Séraphine Okemba : « Ce n’était pas envisageable d’arrêter le rugby »

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Victime d’une commotion avec l’équipe de France à XV lors de la tournée au Canada, le mois dernier, la joueuse du Lou, qui fêtera ses 29 ans le 3 décembre prochain, a dû prendre son mal en patience pour étrenner son statut de meilleure rugbywoman française sur les pelouses du Championnat de France. Séraphine Okemba va disputer son premier match de la saison avec le Lou, ce samedi au Matmut Stadium de Gerland contre Rennes (19 heures). Pour tenter d’oublier un peu la déception des JO dont elle avait fait un objectif de vie… mais sans cacher qu’on lui prédisait le pire après une blessure à la clavicule il y a un an. Confidences toutes en émotions et en bonne humeur.

Vous allez enfin jouer votre premier match cette saison avec le Lou, on imagine que vous avez hâte…

Oui, je suis contente, après la période olympique difficile, de retrouver le Lou et cet environnement-là dans lequel je me sens très bien. Cela fait pas mal de choses à réapprendre car je n’ai pas souvent été là l’an dernier : au niveau du projet de jeu, j’ai du travail. Mais le travail, j’aime ça ! Et puis, c’est un privilège d’évoluer au Matmut. Rennes est le premier club où j’ai évolué en première division. Je suis dans le dernier club de ma carrière au Lou et je joue contre mon premier club, c’est une belle histoire (NDLR : entre les deux, elle a joué aux Saracens en Angleterre – où elle est partie comme jeune fille au pair – avec notamment Emilie Bydwell, coach des USA qui a remporté le bronze aux JO, puis au Stade Toulousain). J’ai à cœur de jouer et effectivement, j’ai vraiment hâte.

Quelles sont les ambitions du Lou cette saison ?

Honnêtement, on est dans un cadre de luxe, tout est mis en place pour qu’on puisse performer et se qualifier pour les phases finales. Notre équipe a beaucoup de caractère et de cœur et je pense qu’il faut montrer plus cet état d’esprit-là pour aller chercher davantage de victoires. On a subi deux défaites contre Bobigny et Lille mais dans l’ensemble, dans les matches, on se crée beaucoup d’opportunités. Quand on arrivera à s’appliquer sur la finition, on peut aller loin. Personnellement, j’aimerais apporter mon expérience du haut niveau, j’ai quand même vécu quelques aventures un peu folles (rires).

Vous faites référence aux Jeux olympiques ?

Contre-performer devant 65 000 personnes en quart de finale des JO, ça a été dur à digérer (finaliste à Tokyo en 2021, l’équipe de France a été éliminée par le Canada). Notre objectif, c’était la médaille d’or. Il n’y avait pas d’autre, pas d’autre… (elle temporise) choix, en tout cas me concernant. C’est la vie, c’est le sport, il faut arriver à basculer. J’ai eu la chance de postuler en équipe de France de rugby à XV et je suis partie en tournée au Canada en basculant sur un autre objectif avec la Coupe du monde l’an prochain en Angleterre en ligne de mire.

Comment ça s’est passé pour vous ?

J’ai réalisé mes premiers pas dans le XV de France, à un poste, 3e ligne aile, que je ne connaissais pas très bien. J’ai pratiqué beaucoup de rugby à 7, peu à XV. Après les Jeux, ça m’a fait du bien de partir sur quelque chose de nouveau. J’ai tout à apprendre car les deux disciplines n’ont strictement rien à voir, le XV est beaucoup plus stratégique, et ça m’a fait du bien. Pour moi, c’est une nouvelle vie, une nouvelle page à écrire et j’en avais besoin : cela fait 7 ans que je faisais du 7, 7 ans que je voyageais à travers le monde et que je passais ma vie à Marcoussis puisque je suis sous contrat avec la FFR. Donc j’ai disputé très peu de matches avec le Lou la saison dernière, je n’ai participé à aucun entraînement. Le fait de me poser et de me concentrer sur quelque chose de nouveau me fait énormément de bien.

On sent dans votre voix que la déception des JO est très marquée. On peut même parler de traumatisme ?

Le mot traumatisme peut avoir sa place, sans pour autant que ce soit quelque chose de très grave. Je n’ai pas perdu quelqu’un mais il faut remettre les choses dans le contexte : j’ai vécu une saison compliquée, j’ai enchaîné deux opérations, de mon doigt puis de ma clavicule, et je ne savais pas si j’allais jouer les JO. J’ai énormément travailler mentalement et physiquement pour arriver au maximum de me moi-même. Quand on repousse ses limites au quotidien et que finalement, on n’a pas le résultat espéré, c’est très dur. J’ai fait le choix durant cette saison de me priver de beaucoup de choses pour me concentrer sur cet objectif-là. Quand ne vit, on ne mange, on ne dort, on ne rêve que d’une chose et qu’on ne l’a pas au bout, c’est très très dur. Surtout devant notre famille à qui on a aussi fait subir nos choix : j’ai manqué beaucoup d’événements familiaux. Et nos proches étaient aussi tristes que nous. La France entière était triste (rires). Il faut relativiser car évidemment il y a plus grave dans la vie, mais c’est quelque chose que je n’oublierai jamais.

Vous vous êtes dit que vous aviez fait tout ça pour rien ?

Au début forcément ! Je n’y croyais pas, j’étais dans le déni clairement. J’ai réalisé qu’on avait perdu quand on a joué le match pour la 5e place. Et je me suis effondrée à la fin… J’avais fait beaucoup de projets autour de cette compétition : j’ai sorti un album musical pour les Jeux, je suis en train de travailler sur un dessin animé sur les JO (sur le rugby à 7 ciblé pour les 6-10 ans et ancré sur le développement personnel). Tout ça, c’était pour la médaille d’or et rien d’autre.

Après, s’il n’y avait pas eu cet événement, je n’aurais pas mené à bien tous ces projets : ça m’a vraiment motivée et boostée. Et puis, je ne me suis jamais autant dépassée. Je ressors avec une cicatrice vraiment dégueulasse (elle montre une grosse cicatrice en haut de son torse, elle se refera opérer pour la résorber dans quelques années, à la fin de sa carrière) et même mon doigt n’est pas très beau. C’est la conséquence de mes deux opérations, notamment d’une luxation interne de la clavicule, en novembre 2023. Un cas tellement rare – dans la plupart des cas, la luxation se fait vers l’extérieur – qu’on m’a même dit que je ne rejouerai peut-être pas ! Mais je n’ai pas suivi le process classique de rééducation, je savais que je n’allais pas le suivre, je suis un peu têtue (rires). Pour moi, ce n’était pas envisageable d’arrêter le rugby. On me prédisait entre 3 et 6 mois d’arrêt mais moi, je voulais faire les JO : j’ai donc stoppé seulement 3 mois, et je suis très bien revenue. J’ai beaucoup travaillé, je me suis bien conditionnée mentalement.

Malgré ça, vous avez été élue en septembre à la Nuit du rugby meilleure joueuse française de la saison (pour la 2e fois après 2021), ça peut paraître fou par rapport à ce que vous venez de raconter ?

Oui, c’est fou. Même si je suis hyper contente, j’avoue que je ne suis pas forcément à l’aise avec ces prix parce que c’est un sport collectif. Si j’ai pu être performante à un moment donné, c’est grâce au collectif. La particularité de ce prix, c’est que le rugby féminin était englobé dans un fourre-tout dans lequel ont été mis le 7 et le XV. Je pense qu’on aurait pu séparer les deux disciplines parce qu’elles sont complètement différentes. Et évidemment, j’aurais préféré la médaille d’or que ce titre-là.

Parlez-nous de votre album « La Saison » sorti une semaine après les JO et disponible sur toutes les plateformes.

La musique, c’est ma première passion, c’est aussi mon premier moyen d’expression. J’ai commencé à jouer toute petite, j’ai aussi rapidement commencé à écrire ce que je vivais. C’était pour moi une façon d’extérioriser. Cet album raconte ce que je vis. La musique nous accompagne tous dans notre vie, quand on est triste, quand on est joyeux. Il y a un vrai côté émotionnel et c’est ce que j’ai voulu raconter sur mon parcours, sur l’avant-JO, sur le décès d’un proche, sur le style de vie que j’ai choisi. Comme pour les JO, qui sont pluridisciplinaires, il y a trois styles de musique différent dans l’album : de l’afro, un peu de pop et du piano-voix. On m’a proposé de donner des concerts mais je ne sais pas encore quand car la priorité reste le rugby. Mais pourquoi pas ! Le plus important, c’est le plaisir car je mets en place ces projets pour m’amuser. Quand j’ai une idée, j’aime en faire quelque chose plutôt que de la garder pour moi. Je n’aime pas vivre avec des regrets.

Comment vous sont venues ces deux passions, la musique et le rugby ?

On est très sport et musique dans la famille, plutôt basket. Mes parents ont pratiqué ce sport, mes 5 frères aussi (seul le dernier continue), tout comme ma cousine Myriam Djékoundadé qui a participé aux JO de Paris en 3×3 avec l’équipe de France, et ça c’était extraordinaire. Mais moi, je ne voulais pas faire comme tout le monde, surtout pas comme mes frères, j’aime bien sortir du lot (rires). J’ai donc fait de la musique et j’ai découvert le rugby au collège avec mon professeur de sports à Dreux (d’où elle est originaire), Éric Pestre, qui m’a conseillée de me lancer : c’est comme ça que j’ai commencé à 16 ans. Le piano, et la musique en général, me permet d’exprimer une forme de douceur et le rugby le côté colère, rage ou agressivité. C’est un peu mon style de jeu, d’ailleurs. J’ai beaucoup aimé ce côté combat dans le rugby, c’est ce qui m’a plu.

Propos recueillis par Sylvain Lartaud

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