A 24 ans, formé au club, le talonneur catalan de l’USAP multiplie les piges au sein d’une troisième ligne qui profite de son immense activité dans les rucks comme de son goût immodéré pour le combat.
Il a le sang aux reflets d’or, les pieds solidement arrimés à cette terre du Roussillon, et ce sentiment d’appartenance que le peuple d’ici érige en valeur cardinale. Lucas Velarte est né à Perpignan. Comme Bernard Goutta, Nicolas Mas, Didier Plana ou David Marty. Il est né à l’USAP, où son papa, Gaby, siège au Conseil d’Administration. Il avait à peine quatre ans lorsqu’il a chaussé ses premiers crampons moulés, l’année de la finale de Lansdowne-Road face au Stade Toulousain. Il a grandi entre les terrains de la Plaine des Jeux, sur la route de la Poudrière, et la Mecque d’Aimé-Giral, enivré par cette tramontane qui balaie inlassablement les stades alentour, à Céret, Port-Vendres, Saint-Laurent-de-la-Salanque ou Torreilles. « Je suis fier de porter ces couleurs, sourit-il, fier d’avoir pu grandir sur cette terre. J’aime les gens d’ici, c’est un sentiment difficile à définir, mais il est tellement fort. Quand je porte ce maillot, je me sens bien, comme une espèce de plénitude, et je crois qu’il me donne un supplément d’âme, un surplus d’envie. »
Lucas Velarte a 24 ans aujourd’hui et déjà une soixantaine de matches avec les pros. Il se souvient de chaque instant vécu dans cette famille, cette minute à Rouen, en 2019, la première titularisation à Carcassonne, le premier essai à Biarritz, les débuts en Top 14, à Brive, en 2021. Il se souvient aussi de cet échange avec « Zaza » Marty, quelques heures avant d’appareiller pour La Rochelle en septembre dernier. Opéré d’un ménisque le Printemps d’avant, il s’apprêtait à démarrer enfin la saison, impatient forcément. « Peut-être qu’on te fera jouer en troisième ligne », lui glissa l’entraîneur principal.
Didier Sanchez : « C’est un joueur d’une immense qualité »
L’USAP était en effet contrainte de bricoler, orpheline de Matthieu Ugena, Joaquin Oviedo, Kélian Galletier ou Genesis Mamea Lemalu. L’habituel talonneur démarra donc à Marcel-Deflandre avec le n°8 sur le dos, face à un certain Grégory Alldritt. Il n’avait jamais joué à ce poste. Jamais déserté la cage. Ou alors quand il n’était qu’un minot. Il se montra conquérant. Pénible. Par instants irrésistible. « Quiconque arrête d’apprendre, a dit Henry Ford, devient vite vieux. » Lui est éhontément jeune.
Didier Sanchez, l’ancien talonneur ariégeois de la JO Prades, l’a couvé des heures et assure que cette reconversion coule de source. « Il est hautement capable d’évoluer à ce poste, assure-t-il, d’abord parce que c’est un joueur d’une immense qualité et qu’il a une capacité de travail au dessus de tout soupçon. Je me souviens d’une séance avec Clément Maynadier, Jefferson Poirot, Thierry Paiva et lui. Il était blanc à mourir. Mais il ne disait rien et continuait de travailler. »
Ils ne sont pas tellement nombreux à avoir glissé de la première à la troisième ligne. Michel Yachvili, acteur du Grand Chelem 1968, est bien sûr devenu un flanker séduisant après avoir étrenné ses galons bleus au talonnage. Fraîchement débarqué chez le Champion de France montpelliérain, l’Anglais Curtis Langdon a parfois joué en 7 avec Sale. Comme Jérémie Maurouard dans l’équipe de Philippe Saint-André ou Peato Mauvaka dans celle d’Ugo Mola. Juste pour dépanner. Rendre service. Le temps d’un match ou d’une courte période. L’inverse, par contre, est plus courant. Yannick Bru. William Servat. Guilhem Guirado. Julien Marchand. Peniami Narisia. La liste est longue et éclaire sans doute la trajectoire de ces joueurs immenses.
Didier Sanchez : « Il est rude à la tâche, d’une vaillance extrême »
Comme tous ces « quatrièmes troisième-lignes », Lucas Velarte (1,85 m) est d’abord un combattant formidable, un plaqueur invétéré, un gratteur indécrottable. Défendre sa ligne est comme une raison de vivre, même s’il sait maintenant se rendre disponible en attaque. Son plaquage à l’épaule à Paris lui a valu un carton rouge, mais ne l’a pas empêché de revenir avec cette même hargne face à Castres puis Toulon, deux succès précieux dans la course au maintien. Titulaire en n°8 face à Castres ou encore à Bayonne, il a aussi glissé à l’aile contre Toulon et à Paris. « D’autres avant lui ont connu cette même trajectoire, indique Didier Sanchez. La limite, parfois, c’est le gabarit, encore que Michael Hooper mesure 1,20 m mais s’affiche comme l’un des meilleurs du monde à ce poste. Lucas s’est empli parce qu’au départ, il était un petit peu sec. Il est rude à la tâche, d’une vaillance extrême. Il se donne à 1000%. Il est surtout intelligent. Et respectueux. Je l’ai parfois poussé dans ses retranchements. D’autres que lui m’auraient mis deux tartes. Il est au contraire reconnaissant alors que j’en connais certains qui perdent facilement la mémoire. »
Pas lui. Il sait d’où il vient. Où il veut aller. « Il deviendra un grand talonneur international, prophétise Didier Sanchez. J’ai toujours cru en lui et je me suis rarement trompé. C’est un meneur, pas un suiveur, un gars qui ne recule jamais, d’une disponibilité incroyable et qui distille très bien le ballon. C’est pour ça qu’il peut aussi faire carrière en troisième ligne. »
Un gars qui aime sa vie, entouré des siens, guidé par des repères familiers. Son début de saison à l’USAP, sa polyvalence, sa capacité de rebond ne laissent personne indifférent. Il a ainsi été retenu avec les Barbarians pour jouer contre les Fidji le 19 novembre au stade Pierre-Mauroy de Lille. Et il sera évidemment l’un des atouts de Patrick Arlettaz et David Marty dans cette course effrénée pour exister. « C’est une jolie période, concède-t-il. Parfois un peu étrange lorsque tu démarres une semaine de travail sans forcément savoir où tu vas jouer le week-end. Mais tant que je suis sur le terrain, que je peux aider mes coéquipiers, faire plaisir au peuple catalan, ça me va… »
Fan de Richie McCaw
L’adaptation est-elle compliquée ? « Il y a beaucoup de similitudes, répond-il, mais il faut plus courir, intervenir plus vite et ce poste demande un temps d’adaptation. D’un autre côté, la conquête réclame une énergie dont je peux disposer en troisième ligne pour toutes ces tâches que j’affectionne, les plaquages, les rucks… »
La palette d’un certain Richie McCaw, trois fois sacré meilleur joueur du monde, son idole, son modèle. Velarte partage avec le All-Black ce goût « de coller au ballon », toujours à la limite de la règle. Un poison pour l’adversaire, un bonheur pour les coéquipiers. « Si tu avais une seconde de retard dans le déblayage, rigole l’ancien deuxième Ligne Lionel Nallet, McCaw avait déjà les mains sur le ballon. »
C’est pareil avec le Perpignanais. Il suffit de l’écouter raconter les contours du rôle pour comprendre le type de joueur qu’il est aujourd’hui : « J’aime batailler dans les rucks, ralentir les ballons, gratter. C’est mon ADN. Gratter, c’est devenu un vrai geste technique dans le rugby moderne. Il faut avoir le bon timing, être bien sur ses appuis, bas, lutter pour ne pas se faire enlever. C’est une zone dans laquelle je me sens à l’aise, j’essaie d’y arriver le premier, de mesurer les forces en présence, d’intervenir dans le bon tempo… »
Avec le n°2 sur le dos. Ou le n°8. Peu importe finalement. Même s’il sait très bien que le très haut niveau nécessitera sans doute un choix forcément cruel. « Peut-être que je devrais me spécialiser, dit-il, mais franchement, ce n’est pas le moment de se poser la question. Pour être tout à fait sincère, je n’ai pas envie de savoir. Talonneur comme troisième ligne centre sont deux postes de la colonne vertébrale d’une équipe et lorsque l’on te fait confiance à l’un des deux, ça signifie quelque chose. Passer de l’un à l’autre m’aide même, sans doute, à être un meilleur joueur de rugby. »
Un joueur qui vit sa meilleure vie, on l’a bien compris. Un joueur qui est engagé à l’USAP jusqu’en 2025. Un joueur de la famille. Un peu talonneur. Un peu troisième ligne. Profondément Catalan.
Par Philippe Pailhories