A 29 ans, Nelly Moenne-Loccoz a déjà une armoire à trophées bien remplie. La double vice-championne du monde de snowboard cross sort d’une saison difficile et a donc changé ses habitudes estivales. Ses doutes, ses attentes, l’évolution de sa discipline…entretien sans langue de bois avec une athlète inimitable.
Nelly, quel bilan faites-vous de la saison dernière ?
Sur le principe, c’était assez décevant parce que j’avais fait un gros travail physique. Physiquement, j’étais plus prête que jamais. J’avais réussi à prendre un peu de masse, j’étais plus costaud que les années précédentes, donc sur le papier ça aurait dû marcher. Mais ça n’a pas été le cas, du coup il y a des questions à se poser. Quand sur le papier ça doit fonctionner et qu’en vrai ce n’est pas le cas… J’ai fait une grosse remise en question en fin de saison. Du coup, j’ai commencé à faire de la préparation mentale. Parce que si physiquement ça va bien, techniquement aussi, c’est qu’il y a quelque chose d’autre qui pèche. Du coup, j’ai fait un gros travail mental, que je continue d’ailleurs. Sur le principe, c’est ce qui me manquait vraiment l’année passée. Typiquement, aux Mondiaux, j’aurais dû gagner… et je ne gagne pas du tout en fait ! Je sors au premier tour, toute seule. Je tombe toute seule. C’est très révélateur. C’est douloureux sur le moment, mais ça fait partie de l’apprentissage et on arrive quand même à en sortir des choses positives. Ça ne peut que faire avancer de prendre des claques comme ça.
Qu’est-ce que vous apporte la préparation mentale ? De la confiance ?
De base, je ne suis pas une personne qui a trop confiance et je ne pense pas que ce soit la clé de se dire « de toute façon je suis la meilleure » quand on est au départ d’une Coupe du monde. Ce n’est pas comme ça que j’envisage le sport. Avec le préparateur mental, on met l’accent sur la nécessité de retrouver le festif, le jeu, la passion.
« Je suis complètement en décalage avec les jeunes »
Vous aviez perdu tout ça ?
Ça devient un travail ! Ça va être ma douzième ou ma treizième saison en équipe de France de BoarderCross. C’est comme dans tout. Un plombier, si ça fait 13 ans qu’il fait son métier, peut-être qu’au bout d’un moment ça le râpe de mettre des tuyaux dans le sol. Pour le sport, ça peut être pareil. Il y a forcément un moment où on se dit : « Est-ce que j’ai fait le tour ? » « Est-ce que j’ai encore envie ? » Il faut trouver de nouveaux moteurs aussi, parce qu’on change avec le temps. Personnellement, je n’ai plus trop cet esprit de compétition, les dents longues. Quand je vois les jeunes qui arrivent, qui sont à fond, qui veulent faire plus de runs, plus de runs, plus de runs… Moi, je suis complètement en décalage avec ça, certainement parce que ça ne correspond plus à mes attentes et à la façon dont je vois les choses maintenant. Il faut donc retrouver des moteurs, notamment le jeu.
Etes-vous impatiente de savoir où vous en êtes lors du début de la Coupe du monde ?
Pas du tout, je prends les semaines les unes après les autres. Sur scène, j’ai dit que j’étais impatiente, mais c’est parce que je n’avais rien d’autre à dire en fait. Dans l’absolu, je ne suis pas du tout impatiente. Je suis contente, quand on fait de la préparation physique à Albertville et qu’on soulève des poids, j’y trouve mon compte, j’aime bien ça. Quand on va s’entraîner, je suis contente parce qu’à l’entraînement, on est peut-être plus relâché. On met en place des choses, on fait des répétitions, on a des sensations, on teste le matériel. Au moment où ce sera la compétition, j’imagine que j’apprécierai aussi ça. Mais je suis très bien où je suis au moment où j’y suis. Justement, c’est quelque chose qui change par rapport aux années précédentes, c’est que je n’ai pas du tout besoin de me projeter, ou de me dire « waouh ! Là, je fais de la musculation pour être forte cet hiver. » Pas du tout, je fais de la muscu parce qu’il faut que j’en fasse à ce moment-là et que j’ai envie d’en faire à ce moment-là. Mais je n’ai pas un objectif en tête qui m’aide à me lever le matin. C’est pas du tout ça.
« Quand je suis arrivée sur la Coupe du monde, je n’avais jamais fait un abdo de ma vie »
J’imagine que pour les objectifs, cela se décidera pendant la saison ?
Complètement, on verra étape après étape. Après, je m’entraîne quand même pour être balèze, ce n’est pas dans le vent, pas pour être une bombe atomique à la plage l’été ! Mais il n’y a pas une étape qui m’intéresse plus que les autres. Pour être honnête, je ne connais même pas vraiment le programme. Mais je fais du sport de haut niveau pour rider du mieux que je peux, pour être à 100% le jour de la course. Après, c’est toujours pareil, s’il y a des filles meilleures que moi, je serai derrière même si je suis très en forme. Ce sera normal et je les applaudirai à l’arrivée. Mais sur le principe, mon objectif réellement cette année, c’est de retrouver du plaisir dans ce que je fais. Je ne l’ai pas complètement perdu, mais j’ai quand même envie de me faire plaisir parce que j’aime le snowboard, la compétition, on va dire que j’aime ça, et ce que j’aime surtout c’est la performance. Donc être capable de mettre toutes les choses bout à bout le jour d’une course et de sentir que je vais vite et que je prends du plaisir, c’est surtout ça qui me fait vibrer.
Et les voyages, c’est une partie intéressante du métier ?
Pas du tout, ce n’est pas du tout une belle partie. Il n’y a rien de rigolo dans le fait de prendre l’avion. Si, peut-être pour partir en vacances. Mais pour nous, c’est chiant. On ne découvre rien du tout, on va dans une station. Qu’on soit en Amérique du Sud, au Japon ou en France, les télésièges sont les mêmes, la neige elle est blanche partout… Parfois on a de la chance, on a une journée off. Je ne sais plus si c’était l’an passé ou il y a deux ans, on avait eu deux jours off à Istanbul avec Chloé (Trespeuch), on est allé courir la ville, mais c’est parce que c’était après une course et qu’on n’en avait pas une tout de suite derrière. Et même si on avait 24h de libre avant une course, jamais on n’irait courir la ville, on ferait de la récupération, des abdos, la routine, préparer le matériel. Il n’y a rien d’excitant dans le fait de voyager, c’est plus une contrainte qu’autre chose. On a trois fois trop de valises par athlète, on passe notre vie à faire des petits tas… C’est très chiant en fait. Si on pouvait se téléporter, ce serait beaucoup plus facile.
En plus de 10 ans avec l’équipe de France, qu’avez-vous noté comme changements dans le BoarderCross ? Quand il est arrivé, c’était « le sport cool ». Il s’est bien professionnalisé, non ?
On garde encore beaucoup cette image par rapport aux sports plus conventionnels comme le ski alpin. Je crois même qu’on la cultive entre nous, car ça nous fait un point de démarcation et ça fait aussi partie de ce qu’on a envie de faire. Ensuite, je n’étais pas là au début du BoarderCross, mais je fais ça depuis 13 ans et c’est fou le changement qu’il y a eu ! C’est absolument fou. Quand je regarde mes premières Coupes du monde, on avait un coach qui faisait la préparation physique et le matériel. On avait des planches de série, que tout le monde pouvait acheter dans le commerce. Ça se prenait vraiment des timbales après toutes les courses. Maintenant, il y a une différence énorme. Les petits, ils vont à l’école et ils font déjà de l’haltérophilie, de la musculation, ils arrivent sur la Coupe du monde, ils sont prêts. Moi, je suis arrivée sur la Coupe du monde à 16 ans, je n’avais jamais fait un abdo de toute ma vie. J’étais en forme physiquement parce que j’adore le sport et que j’en faisais à la maison, mais c’est diamétralement opposé. C’est très bien sur le principe. Il y a encore une grosse marge de progression quand on voit les moyens qui sont mis en place autour du ski alpin. Mais ça y est, maintenant on a un physio quasiment toute l’année, deux préparateurs de matériel, trois coaches, un préparateur physique. Ça aide à la performance.