Alors qu’il n’a enfilé les gants pour la première fois qu’à 17 ans, Shah Syedabbas a remporté à 23 ans, le 23 novembre 2024, son premier combat professionnel de boxe anglaise à Bangkok (Thaïlande). Le natif d’Avon (Seine-et-Marne), licencié au Centre National des Sports de la Défense (Fontainebleau, Seine-et-Marne) et étudiant en Master en parallèle de sa carrière, est revenu sur ce premier succès, son parcours et ses ambitions.
Comment décririez-vous vos débuts en boxe ? Qu’est-ce qui vous a poussé à commencer à 17 ans ?
Mes deux grands frères faisaient déjà du sport. Le plus grand s’appelle Mohamed Ali (sans lien avec le boxeur américain), et a disputé les championnats de France de MMA en 2009. Le deuxième, Yder, a deux ans de plus que moi, et était déjà inscrit à la boxe. Comme j’étais assez turbulent à ce moment-là, ils m’ont poussé à commencer, parce que dans la boxe il y a beaucoup de valeurs. Ça m’a canalisé, et ça m’a beaucoup aidé à mieux me contrôler.
Comment avez-vous été amené à jouer ce match à Bangkok ? Quel type de tournois disputiez-vous auparavant ?
Je jouais au niveau amateur, et j’avais notamment fait les championnats d’Île-de-France novices. Je les avais gagnés, et ça m’a convaincu de passer professionnel directement au lieu d’attendre plus longtemps, parce que le niveau amateur en France ne rapporte pas d’argent. Quitte à prendre autant de coups sur la tête, autant être payé un minimum ! (rires).
Je suis français d’origine pakistanaise, ce qui m’a permis de recevoir une invitation pour disputer ce fameux match dans le cadre de la WBC Asie (la WBC est la ceinture la plus prestigieuse en boxe anglaise). Ça pouvait être partout, en Turquie, en Arabie Saoudite, à Dubaï, et ce jour-là c’était à Bangkok. Mon adversaire avait beaucoup plus d’expérience que moi et je n’étais pas favori, donc ma victoire a marqué les esprits là-bas, avec le KO le plus rapide de la soirée.
“Que je stresse ou non, le combat allait avoir lieu, donc autant donner le meilleur de moi-même et essayer de laisser ma marque”
Qu’attendiez-vous de ce combat avant de le disputer ? Y voyiez-vous une opportunité de vous distinguer, ou simplement une bonne expérience à prendre ?
Je le voyais vraiment comme une opportunité de marquer les esprits. L’expérience, on peut l’engranger en France, ou n’importe où ailleurs. Là, c’était un événement international, beaucoup de promoteurs de différents pays étaient présents, donc je me suis dit que c’était le moment de faire une forte impression, malgré le fait que ce soit mon premier combat professionnel et que je ne sois pas favori. Tout le monde voyait mon adversaire gagner, puis c’est finalement allé très vite puisque j’ai remporté le combat en 30 secondes.
Que ressentiez-vous avant d’entrer sur le ring ? Étiez-vous confiant ou stressé par l’expérience de votre adversaire ?
J’étais calme, je ne stressais pas, j’étais surtout excité. J’ai eu mon frère Yder au téléphone avant le combat pour m’aider par rapport à ça, il est comme un préparateur mental pour moi. Que je stresse ou non, le combat allait avoir lieu dans tous les cas, donc autant donner le meilleur de moi-même et essayer de laisser ma marque.
Comment avez-vous géré ce moment pour remporter la victoire en seulement 30 secondes ?
Lui aussi voulait marquer les esprits, il cherchait le KO dès le premier round. Je suis resté patient, et j’ai vu une ouverture au niveau de sa mâchoire. Dès que je l’ai touché, j’ai compris qu’il était atteint, et là, je n’ai pas hésité et j’ai terminé le travail. J’ai saisi ma chance, je ne voulais pas que ça dure longtemps.
Qu’est-ce que cette victoire change pour vous ?
Des promoteurs m’ont repéré, donc je vais avoir d’autres combats professionnels à disputer. En rentrant comme ça dans le milieu professionnel, on tape à l’œil de beaucoup de monde : premier combat, KO au premier round, 30 secondes… Des promoteurs et des équipes ont voulu que je signe avec eux directement à Bangkok, mais pour l’instant ça ne m’intéresse pas. Je préfère avoir des opportunités de participer à d’autres événements internationaux, et essayer encore de marquer les esprits !
Vous attendiez-vous à de telles retombées médiatiques ?
Pas du tout ! Je pensais que j’allais rentrer, repartir à l’entraînement, et reprendre ma routine. Je fais quand même tout ça, mais je ne savais pas que ça allait prendre autant d’ampleur.
“Je fais un footing ou je vais à la salle avant d’aller en cours, puis j’ai entraînement de boxe quand la journée est terminée”
Vous vous entraînez au CNSD (Centre National des Sports de la Défense)…
Oui, et aussi à l’USM Melun. J’ai commencé au CNSD, j’y ai appris la boxe et ses valeurs, je m’y suis constitué un bon bagage technique. À Melun, c’est plus centré sur l’intensité, on boxe vraiment dans le rouge, on y va à fond. Les deux structures se complètent très bien.
Vous suivez en parallèle un master CCA. Comment parvenez-vous à jongler entre vos études et vos entraînements intensifs ?
Le matin, avant de prendre le train pour aller en cours à Paris (il habite à Avon en Seine-et-Marne), je vais faire un footing ou je vais à la salle. J’y fais de la musculation, du renforcement musculaire. Puis le soir, dès que la journée est terminée, j’ai entraînement de boxe. Mais comme je n’ai pas trouvé d’alternance pour mon master, je vais devoir l’arrêter en janvier, et je le reprendrai en septembre après avoir trouvé une alternance. J’ai commencé à chercher trop tard pour cette année, je vais m’y prendre plus tôt cette fois-ci.
Quelles autres contraintes rencontrez-vous ?
Le plus compliqué, c’est quand un combat approche. La préparation est fatigante et surtout, le régime alimentaire est difficile à suivre, ce qui joue sur le mental. À midi, quand je suis à l’école, je ne peux pas manger ce que je veux. Je ramène donc une gamelle de chez moi, avec un pavé de saumon ou de thon, accompagné d’épinards ou de haricots verts. Je dois perdre du poids, donc je privilégie vraiment les légumes verts et le poisson. Tout ce qui est pâtes, viande, j’arrête, et je bois bien sûr beaucoup d’eau.
Quelle importance accordez-vous à vos études dans un sport où la stabilité financière est incertaine ? Que souhaitez-vous faire à l’issue de celles-ci ?
Les études me construisent une sécurité. À la boxe, la blessure peut arriver à n’importe quel moment. Je n’ai pas envie de devoir tout recommencer à zéro, aller à l’usine ou reprendre les études si je me blesse un jour. Je préfère avoir un master, et pouvoir me dire j’ai une route de sécurité, un parachute qui me donne de quoi atterrir si je tombe. Ça me permet de me donner à fond dans la boxe.
“C’est comme une entreprise, il faut se vendre pour rentrer dans les grands événements”
Quel est votre programme dans les semaines à venir ?
Au niveau professionnel, on ne peut pas combattre toutes les semaines. Il y a un règlement, qui permet de combattre tous les deux ou trois mois, il n’y a pas de saison. Un boxeur professionnel est comparable à un auto-entrepreneur : on est seuls, avec un manager, une équipe, un entraîneur… On répond à des propositions de combat, et on doit négocier la bourse qui va avec. C’est vraiment comme une entreprise, il faut se vendre pour rentrer dans les grands événements. L’idéal est d’y affronter un adversaire mieux classé que nous, pour pouvoir progresser rapidement au classement.
Avez-vous déjà cette équipe autour de vous ?
Mon frère Yder, en plus de m’aider sur le plan mental, a un master en droit, donc il m’assiste sur tout ce qui touche aux contrats par exemple. Il gère aussi un peu mes réseaux sociaux. Plus globalement, j’ai une famille qui est bien structurée et qui me structure bien aussi.
Quel rôle joue-t-elle dans votre parcours ?
Mes deux grands frères sont bien sûr à fond derrière mes projets. Mes parents sont un peu plus dans la retenue, parce que ce sont des parents et qu’ils ont peur pour leurs enfants (sourire). Même lorsque je gagne un combat, ils vont penser à l’adversaire, et se dire que ça aurait pu être moi. Mais ils me soutiennent évidemment, et font preuve de beaucoup de compréhension et de compassion.
Y a-t-il des boxeurs ou d’autres figures qui vous ont inspiré ?
Dans la boxe, Mohamed Ali. C’est lui qui a mis de la lumière sur la boxe, qui n’était pas aussi connue avant. Plus récemment, j’aime beaucoup le russe Artur Beterbiyev, qui compte 21 victoires dont 20 par KO. Il y a aussi l’ukrainien Oleksandr Usyk, champion du monde des poids lourds. Pour ces deux derniers, j’ai beaucoup regardé leurs combats, ils sont à la fois durs et intelligents dans leur façon de boxer. En dehors de la boxe, je peux citer l’écrivain Nicolas Machiavel. J’ai particulièrement aimé son livre “Le Prince”, qui m’a beaucoup inspiré !