Avec Hugo Boucheron, Matthieu Androdias a remporté le titre européen à Varese, en deux de couple. Un succès de bon augure avant l’échéance olympique de Tokyo, où ce duo de choc sera la principale chance de médaille pour l’aviron tricolore.
Matthieu, vous avez pu reprendre la compétition avec les championnats d’Europe, et ça s’est très bien passé…
Ça fait du bien de repartir avec ce résultat (le titre européen). Notre catégorie est réputée pour être extrêmement dense. C’est une bonne chose quand on est un petit peu mieux que les autres, car on est tout de suite dans le très haut du panier. En revanche, si on est un peu moins bien, on dégringole au classement. On y allait avec envie, car ça faisait un an et demi qu’on n’avait pas couru, et on voulait savoir où on se situait après ce travail dans l’ombre. Il y avait de l’enjeu.
Vous avez largement dominé les premières courses, avant une finale beaucoup plus serrée…
Pour un début de saison internationale, c’est un profil de compétition qu’on a rarement. Souvent, et c’est propre aux Français, sur les premières compétitions internationales de la saison, on n’est pas aux avant-postes. Nous progressons au fil de la saison pour arriver sur l’échéance finale au top niveau. Il faut être patient. Du coup, on a été presque surpris de notre entame de championnat. On domine largement la série, et en demi-finale, avec un énorme plateau, ça s’est très bien passé, on a maîtrisé la course. C’était hyper positif, car je m’attendais plutôt à des courses très dures physiquement. C’est ce qui s’est passé en finale, mais on en avait parlé avec Hugo (Boucheron) la veille. On savait que nos adversaires n’allaient pas nous laisser partir devant, comme en demi-finale. Ils ont été très agressifs pour ne pas nous laisser partir, et ça a joué sur les derniers 500 mètres, où on a pu réaccélérer là où eux n’ont pas pu. Il y a eu des profils de courses très différents, mais pour nous c’est super, ça nous donne plein de cordes à notre arc. On peut gérer les différents profils de course, c’est une bonne chose pour la suite.
« Ne pas se mettre trop de pression avant Tokyo »
Est-ce que cela met un peu de pression avant Tokyo, ou vous serez le principal espoir de médaille pour les Bleus ?
Ça dépend beaucoup de l’état d’esprit dans lequel on est. On avait décidé d’aller aux « Europe » pour travailler, prendre de l’expérience. On ne l’a pas du tout pris comme un championnat d’Europe. Le plateau était relevé, mais on en a plus fait un moteur qu’une pression, même en finale. On va aborder le reste de la saison comme ça, étape après étape, pour continuer à travailler. Ensuite, il faudra en effet préparer les Jeux. Si nous sommes devant toute la saison, nous serons attendus, forcément. Nos adversaires n’auront qu’une envie, c’est de nous bouffer. On peut avoir la cible dans le dos toute la course. C’est quelque chose qu’il faudra gérer, mais on a déjà su le faire quand nous étions favoris. En 2018, nous sommes champions d’Europe et champions du monde. Aux Mondiaux, nous étions très attendus par tout le monde, et ça s’est bien passé. Cela va donc dépendre de notre préparation mentale pour cet événement. Il y aura une préparation spécifique, histoire de ne pas se mettre trop de pression et d’aller aux Jeux plutôt relâchés.
L’expérience de Rio (6e place), il y a cinq ans, va-t-elle vous servir ?
Rio, c’était le début de notre association avec Hugo, on ne se connaissait pas comme aujourd’hui, en tant qu’athlète et en tant qu’homme aussi, ça compte dans un bateau comme celui-là. Nous ne sommes que deux mais ça reste un sport collectif. Il faut un bon niveau de synchronisation, de compréhension de l’autre. On ne se parle pas pendant la course, tout ce qu’on tire comme infos de l’autre, ça passe par les sensations. Il faut bien se connaître, soi-même et son coéquipier. On a acquis ça lors des dernières saisons, nous avons passé un cap. Ce sera un plus par rapport à Rio. Et individuellement, on a progressé. Notre niveau physique et technique est monté d’un cran. Maintenant, il faut mettre ça au service de ce bateau, en double, pour aller un peu plus vite. Les Jeux, c’est une compétition qui ne ressemble à aucune autre, on a une couverture médiatique assez inhabituelle pour nous, qui sommes relativement dans l’anonymat pendant les trois ans qui précèdent. Il faut savoir le gérer, Rio nous a appris ça. La compétition est très longue, on a un, voire deux jours de récupération entre les courses. En plus, à Rio, les conditions étaient très particulières, on allait parfois sur le lieu de compétition sans savoir si on allait courir. La gestion de l’imprévu, on a connu ça à Rio. Nous sommes mieux armés qu’en 2016, et on a beaucoup d’ambition. Mais on ne se projette pas trop, car ça ne nous réussit pas de griller les étapes.
Et Paris 2024, vous y pensez déjà ?
On l’a dans la tête car on nous en parle. En plus, ce n’est que dans trois ans au lieu de quatre. Moi, je vois encore ces Jeux comme une toile de fond, ce n’est pas très concret pour moi. Si le physique le permet, si j’ai le niveau, finir ma carrière à la maison peut être un rêve, surtout si on a un gros résultat au bout. C’est dans un coin de notre tête. Je suis dans la cible pour Paris 2024, ça reste raisonnable et faisable à 34 ans. Après, ce sera une question d’envie, et ça dépendra du résultat de Tokyo. Beaucoup de paramètres sont à prendre en compte.
Vous êtes, en parallèle de l’aviron, analyste développeur chez Atos. Comment combine-t-on les deux ?
Je suis venu à Lyon pour me rapprocher d’Hugo et parce qu’il y avait cette offre d’emploi. Il y a tout de suite eu un aménagement pour garder un pied dans le monde de l’entreprise et préparer la suite. On est parti au départ sur un mi-temps, en combinant deux entraînements par jour et le boulot entre les deux. Il était aussi convenu qu’à l’approche des Jeux, ils me détachent à 100% pour que je puisse m’entraîner comme un professionnel, comme mes adversaires. Depuis début 2020, je suis donc détaché à 100%, et je ne suis pas obligé de courir toute la journée. Je m’entraîne 7 jours sur 7, donc c’est un rythme difficilement tenable. J’ai essayé de tout faire, je pensais que c’était possible, et en fait je me suis un peu abimé. J’ai été très souvent blessé, mon niveau de performance a commencé à décrocher un peu. D’où cet ajustement. J’avais l’impression de ne pas être bon au boulot parce que j’étais cramé, et pas bon en aviron parce que je bossais trop. Il fallait réajuster le curseur. Ils ont été super réactifs et je les remercie beaucoup, car ils m’ont permis de retrouver mon vrai niveau de performance.
Retrouvez l’ensemble du dossier sur l’aviron français avec les interviews de Christian Vendenberghe, Hélène Lefebvre, Perle Bouge, Anne Tollard, Michel Andrieux, Ferdinand Ludwig et Audrey Feutrie.