À 31 ans, le skieur de bosses lyonnais, licencié depuis tout petit au club de Méribel, a raccroché les skis la semaine dernière après un long parcours semé d’embûches qu’il a toujours réussi à contourner. Avant de remonter participer à l’Enduro 3 Vallées, Sacha Theocharis se confie.
Sacha, vous voilà officiellement retraité…
Le ski de haut niveau, c’est terminé. J’ai du mal à le dire mais oui, j’ai réalisé mes 100e et 101e départs de Coupe de monde le week-end dernier. C’était à Megève, presque à la maison, quelques semaines après mes 2es JO, c’est une belle fin. J’avais un peu la peur de l’année de trop. J’ai vécu des moments très compliqués l’année dernière avec le Covid. J’ai fait un burn out, une petite dépression, j’avais du mal à donner le meilleur de moi et je n’ai pas envie de revivre ça. Et puis, il peut arriver plein de choses : une blessure, un circuit pas favorable et la dernière saison ne se passe pas vraiment comme espéré. J’ai des potes qui ont vraiment galéré, ils n’avaient plus la motivation. Moi, je pourrai dire que pour ma dernière course j’ai réussi à lâcher les chevaux à Megève. Je me suis levé le matin pour donner le meilleur de Sacha. Je termine champion de France sur l’épreuve de parallèle et 2e sur le single derrière Ben Cavet. C’est beau de s’arrêter quand on est capable de se battre avec tout le monde.
Quand vous vous retournez sur votre parcours, votre carrière, vous vous dites quoi ?
Je suis fier d’être passé à travers beaucoup d’épreuves mais d’être toujours resté au haut niveau. Cela a commencé dès le début puisque percer dans le ski en étant Lyonnais et donc citadin, c’est un bel exploit en soi. Ensuite, quand je suis entré en ski études à Moutiers, faire de la préparation physique quotidiennement en plus des cours, c’était un beau challenge, je l’ai relevé. Tout cela pendant 4 années, peu de gens autour de moi imaginaient que 15 ans après je serai toujours dans le sport. À l’époque, je ne rêvais pas de gagner les JO, je ne savais pas ce que cela représentait. J’ai découvert mes capacités plus tard que la moyenne des sportifs de haut niveau. J’ai eu le déclic à 20 ans lors de la saison de Coupe d’Europe en 2010-11, dont je finis 2e au classement général.
En 2016, j’ai été sorti du groupe de l’équipe de France. Cette saison, j’ai été capable du pire (50e en Coupe du monde) et du meilleur (8e et champion de France sur la dernière course). Malgré cela, je n’ai pas été conservé. Mes parents ont toujours été à l’écoute, ils m’ont dit : « si tu veux continuer, on trouve une solution ». Ils n’ont pas tiré la conclusion aussi vite que la FFS. Du coup j’ai appelé Fred Weiss qui avait été mon coach en Coupe d’Europe, il prenait le poste de Coupe du monde avec l’équipe suisse. Il me rappelle 3 heures après : « on te prend ». Je me suis entraîné avec la Suisse et je représentais la France en compétition.
Cela a dû donner lieu à des relations particulières.
Avec le staff de l’équipe de France, ça a été très compliqué surtout avec Ludovic Didier (entraîneur de l’équipe de France de bosses), nos rapports sont passés de très proches à totalement froids. Mais j’ai réussi sans la FFS. En 2017, quelques mois après, je fais 2e en Coupe du monde au Canada puis 4e aux Mondiaux en Sierra Nevada (sur l’épreuve de duel). Le changement a donc été un mal pour un bien même si j’en ai payé le prix fort parce que cela a généré plus de stress et d’énergie. À partir de mai 2018, j’ai créé une équipe privée avec Fred. Je suis sorti du fonctionnement traditionnel d’une équipe pour monter ma propre structure. C’est moi qui décidais tout. C’était de l’entrepreneuriat, de la recherche de sponsors, de mécènes, des gens qui aiment ton discours et ce que tu représentes. De manière générale, j’ai su m’entourer, progresser et tirer partie des situations. Même si je n’aurais pas dit non à plus de facilité, cela m’a appris à ne jamais baisser les bras, j’ai réussi à progresser. C’était une belle aventure.
Ponctuée par deux Jeux olympiques, en 2018 et 2022…
Oui, même si les Jeux, cela aurait pu se mieux passer. À Pyeongchang, j’étais de nouveau avec les Français en compétition et avec les Suisses à l’entraînement. Ce qui a donné lieu à des situations un peu bizarres : chacun des deux staffs pensait que c’était l’autre qui me donnait des infos et finalement personne ne m’en donnait. Se retrouver dans le portillon de départ en mode hybride m’a un peu coûté mentalement. À Pékin je termine 11e, comme mon classement mondial cette année. Mais en Q1 je fais 22e et pendant 2 jours je me suis mis une grosse pression. Je suis finalement sorti de ce mauvais pas, c’est une satisfaction aussi. Mais quand on est aux JO, le but c’est d’être dans le top 6 pour jouer la superfinale. Après, c’étaient des jeux en Chine. Milan-Cortina en 2026, ça me fait plus rêver. Ce sera dans un pays qui aime le ski avec de vrais spectateurs.
Pourquoi arrêtez-vous alors ?
(rire) J’ai 31 ans, j’étais le 2e plus vieux cet hiver, les jeunes poussent. J’adore la compet’ mais il y a une lassitude, c’est un mode de vie particulier avec beaucoup de voyages, on est décalé par rapport aux autres. Physiquement, c’est quand même usant. Malgré quelques blessures sérieuses (surtout fin 2018 et fin 2019), je repars en un seul morceau, je préfère m’arrêter à mon meilleur niveau. Je privilégie la vie personnelle, j’ai envie de construire. Je n’ai pas la même vie que les copains qui ont 30 ou 32 ans. C’est le moment de trouver un boulot fixe, d’avancer dans la vie tout simplement.
(il fait une pause)
Même si j’adore ce que je fais. Avoir la boule au ventre dans le money time du départ, sentir l’adrénaline qui monte, pour moi, c’est le Graal. C’est un sentiment extraordinaire, je ne sais pas si je le retrouverai un jour.
Comment s’en rapprocher le plus possible dans une autre vie ?
D’autres m’ont dit que de raccrocher c’est extra à vivre. Mais d’un autre côté, beaucoup vivent une sorte de dépression une fois qu’ils arrêtent. Il faut peut-être trouver un métier à risques avec des enjeux. Ou peut-être continuer à faire du sport de manière intensive en amateur.
Savez-vous déjà ce que vous allez faire ?
J’ai un cursus en école de commerce, on me dit qu’on me voit bien dans le conseil. Ce qui est sûr, c’est que j’aime l’entrepreneuriat. La construction, la promotion immobilière sont des domaines qui peuvent m’attirer aussi. Prendre des responsabilités ne m’a jamais fait peur, il va m’en falloir. Tout cela à la fois à Lyon et à la montagne, j’ai besoin des deux pour mon équilibre. »
Propos recueillis par Sylvain Lartaud