En 2029, il sera possible d’assister au retour des Jeux asiatiques d’hiver, une compétition confidentielle, et découvrir ainsi les meilleurs athlètes du continent sur des pistes artificielles – qui n’existent pas encore – en plein désert saoudien. Une information qui a fait grand bruit, jusqu’au plus haut niveau du sport tricolore français.
« J’étais à vélo, quand un copain m’a dit : « tu as vu, les Jeux olympiques d’hiver vont être en Arabie Saoudite en 2028. » Je me suis dit qu’il y avait un petit problème de date, et que j’aurais quand même été au courant si elle avait déposé une candidature. » L’ami du biathlète Quentin Fillon Maillet s’est un peu enflammé, les Saoudiens ne recevront pas les J.O. En revanche, le pays accueillera les Jeux asiatiques d’hiver en 2029, douze ans après la dernière édition. Du ski en Arabie Saoudite ? Inutile d’aller chercher les pistes sur Google Maps, elles n’existent pas.
Le Conseil olympique d’Asie (OCA) a attribué l’organisation de ce rendez-vous à Neom, une mégalopole toujours en construction en plein désert montagneux, au nord-ouest du pays. Le prince héritier Mohammed ben Salmane a peut-être puisé son inspiration dans « L’automne à Pékin », où Boris Vian écrit que « le désert est la seule chose qui ne puisse être détruite que par construction », pour lancer ce projet colossal très décrié. Une mégalopole censée comprendre le site de Trojena, qui accueillera les différentes épreuves, et qui doit, selon les termes princiers, « redéfinir le tourisme de montagne dans le monde ».
« C’est une blague ? C’est le Gorafi qui a fait ça ? » Maurice Manificat
Il n’y aura pas de traversée du désert pour les athlètes français en 2029, puisque seuls les meilleurs athlètes asiatiques ont rendez-vous au milieu de nulle part pour ces Jeux. Mais à l’heure où les appels au boycott de la Coupe du monde de football au Qatar se multiplient, et au moment où semble naître une prise de conscience de l’urgence écologique, la décision d’installer des Jeux d’hiver en Arabie Saoudite en a surpris plus d’un. « Au début, on a cru que c’était une blague. A la commission des athlètes du CNOSF (Comité national olympique et sportif français), ils ont balancé l’information sur WhatsApp. On s’est dit : « C’est une blague, c’est le Gorafi qui a fait ça ? » Et en fait, non. On se dit qu’on ne vit pas dans le même monde, qu’on fait des efforts, mais qu’ailleurs, il y a des contradictions énormes », regrette le fondeur Maurice Manificat.
« Triste » pour Perrine Laffont et Tess Ledeux, « complètement incompréhensible » pour Julia Simon, « irréel » pour Romane Miradoli, « bizarre » pour Richard Jouve, « une décision qui manque de sens » pour Quentin Fillon Maillet… Les qualificatifs ne manquent pas dans la bouche des meilleurs athlètes français. Très sensible aux questions environnementales, Perrine Laffont, championne olympique 2018 de ski de bosses, regrette la décision du Conseil olympique d’Asie : « Je me dis que malgré tous les efforts qu’on essaye de mettre en place pour préserver l’environnement, eux vont clairement à l’encontre de cela. Si même les grosses instances ne font pas d’efforts, on ne s’en sortira jamais. Des décisions comme ça, c’est irréel. »
« Les sports d’hiver commencent à souffrir de toutes ces idioties » Julia Simon
Pour la jeune sauteuse à ski Joséphine Pagnier, « on ne peut pas faire sans la question écologique aujourd’hui », et le choix de l’Arabie Saoudite « n’est pas le bon exemple à donner pour le sport ». Un avis partagé par les biathlètes tricolores : Quentin Fillon Maillet trouve que « ça manque un peu de sens pour les disciplines d’hiver », et Julia Simon déplore une décision qui pourrait jeter le discrédit sur les sports blancs : « Cela pointe du doigt les sports d’hiver, qui commencent à souffrir de toutes ces idioties. Mais je crois que l’argent dicte tout, et quand on n’en manque pas, on fait ce qu’on veut. Aller mettre de la neige en plein désert, c’est un peu beaucoup, je n’aurais jamais pensé que quelqu’un aurait eu l’idée de faire ça. »
Tous les athlètes pensent avant tout à leurs montagnes, leur terrain de jeu. « La montagne est précieuse, insiste Tess Ledeux. Voir qu’il y a des mentalités qui n’évoluent pas du tout, c’est difficile, parce qu’on essaye tous de prendre notre part de responsabilité pour la préserver. Voir qu’au-dessus ça ne suit pas, c’est juste triste. C’est déroutant, ça me met en colère, et je crois qu’on pense tous la même chose. »
« Ecologie et sport de haut niveau, c’est assez contradictoire » Tess Ledeux
La vice-championne olympique de Big Air à Pékin explique parfaitement que les sportifs doivent jongler intellectuellement entre leurs convictions et leurs obligations dues à leur statut de sportif de haut niveau. « C’est difficile de faire du sport à haut niveau, car c’est assez contradictoire. Nous sommes tous sensibilisés au respect de l’environnement, mais on doit voyager, faire le tour du monde, prendre des avions. On vit de notre passion, c’est le sport qui nous fait vivre. C’est difficile, en tant que sportif de haut niveau, de trouver sa place là-dedans, de trouver un équilibre. J’essaye de me déculpabiliser par rapport à ça, en me disant que faire du sport, ce n’est pas un crime. »
Ce tiraillement constant entre convictions personnelles et obligations professionnelles incite la snowboardeuse Julia Pereira de Sousa Mabileau à refuser de s’ériger en donneuse de leçons et à « ne pas pouvoir (se) considérer comme écolo, même en faisant des efforts, comme tout le monde ». Si elle « ne cautionne pas » le choix de l’Arabie Saoudite, elle avoue avec honnêteté qu’elle n’est pas « la plus grande écolo de la planète, surtout en faisant du sport de haut niveau, en prenant l’avion pour aller sur des compétitions ».
La biathlète Anaïs Chevalier-Bouchet suit la trace de sa compatriote : « Je ne me sens pas légitime de parler d’écologie parce que je fais un sport qui pollue. Je tire des plombs, je skie sur la neige artificielle, je prends l’avion. J’essaye de faire le maximum au quotidien, de prendre beaucoup le vélo, notamment pour amener ma fille à l’école, d’acheter local, mais je prends aussi ma voiture pour aller à l’entraînement. Je ne suis pas irréprochable, loin de là. »
« J’ai encore espoir qu’on se dirige vers un sport plus vert, plus durable » Chloé Trespeuch
Cette dichotomie, Chloé Trespeuch n’en a que faire. La snowboardeuse, qui a créé ecoglobe.fr, une association pour la préservation de l’environnement, essaye d’agir à son échelle « en faisant de la sensibilisation dans les écoles, et en organisant des événements sur ce thème ». « Je suis hyper sensible à ce sujet, détaille la snowboardeuse. Je suis loin d’être parfaite, mais j’ai vraiment la volonté que ces sujets soient portés par tout le monde, et pas que par celui qui est parfait, sinon personne n’en parle. Ce sont des sujets très complexes. » Etudiante à Sciences Po Paris, où elle souhaite intégrer un Master Environnement, la vice-championne olympique de snowboardcross à Pékin a eu du mal à digérer l’information saoudienne : « Cela me paraît tellement gros que je me dis qu’il va y avoir des leviers pour que ça n’existe pas, que la FIS [Fédération internationale de ski] peut ne pas homologuer les pistes par exemple. J’ai encore espoir que ça n’arrive pas et qu’on se dirige tous vers un sport plus vert, plus durable. On doit tous progresser, et le sport doit montrer l’exemple grâce à sa médiatisation. »
Tous les sportifs n’ont pas l’engagement de Chloé Trespeuch, qui fera de la préservation de l’environnement « le combat d’une vie », mais tous prennent grand soin de la montagne et font des efforts au quotidien. « Si on peut faire toutes les petites actions du quotidien, il ne faut pas hésiter. J’y suis très sensible, j’ai un rapport avec la nature qui est très fort », raconte Joséphine Pagnier, qui fait partie du Team Greenweez, marque leader du bio en ligne. « Prendre la voiture le moins possible » pour Julia Simon et Maurice Manificat, « faire le tri, prendre soin de la montagne en ne jetant jamais rien » pour Julia Pereira de Sousa Mabileau… Tous ont pris de bonnes habitudes pour œuvrer à leur échelle au respect de la planète.
« J’ai très peur pour l’avenir de notre sport » Julia Pereira de Sousa Mabileau
« Je fais très attention quand je suis en montagne, car j’ai très peur pour l’avenir de notre sport, je me fais beaucoup de souci, et je me dis que si tout le monde fait un effort, on va peut-être réussir à s’en sortir », ajoute la snowboardeuse. Le « bosseur » Benjamin Cavet, quatrième aux Jeux olympiques de Pékin, explique que l’équipe de France de ski de bosses a changé ses habitudes et adapté son calendrier : « Dans notre fonctionnement, on s’adapte. On avait l’habitude de faire des compétitions jusqu’au mois de mars et d’être en vacances ensuite, alors qu’il y a encore de la neige chez nous. Maintenant, en avril-mai, on va continuer à s’entraîner et on prendra nos vacances en juillet-août, quand il n’y aura plus de neige. »
Les athlètes s’engagent et s’adaptent, la Fédération internationale de ski aussi. Comme l’a expliqué Michel Vion, secrétaire général de l’instance après avoir été président de la Fédération française de ski, la FIS « n’était au courant de rien [concernant l’organisation des Jeux asiatiques 2029 en Arabie Saoudite]. Mais la confédération asiatique n’a, de toute façon, pas de compte à rendre à la FIS. » La garante du bon déroulement des calendriers de compétitions essaye, de son côté, de limiter les allers-retours contraignants pour les sportifs et nuisibles pour l’environnement.
« La FIS n’était au courant de rien » Michel Vion
Un effort salué par les sportifs tricolores. « C’est assez bien fait, parce qu’on a un circuit européen et un circuit américain. C’est regroupé, donc on ne fait pas des allers-retours tout l’hiver entre les deux continents », se satisfait Tess Ledeux. « Ce qui est bien dans notre calendrier de Coupe du monde, c’est qu’on a des sites qui accueillent plusieurs épreuves. On les rentabilise, on s’en sert. Et je pense qu’il faudrait trouver un fonctionnement semblable pour les Jeux olympiques », ajoute Benjamin Cavet.
Si les sportifs n’ont pas de pouvoir de décision pour l’organisation des compétitions et peuvent parfois avoir l’impression de prêcher dans le désert, tout n’est donc pas perdu. En plus de leurs gestes quotidiens pour œuvrer en faveur du respect de l’environnement, ils voient que cela bouge aussi chez les instances gouvernantes de ski.
Concernant les Jeux asiatiques 2029 en Arabie Saoudite, la décision a au moins fait un heureux, le skieur Fayik Adbi. « Je n’aurais jamais imaginé pouvoir skier (un jour) dans mon pays », s’est félicité le seul représentant de l’Arabie Saoudite aux derniers Jeux olympiques de Pékin, habitué des pistes libanaises pour s’entraîner. Il avait pris la 44e et antépénultième place du slalom géant, à plus de 37 secondes du vainqueur, le Suisse Marco Odermatt.
« Je rêve d’aller dans le désert, mais pas pour skier ! » Romane Miradoli
« On m’a dit qu’il n’y avait eu que deux accréditations pour l’Arabie Saoudite pour les Jeux de Pékin, et ils se proposent pour organiser les Jeux asiatiques d’hiver. Cela manque de sens, on ne peut pas tout acheter dans la vie », regrette le quintuple médaillé olympique de Pékin, Quentin Fillon Maillet. Les athlètes tricolores défendront toujours les lieux de pratique naturels, à l’image de Maurice Manificat, pas loin de se mettre à chanter « que la montagne est belle », comme Jean Ferrat.
« On essaye de montrer que la neige, ce n’est pas mort. On habite dans des régions de montagne, d’altitude, où le réchauffement se fait sentir, bien sûr, mais où il y a toujours de la neige qui tombe. On pratique un sport où moi ce que j’aime, c’est la pleine nature. Quasiment tous les endroits où l’on va, c’est de la neige naturelle dans des endroits froids. La neige, c’est magique ! Ça apporte quelque chose que même la mer n’apporte pas », explique le plus grand palmarès du ski de fond français. S’imaginer skier en plein désert ne réjouit aucun des athlètes tricolores. « Moi, je rêve d’aller dans le désert, mais surtout pas pour skier », conclut la skieuse Romane Miradoli, qui a remporté sa première victoire en Coupe du monde l’hiver dernier. A chaque habitat naturel ses activités.