Dimanche 7 novembre, Clara Fortin et Martin Louchart prendront le départ de la Transat Jacques Vabre à bord du bateau Randstad-Ausy, dans la catégorie Class40. Rencontre avec ce duo pas comme les autres, bien décidé à faire souffler un vent de jeunesse lors de cette aventure extraordinaire.
L’aventure, c’est l’aventure ! « Nous sommes prêts. Le bateau est au Havre depuis 10 jours, ça commence à être long, donc on a hâte de partir, hâte d’en découdre et hâte d’aller traverser tous les deux l’océan. » Clara Fortin, sourire dans la voix, attend le dimanche 7 novembre, 13h27, avec impatience. C’est l’heure à laquelle sera donné le départ de la Transat Jacques Vabre 2021. Le début d’une expérience humaine et la concrétisation d’un projet qui a nécessité une implication sans faille de la part de Clara Fortin et Martin Louchart. « La préparation a duré presque un an. Ça a commencé avec huit mois de recherches pour trouver un partenaire. C’est au mois de mai qu’on a commencé à avoir les premiers contacts avec Randstad, et cela a découlé sur une entente Randstad-Ausy au mois de juin. A partir de là, tout s’est accéléré parce qu’il fallait mettre le bateau aux couleurs, et se qualifier pour la Jacques Vabre, ce qu’on a fait lors de la Rolex Fastnet Race. Ensuite, on a enchaîné des entraînements et des chantiers pour fiabiliser le bateau. Le tout condensé en quatre mois. On n’a pas chômé ! »
A bord du Class40 Randstad-Ausy, Clara (26 ans) et Martin (19 ans) forment le plus jeune duo mixte de la course. Mais pas le plus inexpérimenté. « Je ne suis pas la plus jeune concurrente, en revanche, c’est la deuxième édition consécutive où Martin est le plus jeune. A 19 ans, il y a déjà un peu de bouteille, et c’est quelqu’un de très réfléchi. Nous sommes les plus jeunes, mais pas les moins expérimentés, donc on a notre carte à jouer. Grâce à notre jeunesse, on va pouvoir un peu moins se reposer, et être un peu plus dans l’attaque. C’est intéressant, on a un vrai positionnement sur cette course », explique Clara. Une jeunesse qui s’espère compétitive mais ne se voit pas encore triomphante. « On a un gros, gros objectif, c’est de terminer, d’arriver en entier et que le bateau soit en super état. On sait que la concurrence est très élevée cette année en Class40, il y a 49 bateaux au départ, dont de vrais champions. On n’a pas la prétention de dire qu’on va aller taper le haut du classement, mais nous sommes des compétiteurs, donc on va quand même essayer. On sait que notre bateau est performant, mais nous sommes jeunes et nous avons encore beaucoup de choses à apprendre. »
« Même quand on souffre d’hémophilie, on peut réaliser ses rêves »
L’idée de prendre le départ de cette course est née il y a deux ans. « C’était juste avant la première transat de Martin, juste avant le départ. Cela faisait six mois que je travaillais pour Martin, c’est là où notre complicité est née. On s’entraînait ensemble, et je pense qu’on s’est plus entraîné ensemble que Martin ne s’est entraîné avec son co-skippeur, qui travaillait et n’avait pas autant de temps disponible. C’est vrai que lorsque Martin est parti, ça m’a fait un peu mal. J’avais travaillé sur ce projet comme si c’était le mien, et je me retrouve sur le Zodiac à devoir rentrer chez moi. A ce moment-là, on s’est dit que la prochaine était pour nous et qu’il n’était pas question de travailler avec quelqu’un d’autre », se souvient Clara.
Pour briller lors de cette quinzième édition de la Transat Jacques Vabre, le jeune duo s’appuiera d’abord et surtout sur son talent. Mais il peut compter sur un petit plus, une connaissance parfaite de l’autre. Et pour cause, puisque Clara et Martin vivent d’amour et d’eau salée. « On s’est d’abord connu dans le monde dans la course au large. On ne s’est pas mis ensemble avant de se dire qu’on aimerait faire une aventure, de la voile ensemble », explique Martin. « On arrive vraiment à faire la part des choses, prévient Clara. Quand on navigue tous les deux, nous sommes vraiment coéquipiers. Il y a les sentiments en plus, on a envie de faire plus attention à l’autre, mais on reste des marins, avec chacun son expérience. Et on s’est dit que c’était opportun de mettre nos expériences en commun. Je pense que notre couple est un vrai atout pour cette compétition. On se connaît par cœur. Quand Martin voit que je suis grognon, il me fait à manger. Quand je vois que Martin commence à dire des bêtises, c’est qu’il est fatigué. On se connaît par cœur. C’est une vraie force de bien se connaître. »
La force d’une jeunesse expérimentée, la force d’une belle complicité, la force, aussi, apportée par un combat important menée par Clara. La Normande doit en effet composer avec l’hémophilie, une maladie rare de la coagulation. « C’est une maladie héréditaire. J’en souffre depuis toute petite, mais j’ai été diagnostiquée hémophile à l’âge de 8 ans. A l’époque, je faisais déjà beaucoup de sport, j’étais déjà très casse-cou. Mon père, quant à lui, a été diagnostiqué très tard et il a joué au rugby toute sa vie. Comme on faisait déjà plein de choses, on s’est dit « pourquoi arrêter maintenant ? » Evidemment, cela effraie un peu la Commission médicale de la course, mais on s’est mis en bonne condition. J’ai un hématologue qui me suit, et je suis complètement autonome avec la maladie. Je sais exactement quels sont les risques. Je sais également me traiter parce que les médicaments, c’est en intraveineuse. Je sais faire mes intraveineuses toute seule. Martin a aussi appris à les faire il y a un mois. Nous sommes complètement autonomes et on a rassuré la commission médicale. C’est pour ça qu’on peut prendre le départ. On a aussi la chance que Randstad et Ausy aient intégré la démarche de mise en valeur de l’Association française des hémophiles (AFH). On a ainsi pu mettre le logo de l’AFH sur le bateau, c’est quelque chose qui me tient très à coeur. Je veux montrer que même quand on souffre d’hémophilie mineure, on peut tout à fait réaliser ses rêves. Avec Martin, nous voulons véhiculer cette idée. Il faut absolument démocratiser l’hémophilie des femmes pour avoir une meilleure prise en charge. C’est même un double combat, car il y a aussi celui de valoriser les femmes dans la course au large », explique-t-elle.
« On ne laisse pas nos familles dans l’angoisse la plus totale »
L’hémophilie qui s’invite à bord du bateau, c’est un élément à prendre en compte, mais qui n’entraîne pas de peur particulière pour le duo. « Nous sommes attentifs à ça, c’est dans un coin de la tête, c’est sûr. Mais Clara sait ce qu’elle fait et elle sait se gérer seule. Moi, je peux être l’assistant si besoin. Après, au quotidien, on ne pense pas tout le temps à cela, ça nous arrive même d’oublier. Pendant la course, nous sommes en contact permanent avec les médecins, et avant de faire quoi que ce soit, on doit avoir leur autorisation », raconte Martin. Tout est sous contrôle avant le grand départ de la course. Clara et Martin s’élanceront avec détermination en direction de la Martinique. Dimanche après-midi, les plus stressés seront certainement les parents. « Ils ne s’habituent jamais, remarque Martin. Mais la voile peut rassembler. Moi, par exemple, avant ma première transat, mes parents, qui sont séparés, ne se parlaient pas. Ma première transat les a rassemblés. Maintenant, ils mangent ensemble. J’aime le fait que la voile puisse rassembler, ce sentiment de cohésion. C’est aussi le cas avec nos parents à tous les deux. » Clara en convient : « Mon papa fait du bateau, il connaît la course. Quand la maman de Martin est un peu inquiète, elle n’hésite pas à envoyer un message à mon père. Et ça, c’est hyper rassurant. Ça nous permet de partir dans de bonnes conditions, en se disant qu’on ne laisse pas nos familles dans l’angoisse la plus totale. »
Les parents auront certainement l’occasion d’échanger pendant la course. Et le dialogue devrait se poursuivre pendant un bon moment, car les deux marins ont des rêves plein la tête. « Mon rêve, c’est de faire le tour du monde, sur n’importe quel bateau. J’ai envie de parcourir le monde, le bateau est un moyen de locomotion extraordinaire. Et cet univers est dingue, il y a des gens dingues, les bateaux commencent à être de plus en plus fous. On parle de bateaux qui font le tour du monde en un mois. J’aimerais faire partie de ce genre d’aventure en équipage, pas en solitaire », détaille Clara. « Moi aussi, j’aimerais faire un tour du monde en équipage réduit. Et la course en solitaire m’attire aussi, un petit Vendée Globe, ce serait pas mal », enchérit Martin.
Simon Bardet
Crédit photo : Laurent Travert