Des JO de Tokyo à ceux de Paris, les deux champions olympiques, Matthieu Androdias et Hugo Boucheron, deux de couple poids lourds en aviron, se préparent à conquérir l’or malgré un chemin tortueux.
Médaille d’or on ne peut pas mieux faire, y a-t-il eu des étapes après les JO de Tokyo, comme prendre le temps de savourer la médaille, la digérer et ce moment où on se dit qu’on repart pour une olympiade, et on remet les compteurs à zéro. Ça a prit un peu de temps à maturer ?
Hugo Boucheron : Je dirais, jusqu’à aujourd’hui (rires).
Matthieu Androdias : C’est vrai je n’allais pas dire autant mais tu as raison. En fait, souvent on nous demande « Mais il s’est passé quoi après Tokyo ? Pourquoi aussi les mauvais résultats etc… ? »
Réaliser un rêve change tout. Du jour au lendemain, on se retrouve chez soi sauf qu’on a coché la case et là, il n’y a plus rien ! C’est le grand vide, ce sont les grandes questions, les nuits blanches complètement assommantes, parce qu’une question en chasse une autre. C’est de plus en plus vertigineux, en tout cas c’est comme ça que je l’ai vécu. Ce sont des questions qui dépassent complètement le sport. Des trucs auxquels on ne se prépare pas et en même temps, on ne vas pas se préparer à une éventuelle victoire. Ça n’a pas de sens. Donc en fait, on se retrouve comme ça chez soi. J’allais dire mal accompagné mais en fait on est très bien accompagné, on a nos familles mais ce sont parfois les gens les plus impuissants. Parce qu’ils voient ce qui se passe, ils ne peuvent pas nous aider ils ne peuvent pas nous atteindre. Ce n’est pas très gai ce que je raconte. Mais c’est ce qui s’est passé. Comme ça nous anime depuis qu’on est gosse, tout ce qu’on a construit depuis des années, il y a peut-être quinze ans de vie qui ne servent plus à rien qui n’a plus de fonctions.
On se dit bon c’est fini, finalement la mission est accomplie. C’est super, l’histoire est belle, ou alors on se dit j’ai plus à donner. Mais en fait, je ne repars pas de zéro mais je construis un projet qui n’a rien à voir. Et donc tout de suite on a compris que Paris n’était pas la continuité de Tokyo. Il fallait reconstruire un truc avec des nouvelles envies, des nouveaux moteurs, des nouvelles personnalités. Parce que nous aussi, nous trois on a bougé, le coach compris. Tout le monde subi un changement très profond à l’intérieur. Après, on se retrouve avec les mêmes personnes qui ne sont plus les mêmes. On se dit, j’ai quand même envie de revivre ça avec vous, ok comment on fait ? et donc là on se reconstruit. C’est pas du tout l’image que j’avais du haut niveau en disant « un jour je vais atteindre le top niveau peut-être. Et à partir de là, je vais bouffer des médailles et je vais faire fructifier tout ce que je me suis embêté à construire. » Ça s’est pas du tout passé comme ça. J’ai pris un énorme mur dans la tronche et ensuite je suis reparti à l’attaque. Et aujourd’hui encore on cherche toujours à renforcer, à communiquer beaucoup pour construire jusqu’aux derniers instants. Et peut-être que ça ne marchera pas, mais ça on le sait c’est le sport.
« J’ai envie d’y retourner, parce que je suis un peu timbré »
Vous nous dites que la première fois vous prenez un mur mais vous y retournez malgré tout. Qu’est ce qui va se passer après, si vous l’avez mal vécu il y a 3 ans ?
M.A: Moi c’était vraiment un rêve. C’est un truc qui ne s’explique pas. Je ne pourrais pas vous dire pourquoi j’ai fait ça. C’était ma mission. J’ai été hyper égoïste pendant des années et tous ceux qui sont encore là autour de moi me sont très chers. Il n’y avait pas de question à se poser je n’étais pas en train de tergiverser ou de philosopher sur le pourquoi du comment de ce que ça m’apporte ? Il fallait que ça ait lieu. On s’est entraîné de plus en plus dur jusqu’à ce que ça arrive. Et c’est arrivé au bout de 10 ans. On a eu beaucoup plus de roustes que de médailles. Aujourd’hui je le fais plus pour la mission personnelle. Je le fais parce que j’ai eu un petit garçon de 2 ans. Je le fais parce qu’il y a des gens que j’ai perdus et avec qui je n’ai pas passé le temps que j’aurais aimé passer parce que j’étais dans ma mission. Après on touche à d’autres trucs qui font vibrer aussi d’une autre façon. Et quand on met tout ça bout à bout, on a de nouveau envie de se battre. Donc peut-être que je prendrai un mur, mais ce n’est pas grave parce que ce qu’on a vécu dans ces moments-là, ça justifie tout.
H.B : J’ai essayé de me refocaliser sur toutes les bonnes choses que ça pouvait m’apporter, tous les bons moments et avec qui ces moments-là je les passais. Je me suis rendu compte que je passais énormément de temps de qualité avec les gens qui m’entouraient dans ce projet et ceux qui me soutenaient aussi. C’est surtout ça qui m’a fait revenir. Et puis finalement, je suis un éternel insatisfait ! J’ai envie d’y retourner parce que je suis un peu timbré ! De plus j’ai ce<e opportunité de le faire donc allons-y.
« Je n’ai aucun intérêt à nourrir mon prédateur »
Vous avez pu échanger tous les deux sur vos passages de « dépression » et vos petits moments de creux ?
M.A : Oui, et là-dessus on est allé vraiment très loin, à savoir qu’on est suivi tous les deux par des coachs mentales. Elles ont senti un moment donné avant Tokyo, que ça serait trop juste. C’est à dire que tout ce qu’on met en place sur le plan technique, physique et physiologique, ça devenait complètement obsessionnel. Passer des heures en vidéo, sur les chiffres, sur les datas etc. Elles avaient l’intuition qu’il fallait du lien, être une équipe. Parce que le sport c’est un système d’égo. Il a fallu sécuriser, mettre des règles en place pour se dévoiler tel qu’on est réellement et pas juste montrer que : Je suis fort, je ne doute pas, j’ai 0 émotion et que je vais t’écraser ! Ce qu’on n’a pas dit c’est que pendant 6 mois de l’année on est concurrents, donc il y a un chemin de sélection individuel. Il y a une époque au début de notre association, ça prenait le pas sur la performance collective. Où mon but en l’occurrence c’était d’être le meilleur. Et du jour au lendemain je devais être bon dans un bateau avec Hugo. Ça ne matchait pas ! Parce que pendant 6 mois de l’année j’ai aucun intérêt à donner des choses à Hugo qui lui permettent d’être meilleur. Je n’ai aucun intérêt à nourrir mon prédateur !
Donc on s’est dit okay, c’est quoi le vrai objectif ? C’est de savoir qui sera devant l’autre au championnat de France ? Ou d’aller chercher des médailles ensemble ? Ça a pris des années. En fait, qu’on ne cesse d’évoluer individuellement mais que la performance collective ne suit pas. Elle ne suit pas la même courbe, que la courbe individuelle. Donc on a construit une vraie relation. Là, il faut entrer dans les sujets, où il faut montrer sa vulnérabilité, ses peurs, ses trucs pas reluisants dont on n’est pas spécialement fier et qu’on cache bien soigneusement à tout le monde.
Quand tu as livré un truc comme ça à quelqu’un d’autre, il y a un avant et un après ! Après, notre performance est meilleure. Elles avaient senti ça, elles ont bien fait de nous y emmener. Donc oui à un moment donné on a parlé de ces épisodes-là, du vrai sens que Tokyo avait eu pour nous. Et ce que ça avait réellement validé en nous. C’est pour ça que derrière c’est le gouffre. Il y avait une partie de moi qui était en paix par rapport à quelque chose. Donc on n’a plus faim !
Par rapport à il y a trois ans, on est cinquante jours avant les JO, comment vous sentez vous, êtes-vous sur les mêmes standards ?
M.A : On avait pris une rouste. On avait moins pris en termes de seconde, d’écart. Mais pareil. On n’avait pas existé. Donc on a toutes les raisons de se dire que « ce n’est pas normal, ils ne sont pas sur leur rail, il faut mettre quelqu’un d’autre ou que sais-je ? » La panique ! Et en fait, on a reçu beaucoup de messages de confiance. C’est le boulot du staff, tout est calibré pour le jour J. C’est-à-dire s’il faut prendre vingt-cinq défaites avant, moi je m’en fiche un peu, car je sais ce que je vise.
« La mission était assez claire pour tout le monde »
Hugo, vous avez décroché le quota olympique avec Valentin, un autre rameur. Mais pour les JO de Paris vous serez aux côtés de Matthieu, comment se passe ce genre de changement et comment vous le vivez ?
H.B : On a eu beaucoup de chance parce que Valentin c’est une guimauve. Quand je dis « guimauve » c’est un mec super. Humainement je n’en connais pas beaucoup des comme lui. En plus de cela, techniquement, il est facilement malléable et hyper à l’écoute. Une humilité limite un peu trop excessive. C’est ce qui a permis que ça colle assez rapidement parce qu’on était vraiment dans le jus. Un mois et demi avant la qualif, c’est un peu un coup de pot dans le malheur, que Matthieu ne puisse pas courir. On a essayé de l’intégrer dans le groupe le mieux possible pour que chaque jour soit un moment agréable pour lui et pour nous.
Y a-t-il un sentiment de culpabilité de votre part Matthieu, pour le quota olympique qui a été décroché par un autre et que ce soit vous qui participiez aux JO ?
M.A : En fait la mission elle était assez claire pour tout le monde. Humainement ça a été très bien géré. Il faut savoir aussi que chez nous les qualifs ne sont pas nominatives. C’est le jeu depuis toujours. C’était la mission qualif dans un temps très court. J’arrive à ce moment-là, je suis dans mon retour, je suis en stage avec eux. Au bout de 3-4 jours j’apprends que je ne participerai pas à la qualif alors que j’avais l’impression d’être dans les coups. On imagine toujours un exploit, revenir après une longue période off. En fait, non. Le staff a tranché en me disant que reprendre trop tôt allait mettre en péril par la suite Paris. Moi j’ai regardé ça à la télé. Horrible ! Une impuissance qui a bien fait rire toute ma famille ! J’étais hystérique pendant la finale, gros moment parce qu’on sait ce que veut dire une non-qualif. C’est à dire que derrière on va à ce qu’on appelle la « régate de la mort » où l’on n’a que deux quotas.
Il reste cinquante jours avant les JO, quel est le programme ?
M.A et H.B : Sur les 50 jours, il va y avoir une période de très gros volume où l’on va bosser la physio l’engagement et le dépassement etc. Il y aura tout un dispositif autour pour qu’on encaisse. Après, on s affûte, on en fait de moins en moins et on calibre pour arriver en forme au bon moment. C’est une science. Ce n’est pas notre boulot nous on est juste là pour faire remonter les infos. C’est très perturbant si la veille de la course on ne se sent pas bien. Et en fait, on fait confiance et quand il faut envoyer, ça envoie très fort ! Ce sont des moments où même au bout de 10 ans, on se fait toujours piéger.
Propos recueillis par Aurore Quintin