Phénomène de précocité auréolée de deux titres européens (2018 et 2019) Mathilde Gros est un talent indéniable de la piste française. Rentrée bredouille des JO de Tokyo, elle est bien décidée à prendre sa revanche à Paris.
Cette histoire, tout le monde commence à la connaître. Et pourtant elle n’en reste pas moins extraordinaire, magique. Un moment anodin, qui a bouleversé la carrière et la vie entière de Mathilde Gros. En 2014, Mathilde est pensionnaire du Pôle France d’Aix-de-Provence et se rêve en basketteuse : « j’adorais ça. C’était mon sport et je voulais devenir professionnelle. Et puis, tout a changé… » Pour s’amuser, la future double championne d’Europe de cyclisme piste essaye un vélo d’intérieur. Un entraîneur de la fédération française de BMX qui passait par là voit les relevés du compteur et n’en croit pas ses yeux. Les chiffres sont comparables à ceux de cyclistes pros ! « Ils m’ont dit que les données étaient impressionnantes, à tel point qu’ils ont pensé que la machine était cassée ! » raconte la Provençale. « En plus, je ne faisais jamais de vélo à ce moment-là, mais alors pas du tout.» Les entraîneurs du cyclisme français ne peuvent pas laisser passer ça et l’invitent à l’INSEP. Après de nouveaux tests, Mathilde arrête le basket et commence à s’entraîner sur la piste. Sept ans plus tard, l’ancienne adepte de la balle orange collectionne huit titres de championne de France Elite, est double championne d’Europe, médaillée d’argent au Mondiaux et revient tout d’une participation aux Jeux Olympiques. Le tout à seulement 22 ans.
Des débuts tonitruants
Dès ses débuts, la jeune pistarde impressionne. Surclassée en juniors alors qu’elle est encore cadette, elle remporte à Hyères un premier titre national, sur le 500 mètres. Dès ses 17 ans, en 2016, elle court avec les seniors. Et fait bien plus que participer, puisqu’elle devient double championne de France sur le 500 mètres et le keirin. Arrivée « de nulle part », Mathilde n’a pas peur de se faire sa place « C’est vrai que ça faisait bizarre à beaucoup de mes adversaires qui me voyaient débarquer. Mais je ne me laissais pas démonter. » La Provençale est déterminée à réussir dans ce sport qu’elle aime de plus en plus. Parce que les résultats sont là, mais surtout pour les sensations de la piste : « l’adrénaline que ça procure, je deviens accro ! » rigole la championne. « Que ça soit la course, la vitesse, la forme incurvée du vélodrome… Sur la piste, tout peut se jouer en un souffle. C’est ça qui est si terrible quand on perd, mais aussi qui rend ça tellement excitant quand on arrive à bondir sur ce tout petit moment qui fait tout basculer ». Rayonnante sur la scène nationale, elle ajoute à sa collection une flopée de titres nationaux jeunes et Elite avant de s’attaquer à l’international, avec le même succès. En 2017, alors qu’elle est âgée de 18 ans à peine, elle décroche une médaille d’argent aux championnats d’Europe de Berlin derrière son modèle, l’icône Kristina Vogel. Un moment gravé dans sa mémoire : « C’est un souvenir incroyable. A partir de là, j’ai aussi senti que les regards avaient changé sur moi. On ne me voyait plus comme la petite jeune qui se défend, mais comme une véritable adversaire. J’étais surveillée, cataloguée, analysée…On m’étudiait pour chercher mes failles, pour trouver comment me bloquer. »
« Sans ma tournée au Japon, je n’aurais pas été championne d’Europe, c’est certain »
Fin 2017, coup d’arrêt pour la pistarde. Après une lourde chute sur une manche de Coupe du Monde et une blessure à l’épaule, Mathilde revient à la compétition doucement. Après des Mondiaux 2018 modestes à Apeldoorn (Pays-Bas), elle part au Japon pour la tournée internationale du keirin. Un séjour aux allures de voyage initiatique, à manger piste matin, midi et soir. « C’était génial. Ça a complètement changé ma vision de la course, sur la tactique, comment frotter… Tout ça en plus sur la piste olympique sur laquelle on allait rouler pour les Jeux de Tokyo. Ça m’a tellement apporté, même personnellement et mentalement. Partir à l’étranger toute seule en totale autonomie, ça m’a fait beaucoup de bien. » Dès son retour, la Française est revenue à son meilleur niveau. Championne d’Europe du keirin en 2018, elle remporte à nouveau ce titre en 2019. « Sans ma tournée au Japon je n’aurais pas gagné ces titres, c’est certain. » affirme même la Française. Après ces titres, les saisons suivantes sont moins remplies de succès, en plus d’être perturbées par la situation covid. En parallèle, l’adversité monte encore d’un cran. A l’approche des Jeux, l’élite mondiale se bat pour la qualification olympique, chaque point grappillé vaut très cher. « L’intensité est clairement montée d’un niveau en 2019-2020. Quand je suis arrivé, juste après les Jeux de 2016, beaucoup des meilleures filles n’étaient pas là, ou encore en reprise. Ça m’a servi à ce moment c’est vrai, autant que l’approche des Jeux m’a desservie. » avoue la cycliste. Au niveau national en revanche, Mathilde Gros continue de dominer. A ses quatre titres consécutifs en keirin viennent s’ajouter trois autres supplémentaires sur 500m et trois en vitesse.
« Je m’étais mis la barre trop haute aux Jeux »
Aux JO de Tokyo cet été, Mathilde arrive le statut de médaillable. Les médias et les observateurs voient en elle une véritable chance de podium olympique, et elle aussi. Revenue bredouille, elle passe tout proche à chaque fois, cruellement. En keirin, la Française termine cinquième de son quart de finale alors que les quatre premières places étaient qualificatives. En vitesse, la sociétaire de l’US Créteil est éliminée en repêchage pour un tout petit millième de seconde. Un scénario cruel, des résultats pas à la hauteur de ces attentes. A chaud, elle parle d’une « claque ». Avec le recul, son regard sur ces Jeux a changé : « C’était le moment le plus douloureux de ma carrière, il y avait beaucoup de déception. Maintenant j’arrive à en parler plus sereinement, j’ai digéré. A vrai dire, je m’étais mis la barre trop haute. Il y avait beaucoup de pression, et inconsciemment ça joue. C’était très frustrant, mais d’un autre côté je peux voir que je ne suis pas loin du meilleur niveau mondial. Je peux prendre la mesure de ce qu’il me manque, et j’ai vraiment à cœur de rectifier le tir à Paris en 2024. » En attendant la grande échéance, Mathilde mesure le chemin parcouru. « Quand ça va moins bien dans ma carrière, je repense à comment je suis venu à la piste, à cette histoire incroyable. Je me dis que j’ai déjà eu ce coup de chance extraordinaire, cette bonne étoile qui m’a orienté vers ma voie et m’a permis de vivre toutes ces choses exceptionnelles. Et je suis sûre que ce n’est que le début ».