Le sport féminin peut-il devenir professionnel ?

Elsa Descamps of France during the Women's European Golden League match between France and Hungary on May 30, 2018 in Nancy, France. (Photo by Sebastien Bozon/Icon Sport)

En perpétuel développement, le sport féminin gagne en licenciées et en médiatisation chaque année. Mais ces progrès sont-ils suffisants pour envisager un sport féminin professionnel « autonome », libéré des sources de financements publiques ?

 
Le sport féminin est à la mode. Depuis plusieurs années, de plus en plus de femmes investissent certaines pratiques comme la marche, la randonnée, la natation, le fitness ou encore le running. La dernière étude publiée par la FDJ et dévoilée lors de la Journée internationale des droits des femmes montre ainsi que 55 % des femmes interrogées font du sport pour améliorer leur santé et leur physique. 50 % déclarent pratiquer pour s’amuser, 26 % pour partager de bons moments et 21 % pour la compétition. 21 %… seulement. Une présence minime de l’aspect compétitif et du haut niveau, que l’on retrouve dans les différents plans de féminisation lancés depuis 2013. Depuis cette date, chaque fédération sportive délégataire doit obligatoirement proposer un plan de féminisation. L’un des axes de ces plans est « la promotion et l’accroissement de la réussite des féminines dans le haut niveau ». C’est aussi l’axe le moins adopté par les fédérations sportives délégataires, loin du « développement de la pratique sportive pour le plus grand nombre, notamment en faveur des féminines ». « À ce jour, il paraît plus opportun de parler de compétitions féminines de l’élite nationale que de sport professionnel féminin », lance Marie-Françoise Potereau, présidente de Femix’Sports et vice-présidente de la Fédération Française de Cyclisme. « C’est bien la professionnalisation de l’élite nationale du sport féminin qui doit être développée pour répondre à des enjeux d’égalité, mais aussi de performances sportive et économique. »

Un manque de ressources

Si le sport féminin de haut niveau est si difficile à développer, c’est aussi parce qu’il coûte cher… et rapporte peu. « La médiatisation du sport féminin demeure faible et génère peu de ressources financières », confirme Marie-Françoise Potereau. « Ce manque de ressources est un véritable frein. À titre d’exemple, en football, 100 joueuses sur 250 joueuses de première division sont sous contrat fédéral, dont seulement 50 % à plein temps. » Les sommes d’argent brassées par le sport féminin sont bien inférieures à celles que l’on retrouve dans le sport masculin. À titre d’exemple, la dernière enquête du Centre de droit et d’économie du sport (CDES) estime que les revenus générés par les divisions féminines de basket-ball, handball et volley-ball sur la saison 2014-2015 sont de 46,5 millions d’euros. Soit quatre fois moins que ceux générés par les mêmes championnats masculins. Si bien qu’aujourd’hui ce sont avant tout les collectivités qui mettent la main à la poche. Toujours selon les chiffres de l’enquête effectuée par le CDES, les subventions constituent aujourd’hui entre 50 et 62 % des revenus des clubs féminins. Un mode de financement qui doit absolument changer si le sport féminin veut faire sa mue vers la professionnalisation.

Les subventions restent majoritaires

Mais comment ? Quelles sources de revenus possibles pour le sport féminin de haut niveau ? « Actuellement, le bât blesse partout, il y a une vraie inégalité par rapport au sport masculin avec beaucoup moins de revenus et donc beaucoup plus de difficultés pour mettre en place un sport féminin de haut niveau », analyse Julian Jappert, directeur du Think tank Sport et Citoyenneté, qui œuvre pour le développement du sport féminin. Comme partout, l’argent est ici le nerf de la guerre. « Sur le secteur économique, la marge de développement est encore très importante. Les acteurs économiques, mais aussi les sportives elles-mêmes, sont d’ailleurs désespérément à la recherche de ce nouveau modèle économique .» Un modèle qui passe forcément par le développement des affluences, et donc des recettes spectateurs. Ici aussi la progression existe, mais elle demeure à la marge. Pour attirer plus de monde, les clubs professionnels féminins ont besoin d’infrastructures de qualité, adaptées à l’accueil du public. Aujourd’hui, que ce soit en football ou dans d’autres sports collectifs, nombre de ces clubs doivent se contenter d’enceintes vétustes. Changer profondément demande un effort des collectivités… et implique donc un nouveau recours à l’argent public. Pour éviter de tourner en rond, le sport féminin doit tout simplement se tourner vers le privé. « On sent qu’on est dans un moment de changement concernant cette professionnalisation du sport féminin, notamment grâce à un changement de mentalité des acteurs économiques », constate d’ailleurs Julian Jappert. « Ces derniers sont de moins en moins frileux, même s’ils le sont encore. Ils ont surtout pris conscience que le sport féminin est un nouveau marché, et ils sont même prêts à prendre des risques économiques et financiers pour soutenir le sport féminin. Ce changement de mentalité fait partie des déclencheurs d’un début de professionnalisation. »

Canal+ engagé dans le football

Parmi ces acteurs économiques figurent les diffuseurs, protagonistes clés de la communication et de la promotion du sport féminin. À titre d’exemple, depuis le début de la saison, Canal+ propose une médiatisation accrue de la D1 de football. « La couverture télévisée de 100 % du championnat de D1 féminine est un fait inédit, et nous sommes fiers d’être à l’origine de ce mouvement capital », explique Thierry Cheleman, directeur des sports de la chaîne cryptée. « Pour les abonnés, c’est la chance d’être aux premières loges pour vivre l’émergence du football féminin, qui devient un sport majeur, avec en point de mire la Coupe du monde organisée en France en 2019. Elle sera également diffusée sur nos antennes. » Signe fort, Canal+ s’est engagé pour cinq ans auprès du football féminin. « Le football féminin a de grands jours devant lui. Le Groupe Canal+ croit en ses valeurs et en son attractivité depuis de nombreuses années. En témoigne l’exposition donnée par nos chaînes à la Ligue des Champions féminine, ou encore à l’équipe de France. ». De plus en plus de clubs vont ainsi bénéficier de revenus de la part du diffuseur, leur permettant de se développer économiquement.

Une image qui plaît aux marques

Des diffuseurs de plus en plus impliqués, mais aussi des sponsors. Là où le sport masculin est parfois touché par certaines dérives, le sport féminin conserve une image intacte qui plaît aux marques. Certaines y voient un marché porteur, d’autres l’occasion de développer un peu plus leur engagement dans une discipline. C’est notamment le cas de la FDJ. Depuis plus de vingt ans, la marque est investie dans le monde du cyclisme avec une équipe masculine. En 2006, elle a été l’une des premières à créer son équipe féminine. La FDJ est aussi un partenaire majeur de « La Course by Le Tour », course féminine se déroulant sur les Champs-Élysées lors du dernier jour du Tour de France. La marque ne s’arrête pas là : elle a lancé, en 2016, le programme FDJ « Sport Pour Elles », permettant d’agir sur le terrain pour promouvoir la pratique de toutes et de soutenir le sport de haut niveau féminin. Depuis cette année, la FDJ soutient aussi le handball et son équipe de France féminine. « Avec le programme « Hand pour Elles », coconstruit avec la FFHandball, la FDJ souhaite valoriser et encourager les clubs de handball, qui sont un maillon essentiel pour proposer de nouvelles formes de pratiques sportives qui favorisent le sport féminin », explique Amel Bouzoura, responsable du département Engagements Sport chez FDJ. Ce n’est qu’au prix d’acteurs privés aussi investis que le sport féminin pourra espérer se professionnaliser. Car, tôt ou tard, les aides publiques finiront par s’évaporer… et avec elles l’avenir du sport féminin…

Par Olivier Navarranne
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