Auréolé d’un titre olympique en 2016, Pierre Houin est devenu au fil des années l’un des meilleurs avironneurs au monde. Mais, au-delà d’un talent brut, c’est par une personnalité et un caractère atypiques et profondément attachants qu’il se démarque…
Pierre, vous avez remporté l’or olympique en 2016. Cette aventure a dû être particulièrement marquante et fatigante. Êtes-vous passé par une période post compétition difficile ?
Oui, il y a eu un moment où j’ai eu besoin de partir, de couper avec tout ça. Ce n’était pas après les Jeux, mais après les championnats du monde 2017. Même si nous ne sommes pas surmenés et que je n’ai pas le quotidien de Teddy Riner, j’ai eu besoin de partir à l’autre bout de la planète pour tout un tas de raisons. À un moment donné, plusieurs facteurs m’ont fait dire : « casse-toi, barre-toi loin ». Il faut avoir ce recul si on veut durer. Dans une carrière, on peut avoir besoin de remettre les pendules à l’heure, de se recentrer sur soi-même et uniquement sur ce qui est important. Le problème de ce tourbillon, c’est qu’on en oublie les choses essentielles, celles qui sont vraiment importantes dans la vie. À force de masquer ce besoin, de se dire que l’on va faire sans, on accorde trop d’importance à ce que l’on fait au quotidien, aux entraînements ou encore à la médiatisation. Finalement, on ne vit plus qu’autour de ça. Il faut être capable de se dire que ce que l’on a fait, c’est bien, mais que, si cela doit s’arrêter du jour au lendemain, il y aura autre chose derrière.
D’où l’intérêt d’avoir un entourage solide et sérieux…
Bien sûr. Après, dans mon cas personnel, la plupart des gens qui m’entourent sont du milieu de l’aviron. Plusieurs membres de ma famille sont sportifs de haut niveau, ma copine aussi. Mais, ce que j’explique dans ce besoin de m’évader, de sortir du contexte sportif, c’est vraiment pour moi. J’aurais pu me servir de ce temps pour partir avec ma famille, mais je fais déjà tout cela au quotidien. Je vois très souvent mes parents, mes proches. J’avais clairement besoin de me recentrer sur ce que je suis. Mais, quand j’ai besoin de mon entourage, et notamment de mes coachs qui sont mes fers de lance d’un point de vue caractériel, je n’hésite pas à faire appel à eux. Ce sont des gens qui me forgent au quotidien, qui comptent énormément pour moi.
Il y a quelques mois, Jérémie Azou, votre fidèle partenaire, prenait officiellement sa retraite sportive. Même si vous avez retrouvé depuis un coéquipier en la personne de Thomas Baroukh, cette période a-t-elle été difficile à supporter ?
Je ne dirais pas difficile à supporter, mais difficile à concevoir. Il y avait des signes qui montraient qu’il était lassé, mais à l’inverse il y avait également pas mal d’éléments qui me faisaient penser que ça pouvait tenir. On sentait que l’on progressait. Moi-même je faisais ce qu’il fallait pour le maintenir à flot, pour le mettre dans les meilleures conditions et faire en sorte que ce soit le moins pénible possible pour lui. On était en pleine forme, on sortait d’un championnat du monde remporté avec un gros écart, on avait de bonnes sensations. Je me disais toujours : « mais pourquoi arrêter, alors que l’on peut encore faire de magnifiques choses ? ». On était tellement bien que je me suis dit qu’il allait tenir jusqu’à Tokyo. Mais il a été plus sage que ça, et puis des facteurs que je ne pouvais pas contrôler pesaient également sur lui. C’était difficile à concevoir, j’ai mis beaucoup de temps à réaliser. Le moment qui a été le plus dur, c’est quand on s’est retrouvés en stage sans lui et le groupe après les Mondiaux. J’ai eu la sensation qu’il y avait tout à reconstruire, mais je ne me sentais pas prêt, pas à la hauteur du défi. Je ne savais pas où aller, à quoi ma carrière allait ressembler à partir de ce moment précis. C’était une période très difficile. Après, avec le temps qui passe, et je pense d’ailleurs que c’est Jérémie qui m’a transmis ça, tu es obligé de faire avec. Je suis déjà parti dans le mauvais sens en m’apitoyant sur mon sort. Je ne devais pas refaire la même erreur. Il fallait reconstruire une aventure sportive et humaine.
On vous sent très émotif, très entier. Votre personnalité est-elle une force ou une faiblesse ?
Je dirais que c’est un catalyseur. Il faut avoir conscience que l’on est comme ça, c’est aussi pour cela que je fais du sport de haut niveau. Au-delà de l’aventure sportive, c’est surtout pour l’aventure humaine que je continue à m’entraîner tous les jours. Les émotions que l’on peut ressentir, c’est un truc de dingue. Donc, ce qui est important c’est de prendre conscience que l’on est comme ça, et ensuite de se l’approprier comme une force. Quand les choses ne tournent pas forcément comme on le souhaiterait, il ne faut surtout pas que cela nous plombe, mais plutôt que l’on s’en serve comme d’une rampe de lancement pour se transcender et répondre présent au bon moment. Je me souviens d’ailleurs de la dernière phrase de notre coach avant d’aller sur l’eau lors de la finale des JO. Il nous disait de penser à tout ce que l’on avait vécu, aux bons comme aux mauvais moments. C’est ce qui me caractérise. Je vais connaître des émotions positives et négatives, mais je vais m’en servir à chaque fois pour avancer. À certains moments, je suis à deux doigts de me dire que je peux partir à la dérive. Mais le tout, c’est de le savoir et d’en avoir conscience, pour tout faire afin que ça n’arrive pas et même que ça devienne une force. À l’inverse, j’ai la fâcheuse tendance, quand tout se passe bien, à me projeter sur ce qu’il va se passer après. Profiter des bons moments, c’est plus dur pour moi.
Le 15 avril dernier, lors des Championnats de France de Cazaubon (Gers), vous remportiez le titre national en skiff poids légers, le seul qu’il manquait à votre incroyable palmarès. À 24 ans, comment voyez-vous la suite de votre carrière ?
Quand tu as tout gagné, c’est difficile de dire autre chose que « j’ai encore envie de tout gagner ». C’est forcément l’objectif. Après, j’essaye de nuancer un petit peu en coupant ma carrière en deux grands chapitres. Il y a eu le premier, ma construction aux côtés de Jérémie en gagnant tout ce que l’on pouvait gagner, et le deuxième, qui correspond à l’après Jérémie. Maintenant, mes ambitions seront de remporter tous les titres que j’ai déjà remportés, mais dans un autre état d’esprit. Je vais davantage me tourner et me focaliser sur le plaisir d’être là, l’envie de bien faire. J’ai tout gagné, je n’ai plus rien à prouver. On est champion du monde pour un an, mais on est champion olympique pour la vie. On ne pourra pas m’enlever ce que j’ai déjà remporté, je veux juste gagner autrement, dans une autre configuration.
La bio express de Pierre Houin :
- 24 ans – Né le 15 avril 1994 à Toul (Meurthe-et-Moselle)
- Spécialités : deux de couple poids léger, skiff poids léger
- Palmarès en deux de couple poids léger : Champion olympique (2016), champion du monde (2017), champion d’Europe (2017), champion de France (2015, 2016), médaille de bronze aux championnats du monde U23 (2014), vice-champion de France (2014), vice-champion du monde U23 (2013), vice-champion d’Europe (2013)
- Palmarès en skiff poids léger : Champion de France (2018), vice-champion de France (2015, 2016, 2017), Champion du monde U23 (2015), champion d’Europe (2015)