En quelques années, Romain Bardet est devenu le plus grand espoir du cyclisme tricolore. Dans la plénitude de ses moyens, le coureur de 27 ans d’AG2R LA MONDIALE est aujourd’hui l’un des plus sérieux outsiders du grand Christopher Froome. Entretien…
Romain Bardet, la saison cycliste va reprendre dans quelques semaines. Quel est votre programme pour retrouver votre meilleur niveau ?
C’est une préparation de longue haleine, avec plusieurs mois d’entraînement qui démarrent généralement entre le début et la mi-novembre, pour des premières courses au mois de février. Pendant ces longs mois d’hiver, il faut passer par une grosse préparation foncière pour être prêt et compétitif dès les premières compétitions.
Vous avez ainsi l’occasion de retrouver vos montagnes auvergnates !
C’est vrai. Je suis un amoureux du sport et de la nature en général. Nous avons un fabuleux terrain de jeu en Auvergne, nous ne manquons pas d’activités pour nous faire plaisir et nous construire une bonne condition physique.
On imagine que la reprise doit être assez difficile après plusieurs semaines de repos…
C’est clair que ce n’est pas simple. Même si la coupure d’un mois est nécessaire pour permettre au corps de se régénérer, on perd quand même pas mal de niveau. Il faut bien trois à quatre mois pour en retrouver un qui soit convenable.
D’un point de vue mental, cette période de repos est-elle nécessaire ?
Tout à fait. Les charges de travail sont très importantes tout au long de la saison. Mentalement, c’est très prenant. On a clairement besoin de cette coupure pour s’évader un petit peu du monde du sport et retrouver 100 % de concentration quand les échéances arrivent.
Selon vos performances de la saison passée, votre programme de préparation peut-il être modifié ?
Non, pas vraiment. On reste sur les grandes bases des années précédentes. On peut bien évidemment faire quelques ajustements en fonction du ressenti et des expériences passées, mais il n’y a pas de vrai bouleversement. Quand on reprend la préparation, on est très concentré sur le volume et le foncier. Il est essentiel de garder cela pour avoir des bases solides.
Au cours des derniers mois, dans quel domaine avez-vous la sensation d’avoir progressé ?
Il n’y en a pas un en particulier. En fonction de ce que j’avais acquis en 2016, il était important de confirmer en 2017. Ce sont des points clés pour être décisif quand il le faut. L’année dernière a été très riche en expériences ; d’année en année, je continue à franchir les marches les unes après les autres. Avoir des motifs de satisfaction et de progression au fil des saisons, c’est très positif.
Quels seront vos objectifs pour cette saison 2018 ?
Dans un premier temps, ce sera de retrouver un niveau qui me permettra d’afficher des ambitions. Je ne suis pas inquiet là-dessus, mais c’est vrai qu’on part toujours d’assez loin au mois de novembre. Après, il est sûr que ma volonté sera d’être compétitif cet été pour être toujours au plus près du maillot jaune, comme j’ai pu le faire cette année. Cela demande beaucoup d’application et de travail au quotidien. Quand on est au plus haut niveau, c’est à la marge que l’on progresse, sur les détails. C’est ce que j’essaye de faire pour me renforcer et être toujours plus performant.
Dans le contre la montre par exemple ?
Oui, c’est un axe de travail, ce serait mentir que de dire le contraire. Après, ce ne sera pas non plus le principal, puisque la montagne reste mon savoir-faire et mon cœur de cible. C’est là que je suis décisif et que je peux faire des différences.
Aujourd’hui, où vous situez-vous par rapport à Christopher Froome ?
Sur les deux dernières éditions, en cumulé, je me suis clairement rapproché de son niveau sur les grosses étapes de montagne. Après, c’est vrai qu’il a une grosse équipe et une grosse maîtrise de la course. Il a gagné quatre fois le Tour de France, qui est une course en dehors du commun et qui nécessite un savoir-faire que nous n’avons pas encore. Néanmoins, je sais qu’il y a des domaines où il m’a pris pas mal de temps par le passé, comme le « chrono », et sur lesquels je peux progresser. Je ne vais pas aborder le Tour en tant que favori, mais dans la peau de quelqu’un qui a déjà apporté des garanties en tant qu’outsider et qui sera capable de bouleverser la hiérarchie. Le niveau que j’arrive à stabiliser sur les étapes décisives depuis 2014 m’apporte pas mal de sérénité. J’ai eu quelques ratés, mais je sais comment faire pour gérer le Tour. Après, l’incertitude, c’est de réussir à s’améliorer pour être à chaque fois au plus près du niveau pour gagner. C’est ce dernier petit pour cent qui te fait passer des cinq ou six meilleurs grimpeurs à celui qui sera le meilleur, et qui sera capable de faire les différences pour terminer devant ses adversaires.
Justement, quel est votre regard sur le parcours du Tour de France 2018 ?
C’est un très beau tracé, très indécis. Beaucoup de choses vont se passer dans la première partie de course ; il y aura peu de relief, mais des scénarios très dangereux entre les bordures, les pavés, etc. Ce sera très piégeux ; la réussite du Tour sera soumise à pas mal d’aléas. Mais cela reste du sport ; c’est une bonne recette pour garder l’attractivité et le renouvellement de cette course.
Un mot également sur le Tour d’Espagne, puisque vous avez disputé votre première Vuelta l’année dernière. Serez-vous de nouveau au départ le 25 août prochain ?
La Vuelta, c’était une grosse charge de travail physique et mental. Au final, pour une première, je retiens plus de points positifs que négatifs. Mais c’est vrai qu’en termes de récupération et, étant donné la fatigue que cela m’a apportée, il n’est pas évident de renouveler l’expérience chaque année. Pour le moment, je n’ai pris aucune décision. On verra en fonction du bilan de santé après le Tour de France.
Après des années assez difficiles, le cyclisme français semble en pleine évolution avec l’émergence de plusieurs coureurs comme Warren Barguil, Julian Alaphilippe et bien sûr vous-même. Qu’en pensez-vous ?
Oui, il y a une très belle génération, qui progresse d’année en année. Il y a une belle densité, une vraie émulation et une grande complicité entre nous. On est encore un peu en dessous de ce qui se fait au niveau international sur les Grands Tours ou les Classiques, mais c’est vrai que l’on avance bien. Personnellement, à 27 ans, j’arrive dans mes meilleures années, dans la plénitude de mes moyens. Je dois mettre à profit toute l’expérience du haut niveau que j’ai accumulée depuis 2014. C’est le moment d’y aller. Le cyclisme français a connu quelques années un peu plus difficiles. On ne peut que se réjouir de nos progrès, même s’il faut continuer à travailler pour progresser et avancer.
Nous retrouverons donc un grand Romain Bardet en 2018 ?
On l’espère !
> Découvrez gratuitement l’intégralité de notre numéro de janvier