À 41 ans, Mélina Robert-Michon, lanceuse de disque, est en route pour ses sixièmes Jeux Olympiques. Rencontre avec la vice-championne olympique en 2016, impliquée dans le sport comme dans de nombreux sujets de société.
Comment s’est passée la reprise pour vous ?
Je n’ai jamais vraiment arrêté, enfin sur le plan physique. Quand j’ai senti que le confinement se profilait, j’ai récupéré pas mal de matériel. J’ai la chance d’avoir un extérieur chez moi où mon compagnon et moi avons continué de nous entraîner. Ce n’était pas possible de lancer le disque, mais j’ai suivi ma préparation physique presque tous les jours. Pendant mes grossesses, j’ai connu des coupures lors desquelles je ne pouvais pas lancer. Ces expériences m’ont été utiles pendant le confinement. J’ai déjà été arrêtée pendant un temps et cela ne m’a pas empêché de revenir à mon meilleur niveau. Dès le déconfinement, la structure où je m’entraîne a rouvert. L’avantage du disque est que c’est un sport en extérieur où il est facile de respecter la distanciation sociale et les gestes barrières. Chacun utilise ses engins. On a donc pu reprendre rapidement dans de bonnes conditions.
Votre année 2020 avait bien débuté, notamment en réalisant les minima pour les Jeux Olympiques et la meilleure performance de l’année avec un jet à 64,14m, mais tout s’est arrêté brusquement. Comment l’avez-vous vécu ?
C’est forcément frustrant. J’étais en route pour la Coupe d’Europe de lancers, qui devait avoir lieu fin mars au Portugal, juste avant que tout s’arrête. C’est dommage parce que j’en avais encore sous le pied et j’avais de bonnes choses à faire. Mais la compétition n’était pas le plus important à ce moment-là.
Avez-vous pu retrouver la compétition internationale ?
La saison d’été 2020 a été raccourcie, elle se déroule du 23 août, avec le meeting de Ligue de Diamant de Stockholm, au 15 septembre. C’est bien de faire quelques compétitions pour casser la routine, mais ce n’est pas la priorité. Le vrai objectif, c’est l’année prochaine et les Jeux Olympiques à Tokyo. On est reparti sur une préparation sur le long terme, d’abord portée sur le travail foncier, avant d’adapter au fur et à mesure.
« Le jour où aller à l’entraînement sera une contrainte, j’arrêterai »
Vous aurez 42 ans lors des Jeux Olympiques de Tokyo. Quel est votre objectif ?
Aller chercher une médaille. Je m’entraîne toujours avec la volonté de faire aussi bien que ce que j’ai déjà fait, et pour les Jeux Olympiques, ça veut dire un podium. Je me donne les moyens d’y parvenir, après, cela reste du sport avec ses aléas. Participer aux JO à 42 ans est aussi un moyen de faire avancer sur le sujet de l’âge, qui est considéré comme un handicap. En France, quand on a passé 50 ans, en entreprise, on entend qu’on est trop vieux alors que c’est le moment où l’on est plus le plus compétent et qu’on a plus de liberté car les enfants sont plus grands. Dans le sport, ce discours arrive vers 30 ans. Certains sportifs arrêtent à cet âge parce qu’ils subissent cette pression, on leur fait sentir qu’ils sont trop vieux. Je leur dis qu’il ne faut pas qu’ils raccrochent à cause de ça, mais uniquement parce qu’ils le souhaitent. S’ils estiment qu’ils peuvent faire autre chose, alors qu’ils continuent. En gagnant une médaille, je peux ouvrir une porte pour que d’autres athlètes le fassent après.
Cependant, vous êtes aussi très active sur le sujet de l’après-carrière…
Il faut toujours prévoir sa reconversion, car dans le sport on ne sait jamais ce qui peut se passer, il y a toujours le risque de la blessure. Moi, j’ai fait des études pour obtenir un Master en management des organisations sportives et j’ai travaillé pour plusieurs entreprises et collectivités. Je pense revenir dans ce domaine après. L’événementiel me plaît beaucoup, je retrouve des similitudes avec le sport de haut niveau. C’est encore abstrait, tant qu’on est dans le sport il est difficile de se projeter sur la suite, mais il ne faut pas se fermer de portes.
Quel est le secret de votre longévité ?
Le plaisir, je pense. J’ai toujours dit que le jour où aller à l’entraînement sera une contrainte, j’arrêterai. J’ai aussi un entourage de qualité, mes entraîneurs Serge Débié et Jérôme Simian, qui sont avec moi depuis 20 ans. Ils savent se remettre en cause, ils trouvent toujours de nouveaux points d’amélioration.
« C’est important que les sportifs parlent »
Comment parvenez-vous à concilier votre carrière de sportive de haut niveau avec votre vie de famille, en plus de vos autres engagements ?
J’essaye de faire comme je peux. C’est important pour moi et pour l’avenir de mes filles que je continue ainsi. Je ne veux pas que plus tard elles doivent se poser la question de savoir où mettre la priorité entre leur vie professionnelle ou sportive et leur vie de famille. Elles peuvent faire les deux. Je veux montrer que c’est possible en étant bien entouré.
Vous êtes également présente sur des sujets de société comme la lutte contre le dopage, avec le programme international « Quartz », ou encore contre les abus sexuels des enfants dans le sport en devenant ambassadrice du programme « Start to talk »…
C’est important que les sportifs parlent. En promouvant le programme « Start to talk », nous avons la chance de pouvoir nous exprimer pour celles et ceux qui ne peuvent pas le faire. En ce qui concerne la lutte contre le dopage, il y a un moment où il faut que le sport soit équitable, il y a des règles à respecter. Si on ne veut pas faire comme les autres, alors on s’abstient.
« World Athletics fait les choses à l’envers »
World Athletics, la fédération internationale d’athlétisme, a retiré le disque du programme de la Ligue de Diamant dès cette saison. Est-ce un danger pour votre sport ?
Clairement ! Le disque est déjà une discipline globalement moins médiatique et on veut lui retirer de l’importance. World Athletics fait les choses à l’envers ! Il faut valoriser le disque, le mettre en avant, mais on lui retire la possibilité de le faire. On ne peut pas aimer ce qu’on ne connaît pas. Des personnes de mon entourage ont découvert et apprécié le disque en me côtoyant. C’est un peu comme le football féminin, des gens pensaient que c’était nul, mais quand ils ont commencé à le voir à la télévision, ils ont changé d’avis. Pendant quatre ou cinq ans, il y avait un événement uniquement centré sur le disque pendant une journée à Salon-de-Provence et près de 2 000 personnes venaient. Tout dépend de la manière dont la discipline est présentée pour donner envie aux gens de la regarder. Cette année, il y a eu qu’un concours de disque en Ligue de Diamant à Stockholm en août, alors qu’avant on pouvait participer à quatre ou cinq. C’est un vrai manque à gagner et c’est aussi une manière indirecte de faire baisser le niveau. Ça peut aller loin.
Que pensez-vous de la relève du disque en France ?
C’est plutôt compliqué. Pauline Pousse a fait 13e aux Jeux Olympiques de Rio en 2016, mais elle a arrêté depuis. Amanda Ngandu-Ntumba a terminé 4e lors des Championnats du monde Juniors en 2018. Elle a la capacité de faire un jet à plus de 60 m dans un premier temps. Elle a les cartes en mains, c’est à elle de faire des choix, ce qui n’est jamais simple avec les études.
Est-ce pour promouvoir votre sport que vous vous impliquez auprès des jeunes en Rhône-Alpes ?
Je m’engage pour le disque, mais aussi pour toutes les autres disciplines. Parce que le sport peut changer des vies. Il ne forme pas uniquement des champions, il inculque aussi des valeurs d’investissement, de vie en groupe, d’entraide. Certains jeunes, qui peuvent être en difficulté dans leur scolarité, trouvent dans le sport un moyen de s’exprimer et de s’épanouir. C’est important, et je trouve qu’on ne l’utilise pas assez.