Produit par Julie Gayet, le documentaire « Les joueuses #paslàpourdanser » était présenté en avant-première à Lyon et sort partout en France cette semaine… soit quelques jours après la 5e victoire d’affilée de l’OL féminin en Champions League. Sa réalisatrice nous parle de ce « Les Yeux dans les Bleus » en version féminine.
Pouviez-vous espérer meilleur timing pour la sortie de votre film ?
Ce n’était pas la date prévue puisque le film devait sortir avant le confinement, c’est parfait effectivement. Les gens ont même du mal à y croire.
Dans votre film, on ne retrouve pas les coulisses de la victoire en finale face à Wolfsbourg…
Non, j’ai filmé la dernière saison et donc la 4e victoire de suite en Ligue des champions, en 2019 contre Barcelone. Le film suit plusieurs mois de la fin de saison dans toutes les compétitions. C’est une plongée dans cette équipe et une découverte des individualités qui la composent. Ce que je cherche à raconter, ce n’est pas qui marque le but, fait la passe décisive, tout ça je m’en fous. Ce qui m’intéresse, c’est la dimension sociale qu’il y a dans le sport. Je raconte la vie d’une équipe de sport mais les joueuses sont aussi représentatives de plein d’aspirations féminines. Le football, c’est le sport le plus médiatique et le plus populaire. Quelque part, c’est celui qui représente le mieux une photographie de la société à un moment donné. S’intéresser à une équipe de femmes qui gagne tout, c’est aussi s’intéresser à la place des femmes dans la société aujourd’hui.
Quel est votre regard sur la polémique qui s’en est suivie à propos de la place des femmes dans le sport ?
Certes, le choix de la Une de L’Équipe est fâcheux mais il tient avant tout à des intérêts financiers dans la mesure où le journal fait partie du même groupe qu’ASO, la société organisatrice du Tour de France. C’est plus lié à cela qu’à une question de genre : toutes les autres années, les filles de l’OL étaient en Une quand elles ont gagné ou même avant leurs finales. C’est donc un peu un raccourci que de faire à L’Équipe un procès en misogynie.
Et sur les inégalités de salaires ?
Les filles ne veulent pas le salaire de Ronaldo ou de Messi. La médiatisation de leur sport n’est pas la même pour le moment. Ce qu’elles veulent, c’est qu’on leur accorde le même respect qu’on en accorde aux hommes et qu’on n’arrête de leur dire : « Ah tu joues au foot mais normalement, ce n’est pas un sport de garçon ». Cela, ça les saoule.
Quel est l’objectif de votre film ?
Justement, c’est de montrer qu’il n’y a pas de différences entre filles et garçons. Les filles travaillent de la même manière et peuvent aussi jouer au foot. Si une petite fille veut jouer au foot, son choix doit être assumé par son entourage. L’idée du film, c’est de montrer que les jeunes filles peuvent avoir des joueuses comme modèle. Les meilleures joueuses du monde sont à Lyon, ce sont de vraies professionnelles et travaillent dans les mêmes conditions que les garçons. Elles peuvent s’identifier à elles et embrasser le rêve de réaliser la même carrière. Eugénie (Le Sommer) disait qu’elle voulait, petite, ressembler à Zidane. Aujourd’hui, une petite fille va pouvoir se dire : « Je veux être comme Eugénie ou comme Wendie (Renard). » Ce qui serait encore mieux, c’est que des petits garçons aient comme modèle des joueuses ! (rires)
Comment vous est venue l’idée de ce film ?
Pendant la Coupe du monde 2018, je me suis dit qu’il était temps de réaliser un « Les Yeux dans les Bleus » en version féminine. Je suis donc allée voir Julie Gayet, avec qui j’avais déjà travaillé pour mon précédent film « The Ride », et en plus je savais qu’elle aimait beaucoup le foot. C’était la première année du Ballon d’Or féminin, on s’est dit que c’était le bon moment. On a rencontré Jean-Michel Aulas qui nous a dit qu’il nous ouvrait les portes de son club.
Comment s’est passé le tournage ?
Ce que je cherche dans mes films, c’est à me plonger dans un groupe et à disparaître pour les filmer comme elles sont, leurs conversations, des moments dans les vestiaires, des déjeuners. Ce que j’ai recherché, c’est à faire ressortir l’essence de ce qu’elles sont. Je ne leur demandais rien, elles n’avaient pas à jouer quoi que ce soit.
Avez-vous été soumise à des contraintes ou à des difficultés ?
Oui mais certaines liées au calendrier d’une footballeuse professionnelle, à ses engagements et au fait que se profilait la Coupe du monde. Elles avaient très peu de temps libre et c’était compliqué de trouver un moment pour les voir toutes seules. Mais le vrai problème, ce sont les droits télé : pour filmer chaque match, il fallait obtenir l’autorisation de la chaîne qui en détient les droits avec une marge de manœuvre très restreinte. Ça, c’était un enfer ! Tout s’est bien passé finalement mais il a fallu se battre.
Avez-vous fait des découvertes ou eu des surprises durant le tournage ?
Ce qui m’a le plus marquée, c’est leur mental et leur côté compétitrice et en même temps leur plaisir de jouer. Elles se tirent la bourre tout le temps, veulent en permanence gagner à l’entraînement contre leurs coéquipières, mais en même temps elles s’amusent et sont super solidaires. Alors oui, certaines s’entendent mieux avec les unes qu’avec les autres mais en même temps il y a un truc hyper transversal : elles forment une équipe et c’est ça le secret de leur réussite. En fait, tout au long du tournage, je me suis demandé si c’était pareil chez les garçons (sourire).
Vous avez l’accord de Jean-Michel Aulas pour tourner le même film avec les garçons ?
(sourire) Non, peut-être que je devrais mais je n’oserais pas le lui demander. Je crois que ce serait trop compliqué…