Vainqueur des championnats d’Europe de cross-country individuel dimanche dernier à Bruxelles, Yann Schrub a tout simplement marqué l’histoire en devenant le premier français à réaliser cette performance. Entretien.
Que représente ce titre européen pour vous ?
Par où commencer ? (Il réfléchit) J’allais sur ces championnats en me disant qu’un top 3 était possible. Je voulais absolument cocher dans ma carrière cette case d’une médaille européenne en cross. J’y suis allé avec de l’ambition, avec un bon entraînement et une meilleure forme que l’année dernière. Avec les championnats du monde de Budapest, j’ai passé un cap au niveau psychologique en prenant un peu plus confiance en moi. J’ai un peu perdu quelques cartes, car quand j’ai vu la boucle qu’il y avait à parcourir, je me suis dit que des coureurs pas forcément très expérimentés et très forts pouvaient avoir leur chance. Mais j’ai gardé confiance et j’ai eu de très bonnes jambes tout au long du parcours, je me suis super bien senti. C’était vraiment une échéance bien préparée avec mes deux coachs. On avait millimétré mon programme pour cela.
À deux tours de l’arrivée, quand je commence vraiment à croire au titre, il y a plein d’émotions. C’est un rêve qu’on commence à savourer, notamment les 500 derniers mètres où je savais que j’allais gagner. C’était extraordinaire d’avoir ces 100 mètres d’avance. J’en ai eu conscience pendant la course, qu’il fallait que j’en profite parce qu’on travaille tellement dur à l’entraînement. J’ai réussi à savourer comme il le faut parce que, contrairement à Budapest, j’étais bien à l’arrivée alors qu’en Hongrie, je n’étais pas très lucide.
Entendre la Marseillaise sur la plus haute marche du podium, cela a dû être un moment fort pour vous…
L’entendre devant 50 proches a été vraiment émouvant. Je sais que je suis le premier français titré de l’histoire. Cela aussi, on me l’avait répété, que j’allais rester dans l’histoire, peu importe les prochains titres, même si j’en espère pleins d’autres pour la France. Je resterai à jamais le premier et cela restera sur la ligne de mon palmarès.
Qu’est-ce qui explique votre super état de forme durant la course ?
La préparation a été différente. Je me suis préparé à souffrir dès les premiers mètres parce que la boue fatigue énormément. Sur ce parcours, même les athlètes qui sont devant, souffrent. Pour moi cela a vraiment été une partie de plaisir parce que de la boue, on en a eu partout. Dans le peloton, on en recevait même dans le visage (sourire). J’en ai reçu dans l’œil et ça m’a dérangé pendant 200 mètres. C’est ça qui est beau. Il n’y a pas eu de pluie, mais le temps commençait à se gâter. Ça, c’est vraiment le type de parcours que j’aime avec un temps que j’aime.
Et par rapport à vos concurrents, qu’est-ce qui a fait la différence ?
Je pense que c’est essentiellement dans la tête. Quand tu es un athlète de haut niveau, tu es préparé physiquement comme les autres. Tout le monde a à peu près le même niveau. Mais il faut être fort mentalement. Car quand tu arrives sur une grosse échéance, la différence se joue dans la tête. Ça, je l’ai bien compris. C’est pour cela qu’à chaque grande échéance, je me prépare comme si c’était ma dernière, comme si je jouais ma vie.
Vous évoquez beaucoup l’aspect mental, avez-vous un préparateur mental ?
Non. Je considère que je n’en ai pas forcément besoin, par contre un psychologue du sport, je pense que c’est réellement nécessaire quand on est athlète de haut niveau. Il va vous suivre tout au long de la saison, notamment dans les périodes creuses et de doutes alors que le préparateur mental est surtout là avant les grosses échéances pour nous mettre en confiance. Je considère que j’ai assez de cartes en main pour pallier cela pour le moment. Pour les Jeux de Paris, cela sera sûrement différent.
Si vous avez obtenu l’or en individuel, vous l’avez perdu par équipes en décrochant l’argent. Comment l’avez-vous vécu ?
Il faut arrêter de négliger les médailles d’argent. Le corps humain s’habitue à tout et les gens s’habituent à la médaille d’or parce qu’on l’a eu depuis plusieurs années. C’est une surprise qu’on ne gagne pas. Mais cela reste une deuxième place. Cela reste mitigé, car des membres de l’équipe étaient déçus de leur course, ce que je peux comprendre. C’est particulier quand tu gagnes individuellement et que tu es content par équipes car il y a une médaille, mais qu’il y a des gars déçus de l’individuel. Je pense qu’ils vont relativiser cela et se rendre compte que l’argent, ce n’est pas si mal, même si l’or, c’est mieux, on ne va pas se mentir.
Désormais, quel est votre programme ?
J’ai quelques jours de repos où je vais pouvoir manger ce dont j’ai envie (sourire), faire d’autres sports, sortir fêter cela. Ensuite, je reste focus sur la préparation hivernale, car il s’agit que de la première partie. Je compte courir un 10 km à Valence en janvier. Dans deux semaines, j’irai aussi en stage au Portugal. Puis après, je me préparerai pour le 10 000 m des championnats d’Europe à Rome en juin et ceux des Jeux.