Nathalie François est secrétaire nationale du Syndicat national de l’éducation physique (SNEP), en charge du sport scolaire. Enseignante d’EPS en Lycée Professionnel, elle profite de ce début d’année 2021 pour tirer la sonnette d’alarme sur l’état de santé alarmant du sport scolaire.
Comment le sport scolaire et notamment les professeurs d’EPS vivent-ils cette période liée à la crise sanitaire ?
La crise sanitaire a touché tout le monde, et les enseignants d’EPS se sont aussi inquiétés de la manière dont le sport scolaire allait pouvoir continuer. Au niveau de l’UNSS, tout s’est arrêté de mars à fin mai dernier. Nous avons essayé de reprendre au mois de juin, progressivement avec les entraînements et l’organisation de rencontres là où c’était possible. La plus grande difficulté a concerné la rentrée de septembre. Des textes de l’Éducation nationale (repères pour la reprise de l’EPS) nous ont permis d’avoir une marche à suivre. Mais c’était aussi une période lors de laquelle nous n’avons pas eu de directives très claires concernant l’UNSS : soit on restait au sein des établissements, soit nous pouvions organiser des rencontres avec un programme adapté (par exemple moins de sports collectifs), soit tout organiser en distanciel avec des défis et des challenges. Or, nous ne savions pas vraiment sur quel pied danser, qui prenait la décision sur le scénario à suivre. Ça a donc été une période marquée par la « débrouille » de chacun. Depuis la rentrée de novembre, des demi-groupes en lycées et dans certains collèges ont été mis en place. Or, au sein de l’association sportive, la règle concernant le brassage des élèves a été interprétée de manière différente d’un établissement à l’autre. Cela a perturbé beaucoup d’enseignants d’EPS. Beaucoup ont ainsi décidé de changer la pratique en AS. Soit des petits groupes d’élèves ont été mis en place, soit certains chefs d’établissements ont tout simplement interdit la pratique en AS.
Reprendre l’activité sportive était-elle indispensable dans le milieu scolaire ?
Je dois dire que cette période de crise, avec l’enseignement en distanciel, a évidemment été un coup dur pour le sport scolaire. Enseigner l’EPS à distance, ce n’est pas possible. Là-dessus, le ministère de l’Éducation nationale a pris une bonne décision en autorisant à chaque fois la reprise de l’EPS et du sport scolaire. Nous avons retrouvé des élèves heureux de revenir dans les établissements et de pouvoir à nouveau pratiquer en présentiel. De plus, beaucoup de lycéens ont affiché leur satisfaction d’être moins nombreux dans les cours d’EPS. De cette manière, ils se sentent mieux encadrés et ont plus de temps de pratique effective.
Cette période a-t-elle permis un rapprochement entre l’Éducation nationale et les enseignants d’EPS, entre lesquels les relations sont assez tendues ?
Ce qui est certain, c’est que le SNEP-FSU est en contact régulier avec le Ministère de l’Éducation nationale. Lors du premier confinement en mars dernier, nous avons demandé au ministère comment faire pour la continuité pédagogique. Rapidement, l’Inspection Générale EPS a envoyé au ministère ses préconisations. Mais c’est le ministère qui a mis des mois avant de les faire paraître et nous n’avons pu en prendre connaissance que quelques jours avant la rentrée de septembre seulement. Nous avons des différences d’appréciation sur les « repères pour la reprise de l’EPS », mais nous avons finalement été suivis sur des décisions importantes qui ont été prises. Je pense notamment au maintien de l’ouverture des équipements sportifs pour les élèves.
« Cela fait plusieurs années que nous subissons d’importantes suppressions de postes »
Malgré tout, l’année scolaire en cours a été marquée par de nouvelles suppressions de postes d’enseignants d’EPS…
Cela fait plusieurs années que nous subissons d’importantes suppressions de postes en EPS. Pour nous, c’est terrible. C’est d’ailleurs assez contradictoire avec tout ce que l’on entend dans la période actuelle. Le gouvernement assure qu’il est nécessaire d’avoir une distanciation physique. Nous avons donc mis en place des demi-groupes mais ce n’est malheureusement que transitoire et lié au contexte Covid. Or, avec les nouvelles suppressions de postes, il manquera forcément des enseignants à certains endroits et cela donnera lieu à un « bourrage » de classe avec des élèves toujours plus nombreux. À force, ce n’est plus tenable. C’est une catastrophe pour le sport scolaire, car chaque fois qu’un poste d’EPS est supprimé, c’est un animateur d’AS en moins et donc une offre de pratique moindre pour les élèves.
Autre point de tension, le 2S2C. Les enseignants d’EPS parviennent-ils à faire entendre leur voix sur ce sujet ?
Ce qui est certain, c’est que nous sommes en désaccord avec le ministère de l’Éducation nationale sur le sujet. Nous avons d’entrée de jeu été farouchement opposés à ce projet. Le 2S2C est un serpent de mer qui est ressorti à l’occasion de la crise Covid. C’est d’ailleurs un sujet sur lequel nous nous sommes également fâchés avec l’UNSS. À nos yeux, augmenter les horaires EPS, avoir plus de professeurs d’EPS, et plus de créneaux d’installations sportives, ce serait une bien meilleure solution plutôt que de se tourner vers des acteurs qui viennent de l’extérieur. Certes, la cible du 2S2C est plutôt le premier degré, mais ce n’est pas plus acceptable pour autant, et nous devons néanmoins rester vigilants. Nous savons qu’il y a eu des clubs sportifs qui sont entrés en contact avec des établissements scolaires pour leur proposer leurs services. Ils sont arrivés sans que rien ne leur soit demandé. Or pour nous, c’est l’École qui doit être à l’initiative de la construction d’un projet et pas l’inverse. Nous ne sommes pas opposés à des partenariats entre les AS et les clubs sportifs locaux, mais c’est à l’école de garder la maîtrise du projet et de le mener sur le long terme. Le 2S2C, ce n’est pas un plus, mais une mise en concurrence avec l’EPS et l’AS. Nous avons pu le constater en juin dernier lorsque des groupes d’élèves avaient accès aux installations sportives dans le cadre du 2S2C au détriment des cours d’EPS et des AS. Nous dénonçons particulièrement le manque de continuité et de cohérence des dispositifs 2S2C (zapping, projets « clés en mains ») qui ne servent pas le projet de formation et d’enseignement à long terme que nous souhaitons pour nos élèves.
« Le 2S2C, ce n’est pas un plus, mais une mise en concurrence avec l’EPS et l’AS »
Dès la rentrée 2021, une réforme va permettre au sport de devenir une spécialité au baccalauréat. Une bonne chose ?
Nous nous sommes vraiment battus pour cela auprès du ministère de l’Éducation nationale dès le projet de réforme du lycée. Nous avions en tête la crainte qu’il n’y ait pas de spécialité pour l’EPS. Nous sommes donc évidemment très satisfaits que l’EPS soit une spécialité au bac dès la rentrée prochaine, même si l’annonce d’un à trois lycées par académie pour la rentrée 2021 nous parait totalement insuffisante. En revanche, il y a une vraie déception sur le fait qu’il y aura sans doute autant de certification de l’enseignement commun EPS que de lycées avec la réforme. J’entends par là que chacun est libre de faire son programme. De plus, les élèves seront évalués seulement sur 12 points pour la motricité, le savoir technique et la performance, alors que 8 points seront attribués aux compétences méthodologiques et sociales. Sans oublier qu’avec la réforme, les Jeunes officiels et les podiums UNSS ne sont plus reconnus dans l’évaluation certificative pour le bac. C’est un vrai déchirement pour les enseignants d’EPS.
Quels sont les combats à mener dans les mois et années à venir en faveur du sport scolaire ?
Le sport scolaire est en crise, donc il y en a forcément beaucoup. Je pense notamment aux lycées professionnels. Ce gouvernement est le premier à avoir fait baisser le nombre d’heures d’EPS dans les lycées professionnels. C’est une première dans l’histoire de l’Éducation nationale.
Je pense aussi à la nécessité de maintenir les activités du sport scolaire le mercredi après-midi. Avant la réforme du lycée engagée par le gouvernement actuel, plus de 40% déclaraient déjà programmer des cours le mercredi après-midi. Après cette réforme, ce sera 70% sur certains territoires. Cela représente donc moins de temps au service du sport scolaire.
Enfin, je pense qu’il est important de redonner plus de place à l’EPS et au sport scolaire. Durant cette période de crise sanitaire, nous avons beaucoup entendu dire qu’ils étaient un vecteur de santé pour les élèves. Or, l’EPS représente avant tout des savoirs à acquérir. Je m’entraîne, je fais des progrès, je deviens performant, je suis efficient dans ce que je fais et je m’engage dans le projet sportif (individuel ou collectif) que je me suis fixé : c’est cela l’EPS. Nous l’avons vraiment vu lorsque les élèves sont revenus au lycée. En EPS, la première motivation des élèves, ce n’est pas la santé. À cet âge-là, on souhaite avant tout pratiquer avec les autres élèves, avec ses copains. Si la santé accompagne tout cela, tant mieux, mais il ne faut pas inverser les rôles et faire de la santé l’essence de l’EPS.