Elle est finisher du Marathon des Sables ! Cette Lyonnaise (et bientôt Grenobloise) de 35 ans est venue à bout des 252,8 km, la plus longue distance chronométrée dans cette épreuve, en 45h04’38 ». Mais au-delà du chrono, c’est l’épopée incroyable qu’elle a vécue, humainement et émotionnellement, que Tiphaine Vuarier raconte au téléphone, quelques jours après la course, en direct du Maroc où elle a choisi de rester un peu pour « atterrir en douceur », confie-t-elle.
Une aventure dans le désert, c’était une première pour vous ?
J’avais déjà vécu 40 jours dans un désert à l’occasion d’une expédition scientifique qui s’appelle DeepClimate. Pour comprendre les capacités d’adaptation de l’être humain quand il fait face à une crise, je suis partie avec 19 autres femmes et hommes réaliser des protocoles scientifiques en Guyane, en Laponie et donc Arabie saoudite en juin 2023, dans le désert du Nefoud avec des températures ressenties jusqu’à 56 degrés certains jours. Vivre dans cette chaleur et avec cette sécheresse m’a permis de connaître l’environnement et savoir par où passer et où marcher sur le sable : ça m’a beaucoup servi durant le Marathon des Sables quand il fallait franchir les dunes et que plusieurs concurrents étaient passés devant. J’avais une lecture plus rapide du terrain et j’allais chercher le sable plus dur pour me fatiguer beaucoup moins en marchant.
Que retenez-vous ?
La première chose qui me vient à l’esprit, c’est cette puissance humaine qu’on ressent au cœur du Marathon des Sables : on est très rapidement frères et sœurs de sable entre coureurs. Il n’y a aucune compétition, c’est avant tout de la solidarité et de la fraternité. C’est une grande famille, c’est fou à vivre, ça donne des frissons. Et puis, il y a un échange très fort avec les bénévoles qui sont absolument incroyables, ils ont un engagement sans faille, ils s’investissent à 1 000 % dans ce qu’ils font et sont présents à nos côtés pour que ça se passe le mieux possible pour nous. Sans oublier l’équipe médicale qui fournit aussi un travail formidable. Humainement, c’est génial à vivre, c’est très fort. Les moments où dans une vie on vit des choses aussi puissantes se font rares. On retrouve vraiment l’amour de son prochain, c’est très beau à vivre. J’en ai encore des frissons quand j’en parle maintenant.
Quelques jours après la fin, vous êtes toujours sur votre petit nuage ?
Je ne cesse de penser en permanence au Marathon des Sables, matin, midi et soir. Je vis le Marathon des Sables, j’ai besoin de regarder les photos, les vidéos, de rester imprégnée de ce Marathon. On est encore en relation avec les membres de ma tente – on est 8 par tente – on échange beaucoup et aussi avec certains bénévoles avec qui j’ai vraiment sympathisé. Je suis encore complètement immergée. Après avoir visité la côte, je me suis posée à Rabat pour me remettre dans le bain des grandes villes et je rentre en France cette semaine. Mais je suis plutôt inquiète de mon retour car ça va être très compliqué émotionnellement. Je serai prête à repartir dans le désert et recourir un Marathon des Sables (rire).
À ce point-là ?
Oui, car c‘est tellement beau ce qu’on vit. Et puis le désert vous envoûte et vous emporte à la fois. Il y a eu un réel plaisir d’évoluer dans ce milieu-là et une envie profonde d’y retourner déjà. On m’avait dit que j’aurais un contre physique après mais en fait je suis tellement baignée par toutes les émotions très positives que mon corps me semble en pleine forme : je n’ai aucune douleur, mes pieds ont été épargnés par les ampoules. Le lendemain, j’étais très essoufflée en montant les escaliers et j’ai eu besoin de me reposer totalement une journée sur la plage mais là, 6 jours après, je suis vraiment prête à repartir courir un Marathon des sables (rires). En tout cas, si on me dit : « Tiphaine, on est repartis », je signe tout de suite.
Et pourtant, l’exigence du désert vous a fait vivre quelques frayeurs durant cette épopée. Racontez-nous.
Au début, je ne voulais pas me mettre de pression sur le classement car je partais dans l’inconnu en termes de vitesse de course dans le désert. Je voulais vraiment y aller à la sensation. Au terme des 2 premières étapes (de 31 et 41 km), j’ai compris que je pouvais finir entre les 200 et 300 premiers : j’avais des très bonnes sensations donc j’ai commencé un peu à me prendre au jeu. La 3e étape, c’est la plus longue : les 50 premiers kms se sont bien passés, je ne subissais pas la chaleur. Et puis au 54e km, j’ai eu tout à coup un problème d‘estomac, je n’arrivais plus à m’hydrater ni à m’alimenter. Je m’arrêtais régulièrement pour tenter de boire une gorgée d’eau que j’avais parfumée avec du thé vert pour que ça passe mieux. Mais ça n’allait pas, il faisait encore chaud, il était 18 heures, je me suis dit que le but était de rejoindre le prochain checkpoint à 10 km. En arrivant, je n’étais pas bien : je pleurais, je sentais qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas mais je ne comprenais pas pourquoi. L’équipe médicale m’a prise en charge, je n’avais pas d’hypoglycémie. Ils m’ont donné du Coca pour me régénérer et m’ont donné un apport en sel. Là, j’ai commencé à frissonner, j’avais de la fièvre, je faisais en fait une hyperthermie. Ils m’ont mise dans quelque chose de très spécial (rires) : un sac mortuaire rempli d’eau froide et de glaçons pour faire baisser au maximum la température.
Vous êtes donc passée tout près de la mort, si l’on peut dire.
(rires) Ce sac a été salutaire pour moi. Et surtout, j’ai été prise en charge par Laura qui, dans la vie, est infirmière à Grenoble. Je la remercie encore car elle a réalisé un travail formidable. Elle a pris soin de moi avec beaucoup de patience, d’humanité et de prévenance. Au bout d’une 1h10 dans le sac, ma température a baissé, j’ai eu le feu vert pour reprendre la course très doucement : il restait 20 km, j’ai dû faire un nouveau point sur ma température au checkpoint suivant, 8 km après. Je suis arrivée à 2 heures du matin au terme des 85 km de cette étape, en courant parce que j’avais besoin de m’exprimer sur ce dernier km.
Et le lendemain ?
Je suis repartie mais en n’étant pas très confiante, craignant une nouvelle hyperthermie. Finalement, au dernier checkpoint de cette 4e étape (43,1 km), on m’a rassuré sur mon état et on m’a dit que je pouvais y aller à fond : et là, j’ai couru avec beaucoup d’envie et beaucoup de plaisir de retrouver toute ma condition physique. Sur les deux dernières étapes de 31 et 21 km, je me suis dit que j’allais mettre dans chaque pas toute l’énergie reçue de la part des bénévoles, de Laura, des personnes qui m’ont aidée à préparer ce projet : je ne pouvais pas lâcher. Et je voulais rattraper au classement les 2 heures de retard prises lors de ma prise en charge ! J’ai donné tout ce que j’avais pour les remercier. Je suis revenue exténuée de la 5e étape. Et sur la dernière étape, j’ai grappillé tout ce que je pouvais pour finir par quelque chose de beau et de propre.
Vous êtes passée par tous les états physiques et émotionnels…
C’est aussi ça la magie du Marathon des sables, on passe par toute la palette d’émotions que la vie nous offre. On puise au fond de nous et on s’entraide : sur la 4e étape, j’étais en pleine forme et je vois Maxime qui était un peu à la peine ; je lui fais une petite tape dans le dos et je lui dis : « allez go, go, go ». En fait, il m’a accrochée, il s’est mis derrière moi et après à côté de moi, j’ai compris qu’il voulait qu’on finisse ensemble. On a couru les 5 derniers km côte à côte, on s’est pris la main, on a sprinté sur les derniers km. C’est aussi ça la puissance du Marathon des sables : il y a un soutien entre nous, c’est vraiment incroyable à vivre.
Finalement, le résultat sportif passe au second plan dans ce genre d’épopée ?
J’aurais pu espérer une 250e place si je n’avais pas eu l’hyperthermie : j’ai perdu 100 places. Mon objectif à la dernière étape était de passer sous la barre des 300 et j’ai fini 301e donc il y a un petit sentiment de frustration mais j’ai vraiment donné tout ce que j’ai et je n’ai pas de regret par rapport à ça. En fait, j’avais deux objectifs principaux en participant. Le premier était de finir le Marathon des Sables, ça c’est bon. Le deuxième, c’est de représenter l’association Mécénat Chirurgie Cardiaque pour récolter des fonds pour opérer un enfant du cœur. Je me suis liée à cette cause à travers mon métier de psychomotricienne. Le projet est d’utiliser mon cœur en bonne santé pour opérer un petit cœur malade. J’ai ouvert une cagnotte en ligne sur www.coeursdessables.fr pour récolter des dons, elle est encore ouverte. Il faut 12 000 € pour opérer un enfant du cœur et on est à 3 400 €. L’association qui a déjà opéré 4 000 enfants depuis sa création en 1996 a reçu le label Don de confiance ; cela permet d’obtenir une réduction d’impôt de 77% : un bon de 50€ par exemple ne coûte que 12,50€ après la réduction fiscale.
Aviez-vous déjà couru un marathon avant ?
J’avais déjà couru le marathon de Paris, en octobre 2021. J’avais trouvé qu’il y avait aussi une belle énergie humaine mais sur le Marathon des Sables, ce qui est plus fort à vivre, c’est l’échange avec les autres coureurs le soir au bivouac : on a croisé quelqu’un pendant la course, on a fait un bout de chemin ensemble lors de l’étape et le soir on se retrouve, on se demande si tout va bien, il y a vraiment un esprit de famille. L’autre grosse différence, c’est que tous les matins, il faut retourner au turbin (rires). Il faut gérer cela sur 6 étapes, ne pas trop se cramer au début pour avoir de l’énergie à la fin et avoir une bonne gestion de l’alimentation et de la récupération. Au lendemain de l’étape longue de 85 km, il y a 43 km au programme : c’est en plus qu’un marathon, cela demande une préparation, un conditionnement et une réflexion de la course bien différents d’un marathon classique. Pour me préparer, j’avais notamment parcouru 150 km de Granville à Saint-Malo sur 3 jours pour apprendre à courir sur du sable avec un sac chargé du même poids que pour le Marathon des Sables : environ 9 kg au départ de chaque étape en comptant l’eau.
Quel conseil pourriez-vous donner à quelqu’un qui a envie de participer ?
De foncer… mais pas la tête baissée ! (rires) Il faut avoir conscience que c’est un engagement physique et mental mais ça vaut vraiment le coup d’y participer. On m’avait dit : « tu verras, c’est une expérience qui change ta vie ou qui marque ta vie ». Qui a changé ma vie, je ne sais pas encore mais qui a marqué ma vie, ça c’est sûr. Et ça vaut le coup de déployer toute son énergie et de pleinement s’investir pour vivre ces 7 jours vraiment incroyables. Il faut aussi se dire que 90 % des marathoniens marchent et courent, seulement 10% le font uniquement en courant. Cela rend l’événement accessible à tous à partir du moment où on se prépare bien et après, sur le terrain, on se laisse porter par cette magie humaine qui nous aide à avancer mètre après mètre.
Quel est votre prochain défi ?
En attendant de pouvoir retourner dans le désert – j’aimerais beaucoup être bénévole sur le prochain Marathon des sables et j’aimerais aussi suivre une caravane de touaregs sur plusieurs jours au cœur du Sahara – je vais m’installer sur Grenoble près des montagnes. J’aspire à une vie un peu plus tranquille dans les prochaines semaines après 8 mois de préparation intense. Je me reconvertis dans l’événementiel sportif solidaire, toujours dans le but de récolter des fonds et faire connaître une cause. Les projets vont venir très rapidement : le premier, c’est de relier à vélo la première commune par ordre alphabétique de France, Aast, qui se trouve dans les Pyrénées-Atlantiques, à la dernière, Zuytpeene, qui se trouve dans le Nord : soit une diagonale d’environ 1 000 km !
Propos recueillis par Sylvain Lartaud