Spécialiste du saut en longueur, Ronan Pallier vise le podium lors des championnats du monde de para athlétisme à Paris. Le médaillé de bronze aux Jeux paralympiques de Tokyo s’est confié sur sa préparation, sur sa longévité au plus haut niveau et sur le développement du handisport.
Comment vous préparez-vous pour les championnats du monde de para athlétisme ?
Je fais actuellement beaucoup d’entraînements pour que mon corps soit prêt pour cette échéance-là. J’ai fait un stage à La Réunion en décembre pendant deux semaines. Je vais bientôt partir à Dubaï durant quinze jours où j’effectuerai un meeting. J’enchaîne en allant au Maroc ensuite. Je ne reviendrai en France que le mois prochain. À l’étranger, je vais surtout réactiver mes chaînes musculaires et travailler l’explosivité. On va se baser sur la vitesse. Quand je serai de retour en métropole, on reviendra sur des séances lourdes. Au mois d’avril, je repars à La Réunion. Ensuite, on enchaînera les meetings en Italie. Au mois de mai, d’autres compétitions sont prévues. Au mois de juin, je serai prêt.
Est-ce que vous avez des pépins physiques en ce moment ?
C’est plutôt positif. Après, les blessures font partie de la vie d’un athlète. Mais elles doivent être enlevées dans la psychologie mentale. C’est mieux de ne pas y penser parce que ça peut amener des conséquences derrière. Aux Mondiaux, j’espère arriver au meilleur de ma forme. Même à 120 %. Ils sont importants pour se qualifier aux Jeux de Paris. Avant ces Jeux, il faut tout préparer. Il faut passer par des phases, par des paliers pour y accéder. Il faut aussi faire attention à sa nourriture et aux gens qui nous entourent. Plus les échéances arrivent, plus les abeilles viennent vers le miel. Être athlète de haut niveau, que pour une saison ou deux, être champion du monde ou champion d’Europe, ce n’est pas ça. La vraie carrière, c’est de pérenniser ses performances tous les ans.
Quel est votre objectif dans ces championnats ?
Si on n’y va pas pour jouer une médaille, ça ne sert à rien de s’entraîner autant. Je souhaite vraiment en avoir une. C’est synonyme d’un devoir accompli. Ces championnats sont aussi un levier pour l’échéance d’un an après. Le fait que ce soit à Paris va nous permettre d’avoir une organisation. On va pouvoir anticiper des paramètres auxquels on ne pensait pas et ainsi bien préparer les Jeux.
« À Paris, ce qui sera différent, c’est que les gens vont s’intéresser, médaille ou pas »
À 52 ans, vous évoluez toujours au plus haut niveau et vous continuez de gagner des médailles. Comment expliquez-vous cette longévité ?
L’envie. Je me fais plaisir dans le sport. Même lorsque j’arrêterai le plus haut niveau, je continuerai toujours à en faire. Pratiquer du sport a toujours été un jeu pour moi. Le plus haut niveau demande de la rigueur et de l’adversité. C’est ça que j’aime. Je n’ai pas de creux au niveau sportif. Je n’ai pas l’âge de mon corps. Même si j’ai plus de 50 ans, mon corps en a plutôt 35. Je pratique mes séances d’entraînement quasiment comme les valides. Si je sens le moindre gène, j’arrête tout de suite. J’écoute davantage mon corps. C’est plus un travail qualitatif que je fais et moins de quantité.
Vous êtes médaillé de bronze aux Jeux de Tokyo en saut en longueur. Avec du recul, que retenez-vous de cette médaille ?
C’était un peu une surprise. On n’avait pas forcément misé sur moi. Mais dans ma tête, j’étais sûr de faire quelque chose. Ce n’était pas plus mal pour moi d’arriver en mode outsider plutôt que leader. Les adversaires savent désormais qui je suis. Ils savent la façon dont je m’entraîne. C’est bien de montrer qu’on n’a pas peur non plus des autres.
Est-ce que cette médaille paralympique a chamboulé quelque chose en vous ou la perception du sportif que vous êtes ?
J’avais déjà eu une médaille (Ndlr : de bronze) aux Jeux de Pékin en 2008. Elle était collective, c’était dans un relais 4x100m. 13 ans après, j’arrive à décrocher une nouvelle médaille. Ce qui intéresse les gens, ce sont les performances individuelles. Personne n’avait pris en compte les relais que j’ai pu faire. Depuis que je l’ai eu de manière individuelle, c’est l’explosion. À cause du fait que le monde du handisport a évolué, des médias… On a désormais une meilleure visibilité et des demandes de partout. C’est le revers de la médaille d’être sollicité. Il faut savoir gérer ça et rester concentré en se disant qu’on est athlète avant tout. On est mis en avant un jour et le lendemain, on n’existe plus. Mais avant tout, une récompense, c’est collectif. C’est celles des entraîneurs, des préparateurs physiques, de ceux qui me suivent au quotidien. Elle m’a aussi amené un apport financier. Je ne suis pas professionnel donc c’est bien, c’est gratifiant d’avoir aussi des partenariats. À Paris, ce qui sera différent, c’est que les gens vont s’intéresser, médaille ou pas.
Les Jeux paralympiques de Paris seront doublement importants pour vous, car vous avez annoncé qu’ils seront les derniers de votre carrière. Comment les abordez-vous mentalement ?
Je vis au jour le jour. Je me dis que je serai dans une compétition, avec du monde… Les stades seront sûrement complets. Cela sera la fin de ma carrière, il y aura de l’émotion. Mais j’y pense sans y penser. C’est quand j’y serai que j’y penserai davantage. Je vais vraiment me focaliser sur la compétition. C’est l’après qui sera plus compliqué. En 2008, j’avais dit que je voulais arrêter aussi. Vous voyez ce que ça peut faire ! (rire) De toute manière, je continuerai à faire de l’athlétisme. S’ils me proposent, suivant mes performances, de faire des compétitions, je dirais oui. Je vais mettre moins d’intensité à mes entraînements donc il y aura forcément des pertes de qualité.
« C’est bien de prendre les brides, mais si c’est pour lâcher les chevaux plus tard, ça ne sert à rien »
Vous pouvez donc poursuivre votre carrière après ces Jeux ?
Je n’arrêterai pas le sport, ni de sauter. Je continuerai en mettant de côté les compétitions de haut niveau. Je n’y penserai plus, en tout cas, moins. Je ne peux même pas dire quand est-ce que je m’arrêterai officiellement. Je dis 2024, mais on pourrait toujours m’appeler pour des championnats d’Europe l’année suivante. Il faut juste que la Fédération soit intéressée. Ce n’est plus moi qui vais prendre la décision de me préparer pour ça. S’ils estiment que je vaux quelque chose au plan mondial et qu’ils m’appellent, je serai à leur disposition.
Après les Jeux paralympiques de Paris, est-ce que vous vous engagerez dans le monde sportif ?
J’espère que je pourrai développer le sport pour les déficients visuels (Ndlr : Ronan Pallier est atteint de rétinite pigmentaire). Dans ma catégorie, je suis tout seul. Si on veut vraiment construire quelque chose au niveau français en rapport avec les athlètes handisport, je pense qu’il faut faire appel à des personnes bien concernées et qui connaissent ce monde-là.
Pour Paris 2024, il y a beaucoup de choses promises. Une fois que les Jeux sont terminés, ça disparaît. Ça s’estompe très vite au bout de deux ans. Certains projets tombent à l’eau. Non. Il faut continuer derrière justement. C’est bien de prendre les brides, mais si c’est pour lâcher les chevaux plus tard, ça ne sert à rien. Je pense que ça va être un peu ça. Il y a beaucoup d’engouement, mais je ne suis pas sûr qu’il y aura de la rigueur derrière.
Il faudra des grosses performances des Français pour donner l’envie aux jeunes. Il y a un problème au niveau du développement du handisport même si le ministère des Sports fait tout pour. Il y a très peu d’offre, je trouve, et de la demande, encore moins. À la sortie de ces Jeux, j’espère que j’aurai donné envie à des jeunes de vouloir courir et sauter.
Comment les instances pourraient développer davantage le handisport selon vous ?
En octobre, la journée paralympique sur la place de la Bastille à Paris a amené beaucoup de monde. Les gens se sont intéressés. Je pense qu’on doit en faire davantage. J’espère qu’il y aura des manifestations comme celle-là avant l’été et les championnats du monde. Il faut mobiliser davantage de personnes pour que cela bouge. Il faudrait deux à trois événements dans l’année.
Vous êtes athlète, mais aussi chargé de mission pour l’accessibilité à la Semitan (Ndlr : transports en communs de l’agglomération nantaise).
Tout à fait. Je travaille pour eux concernant l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite. J’ai un contrat qui me permet de m’entraîner, de partir en stage, et de concourir. Il me libère totalement. Quand je suis dans l’entreprise, je redeviens salarié, “Ronan Pallier à la Semitan”. À la fin des Jeux, je continuerai peut-être ce métier. Je peux me mettre à la retraite à la Semitan et ensuite me consacrer à d’autres projets. Comme j’ai une invalidité, je peux partir plus tôt, à 55 ans. On verra.