En proie à de grosses difficultés psychologiques, l’expérimenté gaucher montpelliérain ne se sentait pas prêt à honorer une sélection en équipe de France au printemps dernier. Requinqué, délesté du poids du brassard de capitaine, il sera l’un des atouts des Bleus lors du Mondial de janvier en Pologne et en Suède.
L’image que renvoie le miroir est-elle bien réelle ? Celle d’un colosse, combattant inépuisable, capitaine endurci, invincible. Valentin Porte a longtemps porté cette étiquette du champion absolu. Inébranlable. Sa frustration et la puissance des mots choisis pour la décrire après la finale olympique perdue à Rio de Janeiro face au Danemark en 2016 témoignent d’un caractère entier, mais racontent surtout sa passion immense comme sa soif d’idéal. « Je crois que je n’oublierai jamais, nous confiait le gaucher. Ce moment restera douloureux des mois, peut-être des années. Je revois ce podium de Rio. Le premier, à ma gauche, c’est Niklas Landin. Il sourit. Je me demande pour qui il se prend. Mais il est champion olympique et moi je ne suis que médaillé d’argent. L’équipe était prête. Elle était au-dessus. Elle s’est écroulée. Physiquement. Psychologiquement. Je me suis écroulé et je ne l’accepte pas. Dans le vestiaire, des voix ont commencé à s’élever pour dire qu’il fallait être fiers de notre parcours, que l’argent, finalement, ça n’était pas si mal. Mais je n’étais pas venu pour ça. Les Jeux, c’est tous les quatre ans. Qui sait si j’aurai l’opportunité d’y re-goûter un jour ? Si je ne serai pas blessé la prochaine fois ? Si je serai sélectionné ? Si la discipline sera toujours au programme ? J’étais à un quart d’heure de toucher l’or et ça me fait chier de devoir me contenter de ça. »
L’or et la revanche
Il a eu l’opportunité. La discipline était toujours au programme à Tokyo. Il n’était pas blessé. Il a été sélectionné. Et il a pris sa revanche sur Niklas Landin et ses comparses danois. Il a touché l’or. Mais ça ne lui suffit toujours pas… A Katowice, au soir du 11 janvier, il sera évidemment l’un des fers de lance du mouvement tricolore face à la Pologne. Le Spodek s’apprête à vibrer pour ce match d’ouverture de la 28e édition des championnats du monde, et les Français s’attendent à un déchaînement inhospitalier. « C’est un pays de handball, sourit-il, l’ambiance promet d’être au rendez-vous, et c’est une motivation supplémentaire pour être à la hauteur de l’événement. »
Valentin Porte n’est plus le capitaine de cette équipe championne olympique. Le 10 octobre dernier, il a cédé son brassard au cadet des Karabatic, Luka, après l’avoir porté pendant près d’une année. « Être capitaine, justifie-t-il, c’est un statut, des responsabilités. C’est lourd aussi. » Trop lourd pour celui qui, à 32 ans et quelques 167 sélections, a réclamé un répit. Depuis le retour du dernier Euro en Hongrie, il n’arrivait ni à relativiser, ni à prendre du recul. Son corps était fatigué. Son être perturbé. Valentin Porte est toujours à la limite entre la passion, l’investissement et le surinvestissement. Il ne triche jamais. Ne s’économise jamais.
Franchise et courage
Des problèmes familiaux l’ont contraint à décliner l’invitation de Guillaume Gille pour un stage avec les Bleus à la maison du handball au mois de mars dernier. Il s’était longuement confié dans les colonnes du quotidien l’Equipe : « Physiquement, j’ai quelques pépins mais qui ne m’empêchent pas de rejoindre l’équipe de France. J’enchaîne les problèmes personnels depuis le retour de l’Euro. J’ai commencé une thérapie avec une psychologue et je suis à un point où la thérapie me met dans de grosses difficultés psychologiques que je n’avais jamais vécues. J’ai exposé cela à Guillaume. Aujourd’hui, je ne me sens pas prêt, et cela m’angoisse, d’honorer une sélection. Je ne me sens pas à l’aise, pas bien. »
Quelques mois plus tard à Chartres, à quelques kilomètres de sa maison d’enfance de Toury, au cœur de la Beauce, un autre épisode a bien failli l’ébranler. Le public de la halle Jean-Cochet l’a pris en grippe, simplement parce qu’il était lui-même. Certains propos l’ont heurté. « J’ai subi, raconte-t-il, comme mes coéquipiers, de nombreuses insultes qui dépassent le cadre du handball. Cela s’est ensuite poursuivi à l’extérieur de la salle lors de notre départ en bus ainsi que sur les réseaux sociaux. Je suis profondément attristé par cette violence verbale qui plus est dans un club pour lequel je porte un réel attachement et qui ne véhicule pas ce genre d’attitudes inadmissibles. » Sa franchise, son courage n’étonnent personne en vérité. Il incarne mieux que personne une conviction, une cause.
« Je pense d’abord aux autres »
L’homme est droit, intègre, et la compassion qu’il a suscité en prenant la décision de s’imposer le break renforce cette image. Il va bien mieux aujourd’hui. La déprime, et c’était un péril parfaitement identifié, ne s’est pas transformée en dépression. Il a soufflé le temps de l’été, réalisé avec Montpellier une excellente préparation et un début d’exercice à l’avenant. Il est redevenu ce joueur entraînant, engagé, efficace. Inimitable dans le jeu au près. Un poison pour les défenseurs. Il est toujours aussi bienveillant, c’est sa nature profonde, mais il sait aussi penser à lui. A son bien-être, son équilibre. « J’ai cette éducation, souligne-t-il, ce trait de caractère, qui fait que je pense d’abord aux autres avant de penser à moi. Est-ce une qualité ou un défaut ? J’en ai vu les limites en tout cas, et trouvé un juste milieu qui me permet de bien me sentir dans ma tête. » Il a remonté la pente, plutôt bien digéré le tourbillon qui a accompagné sa confession. « Je suis plus épanoui que l’an dernier, c’est vrai, confesse-t-il. La première partie de saison avec le MHB est comme une bouffée d’oxygène. Je me sens plus soulagé. Plus heureux. Avoir rendu le brassard de capitaine m’a libéré de quelque chose, m’a fait du bien, tout simplement. Et j’ai vraiment hâte de voir comment tout cela va se traduire en compétition. »
Il en a eu un avant-goût en octobre dernier lors des deux rencontres face à l’Italie et la Lettonie, qualificatives pour l’Euro 2024. La Pologne sera un parfait révélateur. Il est l’un des cadres de cette équipe. Le deuxième joueur le plus capé derrière Nikola Karabatic (337 sélections). Le troisième meilleur buteur (391 buts) derrière ce même Karabatic (1259) et Kentin Mahé (479). « J’ai hâte, vraiment, assure-t-il. Je sens l’équipe prête à entamer ce long chemin vers les Jeux olympiques de Paris 2024. On connaît notre groupe, nos objectifs, et on a faim de victoires, de régularité. Notre souhait est de redevenir la meilleure équipe du monde, de retrouver la dynamique qui était la nôtre à Tokyo. » Un autre objectif est plus personnel. Au fond de lui, il veut rappeler à tous qu’une petite flamme brûle toujours, qu’il n’a rien perdu de son tempérament et que l’on peut compter avec lui. Comme toujours.
A Katowice, il va remplir son rôle, personne n’en doute. « C’est une de mes qualités, murmure-t-il, ne jamais subir totalement les situations. Quand les choses m’échappent, et ça peut arriver, je fais en sorte de me ressaisir le plus vite possible. Faire une thérapie, rendre le brassard, peuvent être des réponses ponctuelles. Il faut savoir se prendre en mains pour aller mieux et guérir. Pour le reste, je me concentre sur mon jeu, j’évacue la pression que j’étais capable de me mettre il y a peu encore, et je donne mon maximum pour l’équipe. »
Par Philippe Pailhories