Jessy Trémoulière, une vie entre prairie et ovalie

À quelques jours d’une double confrontation contre l’Angleterre, Jessy Trémoulière, arrière du XV de France féminin élue meilleure joueuse de l’année 2018, aborde cette tournée d’automne, mais également son retour à la ferme familiale.

Comment se sont passées les retrouvailles avec l’équipe de France ?
C’était bien de retrouver le XV de France avec qui je n’avais pas joué de matchs depuis mars. Nous avons été confinées et on ne savait pas quand on allait reprendre car le rugby est un sport avec des contacts, donc avec des risques. Nous avons déjà été réunies en stage, d’abord en août puis en septembre. Nous étions contentes de nous retrouver, d’être ensemble et de jouer.
 
Le XV de France féminin a été coupé en plein milieu du Tournoi des VI Nations. C’était frustrant ?
On ne peut pas dire frustrant car l’arrêt faisait partie de l’actualité. C’est vrai que nous nous étions bien entraînées et que nous avions déjà disputé trois matchs dans le tournoi (défaite face à l’Angleterre 13-19, victoires contre l’Italie 45-10 et au pays de Galles 0-50, ndlr). La veille du match contre l’Écosse, on nous a dit cinq minutes après la remise des maillots que la confrontation n’aurait pas lieu. Ça nous a mis un coup de massue parce qu’on avait envie de jouer. Nous sommes restées confiantes pour la suite du tournoi, même si on ne savait pas spécialement quand ça allait reprendre.
 
De quelle manière avez-vous géré le confinement de votre côté ?
J’ai continué la préparation physique, mais j’étais, comme tout le monde, dans l’inconnu, ne sachant pas si le championnat Élite 1 féminine et les matchs internationaux allaient reprendre en août ou en septembre. J’ai eu besoin de couper complétement pendant un mois pour me reposer mentalement. J’ai travaillé sur l’exploitation familiale, mais ce n’était pas la même chose. J’ai repris la préparation physique début juin.
 

« Être meilleures dans la gestion des fins de matchs »

Et maintenant quelle est la situation ?
Nous avons des cas de Covid à l’ASM Romagnat Rugby Féminin. Nous nous sommes entraînées, nous nous sommes arrêtées, puis nous nous sommes entraînées à nouveau. C’est plutôt agaçant alors que j’ai fait une belle préparation en juin. Mais c’est à moi de continuer à m’impliquer pour ne pas perdre la forme.
 
Le XV de France féminin va affronter deux fois l’Angleterre en test match en novembre (14 et 21 novembre). Est-ce qu’il existe la même rivalité entre les deux équipes que chez les hommes ?
Je suppose, mais je ne peux pas vraiment le dire parce que je ne suis pas au sein de l’équipe masculine. J’en entends juste vaguement parler. Les joueuses de l’équipe de France féminine vivent une rivalité avec celles de l’Angleterre parce qu’elles ont pris l’ascendant sur nous. Depuis quatre saisons, elles mènent au nombre de victoires. Lors du tournoi des 6 nations en février dernier, nous étions à deux doigts de revenir au score. On a vraiment envie d’en découdre avec elles lors de cette tournée d’automne. Ce sera l’occasion de vraiment nous tester face à des joueuses de très haut niveau. Il ne faudra pas commettre les mêmes erreurs que lors de la tournée d’automne 2019 où on avait laissé échapper la victoire à la dernière seconde à quinze contre quatorze en Angleterre. Il faut que nous soyons meilleures dans la gestion des fins de matchs.

« Si je m’arrête cinq minutes, je m’ennuie »

Cette tournée d’automne est-elle aussi un moyen de préparer la Coupe du monde 2021, du 18 septembre au 16 octobre en Nouvelle-Zélande ?
Oui, l’équipe de France a un an pour être la plus forte possible. À la Coupe du monde, il faudra battre les meilleures équipes. On peut tomber sur l’Angleterre dès les quarts ou en demi-finale. Il faudra arriver en étant les meilleures. Si notre bilan lors de la tournée est bon face à elles, ça nous évite un coup de pression. Nous avons notre calendrier de préparation jusqu’à la Coupe du monde. On va faire en sorte que tout se passe bien, faire une préparation dans de bonnes conditions et également espérer que cette Coupe du monde ait bien lieu.
 
En revanche, nous n’allez pas participer au tournoi de repêchage de l’équipe de France de rugby à 7 pour se qualifier aux Jeux Olympiques de Tokyo en 2021. Pourquoi ?
Cela fait plus d’un an que je ne joue plus avec l’équipe de France à 7 pour des raisons de fatigue et de santé. J’ai fait du rugby tous les jours pendant quatre ans et j’étais épuisée, j’avais l’esprit à moitié à la ferme familiale. J’ai donc arrêté avec la sélection à 7 et je ne le regrette pas. Ça ne sert à rien de forcer, de se dire que dans un an, à l’époque, il y avait des JO, alors que mentalement je n’y étais plus. C’est un risque de contracter une blessure. J’ai fait le choix de m’épanouir à 100% dans le rugby à XV tout en embrassant ma deuxième vie professionnelle en travaillant avec les vaches laitières de la ferme familiale, en Haute-Loire. C’est aussi le choix de l’avenir.
 
Comment faites-vous pour concilier les deux ?
J’arrive à composer au mieux. Je réussis à m’organiser pour ne pas être débordée d’un côté ou de l’autre. Mon père commence la traite des vaches tôt le matin, puis je le rejoins. Je ne peux pas en faire trop à l’exploitation parce que je suis sous contrat fédéral avec la FFR. J’ai des journées assez rythmées, si je m’arrête cinq minutes, je m’ennuie. C’est dans mon tempérament.
 
La nature était un aspect qui manquait à votre vie ?
J’ai quitté le milieu de l’agriculture pendant quatre ans, mais je me suis vite remise dans le bain. J’aime être au contact des animaux, évoluer dans la nature au quotidien. Quand je suis revenue dans la campagne, toutes ses valeurs sont ressorties. De plus, j’aime cette liberté que m’offre mon travail à la ferme familiale, je fais mon planning, je m’organise. Je n’ai pas quelqu’un derrière pour me donner des ordres, même si mon père et mon frère sont les gérants de l’exploitation. Je suis épanouie grâce à mes deux passions.
 

« Le club aide dans les démarches scolaires »

Est-ce aussi pour cette raison que vous êtes revenue à l’ASM Romagnat Rugby après deux saisons au Stade Rennais ?
Oui, c’est le club le plus proche de l’exploitation familiale qui se situe à Barlières, au sud de Clermont-Ferrand en Haute-Loire. Mon arrivée au club, avec le statut amateur, s’est faite naturellement, car j’ai déjà joué à l’ASM Romagnat entre 2010 et 2017. L’équipe fait partie des meilleures de l’élite, mais elle n’a pas encore connu de finale. On ne rivalise pas encore avec le Stade Toulousain et Montpellier RC qui prennent tous les titres.
 
Que met le club en avant pour attirer des joueuses ?
L’ASM Romagnat ne donne pas de primes de match, mais fournit un accompagnement aux filles. Le club les aide dans leurs démarches scolaires, de recherches d’emploi ou d’hébergement et fait marcher ses réseaux pour leur trouver un stage. Si la nouvelle joueuse vient de Montpellier ou d’ailleurs, elle n’est pas laissée dans l’inconnu. Le club s’arrange pour que les filles s’entraînent tous les jours, sur le terrain ou dans la salle de musculation.

Leslie Mucret
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