Raphaël Poulain : « Désacraliser la vulnérabilité chez les sportifs de haut-niveau »

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Raphaël Poulain, ancien rugbyman professionnel, était présent lors de la journée Demain Le Sport et participait à la table ronde traitant de la dépression des sportifs de haut niveau.

Raphaël Poulain désire lever le tabou présent quant à la dépression chez les sportifs de haut niveau. L’ancien joueur du Stade Français a pris sa retraite à seulement 25 ans. Il a évoqué sa dépression ainsi que son souhait d’aider les athlètes de haut niveau ayant traversé ou traversant cette phase.

Comment les sportifs de haut niveau parviennent-ils à mettre des mots sur leurs maux ?

Ça prend du temps. Ça prend du temps parce qu’il y a le déni et la vulnérabilité. Et puis les mots. Aujourd’hui, ce sont 140 caractères, voire 280. Donc l’idée, c’est de prendre un petit peu le temps de la réflexion, de se connaître, de s’apprendre et puis d’accepter sa vulnérabilité, d’accepter de ressentir sa colère. Je pense que si les sportifs d’aujourd’hui s’ouvrent à ça, ils humanisent beaucoup de choses dans la performance et cela sert aussi pour la génération qui arrive, qui a peut-être besoin de plus d’aventures humaines « vraies » que de médailles ou de rails de coke de manière caricaturale.

Comment avez-vous été accompagné lors de vos blessures ?

Quand j’étais blessé, mes kinés étaient mes psys. Même si on ne parlait pas de psychologie dans le sport, on commence à ouvrir les vannes. Et puis, il y a aussi cette invulnérabilité, donc on n’est pas faible, tout va bien, on est sur les rails. A l’époque, on parle d’un rugby, qui, il y a 15, 20 ans, se découvrait au niveau professionnel, très patriarcal, très masculin, avec des couilles et du cœur. La vulnérabilité était vue comme une faiblesse alors que c’est une putain de force. Mais moi, j’ai joué ce rôle de mec gaillard, les dieux du stade. Les dieux, ça ne me va pas. Il y a un moment où il faut accepter de crever une bonne fois pour toutes sur les excès qu’on a vécus pour vivre d’autres choses. Il faut accepter de désacraliser ça, de tomber très bas pour ensuite revenir.

C’est pour ça que ce n’est pas facile d’en parler. On vous a conditionné à ne rien ressentir, à tout garder pour la performance et à ne pas exposer vos faiblesses ?

On est conditionné, mais ça va au-delà du sport. Ça touche à 2 000 ans de patriarcat. Et puis il y a tout ce côté mythologique qu’on voit dans le sport. La responsabilité, c’est celle des sportifs, sportives et des médias. Je parle de responsabilité et non de culpabilité. Quand j’ai sorti mon bouquin Quand j’étais Superman, c’est l’aspect mythologique qui fait rêver les foules. Sauf que, derrière, quand on gratte un peu, on est humain comme tout le monde.

« On est tous différents mais on a tous des failles »

C’est un cheminement qu’il faut avoir…

Qu’il faut ou pas. Mais je pense que l’idée du voyage initiatique est géniale, qu’on vit toutes et tous. A un moment donné, il s’agit de se regarder en face, d’apprendre, que nous a-t-on vendu comme réussite humaine, est-ce que c’est l’argent, la gloire, la notoriété ? On est tous en train de se rendre compte que la réussite, ce n’est pas le paraître. On en est vite revenu avec cette notion de paraître que l’on voit avec les influenceurs. La réussite humaine, pour votre génération, c’est d’accepter les différences et de fonctionner ensemble. Et puis, il y a urgence, parce que les comportements excessifs viennent de ma génération et celle d’avant. Donc, au bout d’un moment, il faut casser les codes, mettre les pieds dans le plat et se poser les bonnes questions.

Vous pensez que les générations d’aujourd’hui sont plus préparées, plus ouvertes ?

Ouvertes, sûrement parce que ce n’est pas une cause qui est dans une forme de matraquage médiatique. Et puis, vous avez encore les vannes ouvertes, c’est ça qui est génial ! Tandis que pour ma génération, il faut commencer à y aller au pied de biche pour enlever certaines croyances un peu stupides autour de la vulnérabilité. On est tous différents, mais on a tous des failles. Votre génération a cette responsabilité que la mienne n’avait pas quand j’avais 20 ou 25 ans. Je m’en fichais, tant que ma réussite était présente. Sauf que, à 40 ans, la volonté, c’est peut-être la transmission pour votre génération en mettant en garde sur certaines dérives.

« La prévention de la dépression reste une priorité, car c’est un sujet encore assez tabou »

La dépression est de moins en moins taboue chez les sportifs. Est-ce que vous auriez aimé aborder ce sujet 15, 20 ans plus tôt ?

J’ai voulu évoquer ce sujet à l’époque, mais le syndicat du rugby m’a fait comprendre que j’avais dix ans d’avance. Mais aujourd’hui, je n’ai pas de regrets. Si je ne vis pas tout ce que j’ai vécu, je ne rencontre pas ma femme, je n’ai pas mon burn-out, et je ne suis pas devant vous pour en parler aujourd’hui. Il faut assumer les moments qu’on a vécus. Je témoigne de cette expérience, ce que j’en ai compris, et si ça parle à certains, on en discute.

Grâce à cette expérience, vous avez créé l’association NéoHéros, qui vient en aide aux personnes ayant connu la dépression. Quels moyens allez-vous mettre en place ?

J’ai la volonté de créer un documentaire. Des capsules vidéos ainsi que des témoignages de personnes ayant souffert de dépression accompagneront ce long-format. Par ailleurs, je vais lancer une application sur laquelle les sportifs pourront venir pour se faire suivre s’ils en éprouvent le besoin. Des psychologues, des coachs et des addictologues seront présents sur la plateforme. De plus, j’envisage d’ouvrir un « lieu-tampon » dans le Sud de la France pour venir en aide aux sportifs qui en ont besoin. Mais la priorité reste la prévention, car c’est un sujet encore assez tabou. On humanise le sujet, et quand ils ressentiront ce besoin, ils pourront venir et nous leur exposerons les solutions.

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