Nathalie Baillon : « L’idée, c’est de donner envie aux gens et de les faire rêver »

Crédit : PhotoNomades Production

La championne de cyclisme ultradistance, 33 ans, originaire du Maine-et-Loire mais installée depuis 5 ans à côté de Grenoble, est à l’affiche du Cyclist film festival en tournée jusqu’à la fin de la semaine (cyclistfilmfestival.fr). Le film « La route de l’audace » raconte durant 21 minutes son aventure au cours de laquelle elle a battu en mai 2023 le record du monde pour une femme de la traversée de l’Europe (6 400 km) entre Tarifa (sud de l’Espagne) et le Cap Nord (nord de la Norvège) en 18 jours 15 heures et 27 minutes.

Quel regard portez-vous sur « La route de l’audace » ?

Disons que ça me fait un peu bizarre de voir ce qu’il en ressort après avoir vécu l’aventure de l’intérieur. C’est bien sûr très résumé donc il n’y a pas tout ! Les vidéastes étaient là quelques minutes sur des journées durant lesquelles je pédalais 15 heures. C’est le retour que j’ai eu de pas mal de gens sur les réseaux sociaux : c’est un peu court et on ne se rend pas compte de tout ce que j’ai réalisé. C’est plutôt positif, cela veut dire qu’on ne s’ennuie pas pendant le film (rire). Moi, je trouve que globalement, c’est plutôt bien retranscrit et je suis plutôt satisfaite du rendu, mais pourquoi pas un format plus long pour un prochain film !

Vous étiez à Grenoble en fin de semaine dernière pour la projection du film. Comment s’est passée cette rencontre avec le public ?

Super, j’ai eu des bons retours ! Cela fait plaisir que le film plaise, qu’il soit reconnu, qu’il soit diffusé, c’est un peu l’objectif. Le but, ce n’est pas qu’il reste un film pour moi mais qu’il soit partagé. Donc c’est génial qu’il soit diffusé en festival. Le film, c’est un moyen de partager ce que j’ai vécu et d’inspirer d’autres personnes à se lancer dans ce genre de défi, notamment les femmes. Ce sont des aventures qui ont beaucoup été réalisées par les hommes et très peu par les femmes. L’idée, c’est de donner envie aux gens et de les faire rêver. Pas forcément au même niveau de performance que moi mais par rapport à leur propre défi.

Qu’est-ce qui a vous a donné envie de vous lancer ce défi ?

Disons que j’ai toujours été attirée par ce genre d’aventure, partir à la découverte de pays lointains. Quand j’ai découvert la longue distance, j’ai entendu parler de Jonas Deischmann (sportif de l’extrême allemand) et j’aimais beaucoup ce qu’il faisait. Après, entre l’idée de la faire et le moment de le faire, il s’est passé quand même quelques années. À l’époque, j’étais sur un voyage à vélo en Nouvelle-Zélande. J’ai découvert la longue distance et commencé à m’y intéresser mais à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de courses. Alors je me suis penché sur les records. Au début, je voulais partir sur celui du tour du monde sauf que je me suis dit qu’il fallait y aller plus par étapes. Je me suis donc focalisée sur l’Europe : c’était plus facile logistiquement, plus facile de passer les frontières (à part en Russie). Ensuite, en rentrant en France, j’ai découvert la Boarders of Belgium, une rando de 1 000 km puis la Race accross France, j’ai commencé là-dessus, j’ai plutôt réussi et j’ai enchaîné par ce record de la traversée de l’Europe.

Quel est votre prochain défi longue distance au programme ?

J’avais envie de tenter une traversée similaire sur le continent africain pour tenter un record mais actuellement, la situation géo-politique est compliquée. Tous les continents me plaisent, ils ont tous leurs particularités mais en ce moment je suis plutôt attirée par l’Afrique. J’ai deux courses prévues là-bas cette année et je réfléchis aussi à un autre défi également en Afrique, mais moins dans la performance et avec un côté un peu plus humain, un peu moins seule et un peu plus à la rencontre des populations. Plus dans le partage.

Le côté humain, c’est ce qui vous a le plus manqué durant cette traversée de 18 jours ?

Je n’étais pas si seule sur la partie France et Suisse car j’avais mis un tracker pour qu’on puisse me suivre. Et donc beaucoup de monde est venu m’encourager sur le bord de la route ou m’a invité à dormir chez eux. C’est sûr que sur la seconde partie, j’ai vu un peu moins de monde mais j’ai croisé quand même quelques personnes. Après, je savais que c’est un peu plus de deux semaines, ce n’est pas non plus énorme. Et puis, je suis focus sur mon objectif. Je ne ressens pas forcément de solitude, c’est surtout de l’ennui quand tu es sur des routes pas très intéressantes mais j’avais la possibilité le soir de parler avec du monde même si c’était virtuellement. Donc je ne me suis pas sentie seule.

Qu’est-ce qui vous plaît dans l’effort solitaire ?

Je pars souvent seule car j’aime bien me gérer, être à mon rythme. Ça fait peur à beaucoup d’être seul(es). Moi, cela me procure un grand sentiment de liberté !

C’est pour cela que vous vous êtes mise au vélo ?

J’ai commencé à l’adolescence. J’étais une enfant, très réservée, très timide. À l’école, petite, je n’aimais pas participer aux sports soit d’équipe, soit qu’on pratiquait devant les autres, ça ne me correspondait pas : je n’aimais pas le regard des autres, être jugée. Ça me gênait. Avec le vélo, j’ai découvert un sport où je pouvais progresser dans mon coin, faire ça seule. Je me suis rendu compte que j’avais de bonnes capacités dans ce sport. Ma passion est partie de là, j’ai découvert aussi le voyage, et qu’il n’y avait pas que l’effort physique mais aussi les paysages et les rencontres. Et cela contribue maintenant à ce que j’aime.

Vous ne pourriez pas partir dans une aventure sans votre vélo ?

C’est ma passion et un mode de transport idéal. À pied, c’est trop lent. Mais cette année, je prévois de combiner d’autres sports : j’ai pratiqué un peu de vélo-ski et j’ai un projet de voyage bike rafting, un mix entre le bike packing et le pack rafting. Je partais sur les Canaries mais finalement les distances entre les îles sont trop compliquées pour relier celles-ci en packraft. Donc à voir… Il y a toujours le vélo, ça reste mon sport de prédilection, mais j’ai envie de découvrir d’autres disciplines.

En attendant de mener à bien tous ces projets, quel est votre programme ?

Je m’envole ce mardi pour le Maroc où je cours l’Atlas Moutain Raid à partir du 9 février. C’est une course VTT de 1 300 km non-stop. L’objectif, c’est de la gagner mais il va y avoir une bonne concurrence donc je n’ai aucune certitude. Les meilleurs hommes mettent 4 jours. Donc pour moi, mettre 5 jours, ce serait pas mal ! (rires) C’est du non-stop : quand on dort, on perd du temps. Donc le but, c’est de dormir le moins possible. J’ai fait la Silk Road Mountain Race (au Kirghizistan) l’année dernière : un format de course de 1 000 km sur route donc là je dormais très peu car ça se fait en moins de 3 jours. Sur l’Atlas Moutain Raid, le format est un peu plus long et le VTT est un peu nouveau pour moi.

Est-ce que le cyclisme est devenu votre activité principale ?

À la base, je suis ingénieure en développement de logiciels mais depuis 2 ans, c’est devenu mon métier oui. J’ai quitté mon entreprise (elle a travaillé deux ans en Bavière puis à Grenoble) et me suis mise à mon compte : j’ai quelques sponsors mais ce n’est pas suffisant, je fais un peu de coaching, des stages, de la promotion d’événements, différentes choses qui me permettent d’en vivre.

Propos recueillis par Sylvain Lartaud

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