais son travail, et je comprends tout à fait pourquoi il ne voulait pas que ce soit moi au début. » A voir la joie et l’émotion de Charley Rossi à l’arrivée du « Boussac », nul doute qu’il ne regrette pas le choix de Miguel Castro Megias.
Son travail d’entraîneur a d’ailleurs été particulièrement reconnu, et pas seulement grâce à ce succès prestigieux. En effet, à la fin du mois d’octobre, Tiger Tanaka a été nommée aux Cartier Racing Awards, des récompenses destinées aux meilleurs pur-sang anglais des courses de plat en Europe. Tiger Tanaka aura fort à faire face à Alcohol Free, Campanelle, Dandalla, Elysium, Indigo Girl, Isabella Giles, Miss Amulet, Pretty Gorgeous et Shale. « C’est mérité, se félicite Jessica Marcialis, et j’espère qu’elle va gagner, qu’ils vont voir tout ce qu’elle a montré, tout son potentiel. Avec notamment cette victoire en groupe 1. »
Famille et lasagnes
Avant de former ce duo gagnant avec Tiger Tanaka, Jessica Marcialis a baigné dans le monde du cheval depuis son plus jeune âge. « Mon père est entraîneur, quand j’étais petite, il m’amenait au centre équestre à côté de la maison. J’ai d’abord eu un petit Shetland, puis un plus grand poney, puis mon premier cheval. Ça s’est passé petit à petit. » Depuis sa Lombardie natale, la jeune femme a arpenté le monde avant de s’installer en France. « J’ai commencé à être cavalière en Italie, et j’ai remporté le titre là-bas. En 2012 et 2013, je suis venue en France et j’ai fait la Fegentri (compétition internationale pour des cavaliers et cavalières amateurs, ndlr). J’ai fini deuxième la première année, et j’ai gagné l’année suivante (championne du monde). A partir de ce moment-là, je me suis dit que je pouvais changer de licence, que je pouvais gagner ma vie en pratiquant ma passion. J’ai arrêté les études pour me concentrer sur le cheval. »
Avant une année 2020 riche en succès, le quotidien sportif de Jessica Marcialis n’a pas toujours été facile. Il y a eu des périodes délicates, lors desquelles elle a pensé arrêter. En 2016, l’Italienne passe sa licence d’entraîneur en vue d’une réorientation professionnelle, mais elle rencontre Charley Rossi, a le bonheur d’avoir un petit garçon, et monte toujours en course. « Et c’est étrange, car je suis plus en forme maintenant, après avoir eu mon fils, qu’avant. C’est un sport qui maintient vraiment en forme », s’amuse-t-elle. Dans la famille Marcialis, la jockey laisse pour l’instant de rôle d’entraîneur à son père et à son frère, Andrea, installé à Chantilly et qui est « certainement dans le Top 5 des entraîneurs en France ».
Andrea Marcialis est arrivé dans l’Oise au moment ou sa sœur, Jessica, partait et se rapprochait de son Italie natale en posant ses valises près d’Aix-en-Provence. L’occasion pour elle de voir sa famille italienne plus souvent. « Ne pas voir sa famille, c’est la chose la plus difficile, et quand on est moins bien, c’est la première chose à laquelle on pense. Nous sommes une grande famille, c’est très important pour nous. Manger les lasagnes chez ma grand-mère le dimanche, ça me manque. Heureusement, ma mère vient souvent me voir. Après le Prix Boussac, ma maman est venue me voir plusieurs jours à Marseille. On essaye de se voir régulièrement. »